L'heure du café
Comme d'habitude, je me réveille de ma sieste avant l'heure du lever. Comme d'habitude, j'escalade vaillament les barreaux pour m'extirper de mon lit de fillette. J'ai quatre ans.
Je pousse la porte de la chambre puis traverse celle de mes parents, baignée dans la douce lumière du milieu d'après-midi. Plantée devant l'escalier, je fixe le couloir désert, le petit nivellement de carrelage en bas des marches, sur lequel je ne cesse de rêver que je me fends le crâne en dégringolant. Alors, je descends sur les fesses, marche après marche jusqu'à la quatrième, avant de me laisser glisser jusqu'en bas, comme sur un toboggan.
Silence dans la maison. À cette heure-ci, maman fait la vaisselle, ou bien du repassage, papa est au travail et mes grandes sœurs à l'école. Je me faufile sous l'escalier, je rase les murs. D'ordinaire, je me réfugierais immédiatement dans ma cabane, dans le bureau, pour attendre malicieusement que maman découvre mon petit lit vide et vienne m'y débusquer. Pourtant, j'entends des voix et des rires à l'autre bout de la maison et, curieuse, je bifurque dans la cuisine. La pièce sent bon le savon chaud, la vaiselle sur l'égouttoir.
J'avance à pas de loup jusqu'à l'entrée de la salle à manger et glisse un regard curieux. Papa et Iris sont attablés et sirotent leur café, conversant avec entrain, le sourire aux lèvres. Ils trempent dans leurs tasses fumantes comme d'étranges gâteaux bruns. Du chocolat ? Sur le dessus, je reconnais sans oser y croire du duvet de peluche. Alors, ma mère surgit derrière moi en chantonnant :
— Quelqu'un veut un autre morceau de Nounours ? Une patte, une oreille ?
Horreur ! Entre ses mains, étendue sur un plateau, la dépouille mutilée de mon ours en peluche. Elle découpe un bout de bras et le croque devant moi.
*
* *
Au réveil, j'ai la haine. Autant de haine qu'une petite fille de quatre ans peut éprouver, après avoir vu sa famille bouffer son ours en peluche. Quelle bande de cannibales !
Tout de suite, je vérifie que Nounours est intact puis, comme à mon habitude, j'escalade les barreaux du lit pour descendre furtivement jusqu'au rez-de-chaussée. Cette fois, pourtant, je ne me cache pas. Je cours dans les jupes de maman pour déverser ma colère et l'engueuler fermement.
— Pourquoi vous avez mangé mon ours ?!
Pendant des jours, je n'en démords pas. Je leur en veux amèrement, à Iris, papa et elle.
Il en faudra des années, avant que j'accepte de m'attabler avec eux pour déguster le café.
Réponse au défi : https://www.atelierdesauteurs.com/defis/defi/138427853/les-reves
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