RAMEAU : SHSHSHCRRR!
Une bourrasque glaciale s'engouffra dans les sous-bois et secoua les cimes des arbres dans un violent hurlement. Les loups eux-mêmes, alors terrés dans leurs tanières, n'auraient poussé de plainte plus déchirante. Le cri du vent, cette nuit, avait mué en un gémissement tel qu'il aurait figé le sang dans les veines du héros le plus valeureux ; un douloureux braillement rejailli d'outre-tombe.
À l'approche de la tempête, le chant rauque des pins agités emplissait les clairières de leur écho funeste. Déjà, les petits animaux se pressaient vers la sûreté obscure de leurs profonds terriers. Les rongeurs couinaient d'horreur en entendant gronder au loin le tonnerre. Les oiseaux fuyaient vers des cieux plus incertains et dangereux que ne l'était le sol mousseux de la forêt.
Les insectes grouillants se bousculaient à tout va. L'araignée, plutôt que de gagner sa cachette, se laissait tenter par une ultime friandise : un papillon de nuit échoué dans sa toile. Tandis que le monstre à huit pattes entreprenait de dévorer vivante sa malheureuse proie, l'orage éclata. Des trombes d'eau s'écoulèrent soudain sur toute la canopée. Une hallebarde cristalline transperça le laborieux tissage de l'arachnide, propulsant du même coup la licière velue dans la marre de boue qui serait son tombeau.
Juché sur les hauteurs de l'un des arbres les plus élancés du bois, Rameau, un bout de branche chétif, luttait contre le prodigieux déchaînement de la Nature pour conserver intacte sa précieuse écorce ; la solide pelure qui l'attachait au pin.
Au printemps précédent, alors qu'il n'était encore qu'un frêle bourgeon, Rameau avait rêvé de s'étendre, suffisamment pour surplomber la sylve et se dorer le bois à la chaleur de l'été. Hélas, à peine avait-il connu l'ardeur incandescente des rayons du soleil sur ses craquelures qu'il l'avait méprisée, cette canicule qui sans vergogne desséchait sa corne et le rendait croulant – ce céleste embrasement qui anéantissait en lui la gemme de toute feuille avant même l'éclosion. À cause de ces brûlures, il restait chauve et nu ! Et voilà qu'à présent, après des jours passés à maudire le Soleil, la pluie lui tombait dessus ! Non pas une douce bruine, mais un véritable ouragan qui menaçait, à tout instant, de l'arracher au tronc qui l'avait vu naître.
Quelle fatalité que le destin d'un vulgaire bout de bois ! Malgré sa plus puissante détermination, il ne peut lutter contre les affres du climat. Ainsi, Rameau tremblait de tout son phloème, tant car les rafales l'ébranlaient que parce qu'il était submergé de peur. Une peur bleue. Une peur à vous geler la sève !
L'ouragan s'intensifiait. La foudre frappa, puis les gerbes électriques se mirent à pleuvoir sur la forêt. Ballotté dans les airs, Rameau se jetait désespérément dans chaque courant venu, en priant que le sort l'épargnât. Au loin, un haut cèdre cédait sous une fulguration. À la vue de cet effroyable spectacle, l'écorce de Rameau se crispa. Le tronc culminant de son pin natal semblait un paratonnerre idéal, tel que les démons du Ciel ne pussent vouloir l'épargner.
Tandis que le frêle bout de branche implorait pour sa vie quelque esprit supérieur, la décharge d'un éclair fou enflamma la cime d'un arbre voisin. L'inexorable incendie se propageait – coulée de flammes sous la pluie crépitante – à tous les arbres environnants.
Résigné à l'approche de son heure fatidique, Rameau faisait le vide dans son esprit. Chose aisée, vu le peu qu'un jeune esprit de bois est à même de contenir.
Le feu monstrueux avançait, dévorant sur son passage des pans entiers de canopée. Les arbres craquaient de douleur sous ses morsures de braise. Leurs bustes élégants suintaient la cendre noire, les branches tordues pieusement vers la litière vaseuse où reposeraient bientôt leurs dépouilles calcinées.
Soudain, alors que les crocs cuisants de la lave aérienne s'apprêtaient à le fendre, un souffle épouvantable s'insinua entre Rameau et le monstre. SHSHSHCRRR !
Le vent, finalement, avait eu raison de lui. Et Rameau flottait, impuissant, dans l'impétueuse tourmente qui remuait les ténèbres.
Réponse au défi : https://www.atelierdesauteurs.com/defis/defi/1728964555/histoire-d-horreur-sur-un-baton
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