Chapitre 3

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Août 2020


La France, précarisée par des vagues records de licenciements, subissait la plus grande récession de son Histoire. L'aéronautique, fleuron du pays, le tourisme, le commerce de luxe, tout ce qui impactait l'économie souffrait tant et si bien que payer les indemnités de chômages, les retraites, les frais de santé, devint impossible. 

Malgré cette situation désastreuse, les décisionnaires continuaient de mentir. Tout allait pour le mieux aux vues des circonstances et l'unique ligne directrice du gouvernement était : suivre et faire confiance. 

Révoltés par le manque d'aide de l'État face à la fonte drastique de leurs chiffres d'affaires et de leurs subventions pour faire face à cette crise majeure, des grands patrons et des gérants de PME désabusés créèrent une milice, le MLF, Mouvement de Libération de la France, dans le seul but de palier les mesures tampons de l'Exécutif. 

La France grognait de toute part. 

Le MLF la alors fit rugir avec son propre programme de relance. Origine des fonds ? Des dons privés provenant principalement d'entreprises cotées au CAC 40. 

Dans un premier temps, les Français soutenaient ce mouvement rassurant qui accordait, sans condition de revenus, les besoins de premières nécessités si difficiles désormais à obtenir. Mais petit à petit, des dérives violentes lui furent attribuées. La milice, à la communication irréprochable, démentit avec une campagne choc de vidéos en tous genres : distribution de repas gratuits, prise en charge financière des soins médicaux, ronde nocturne en prévention des pillages... Les réseaux sociaux étaient submergés d'images de propagandes attisant l'empathie d'une population aux abois. 

Cependant, une énorme bavure jeta la stratégie au feu. Les fusillades de Mars 2020... Des civils, abattus sur le parking d'un supermarché sans raison apparente, des familles endeuillées qui réclamaient justice, ces images intolérables de flaques de sang avaient tourné en boucle pendant des semaines... Le MLF avait tiré sur une corde que personne ne voulait actionner : la terreur. 

L'État dans tout cela ? Silencieux. L'accord tacite entre le gouvernement et le mouvement persistait et en résultat, les contrôles, arbitraires et très violents s'intensifièrent toujours relayés par les réseaux sociaux publiant chaque jour des images atroces d'interpellations. Un père de famille devant ses enfants, suppliant de lui laisser la vie sauve, une femme âgée plaquée au sol, tentant de respirer, agonisant... La règle était simple, si le motif de sortie ne leur semblait pas acceptable, interpellation. Si résistance, disparition.

Le pouvoir par la peur. 

Personne ne réagissait ? 

L'armée, décimée par le virus, en première ligne aux côtés des professionnels de santé hospitaliers, ne pouvait intervenir. Les forces de l'ordre, servaient à présent d'agents pénitenciers dans les prisons érigées en un temps record où la promiscuité y entraînait une transmission dramatique du virus. Ecœurés de la gestion de cette pandémie et les directives toutes plus autoritaires les unes que les autres, beaucoup démissionnèrent, affaiblissant davantage le pouvoir en place.

Certains tentèrent néanmoins d'organiser une rébellion mais comment coordonner quoi que ce soit lorsque sortir de chez soi pouvait vous faire risquer la mort ? 

Extrait de l'Histoire avec un grand H, 

Édition Hauts de France, février 2030.


Aucune information sur l'avancée de l'enquête. Rien. Le néant dans le corps d'Olympe représentait bien celui de la justice de ce pays trop concentré à sortir la tête de la tempête sanitaire dans laquelle son économie s'était engouffrée. Aucune image n'avait fuité. Seul le parking vide, avec les mares de sang séché avait fait la une des journaux. Aucun journaliste n'avait vu l'acte de la jeune femme, ai, dans cette époque où, au final, certaines choses demeuraient immuables, les rumeurs et avis allèrent bon train... Pour certains, en mars, le MLF avait abattu de façon arbitraire des innocents. Les forces de l'ordre étaient parvenues à interpeller un assaillant tandis qu'un second avait été abattu lors de l'intervention. Pour d'autres, suite au non-respect du confinement, le ton était monté et les choses s'étaient envenimées entre les deux camps. Oui. Les deux camps... Mots crus, violents, agressifs employés nulle part ailleurs qu'en temps de guerre.

Pourquoi était-elle encore en liberté ? Cette journée serait-elle la dernière ? Tous les matins, face à l'oreiller vide à ses côtés, ces pensées aussi lourdes qu'un boulet à la cheville s'imposaient à elle. Cette liberté relative ne pouvait pas durer. Olympe le savait. Qu'est-ce qui l'empêchait de prendre son courage à deux mains, de se rendre à la gendarmerie et d'enfin apaiser cette permanente angoisse détruisant chaque cellule de son corps ? Elle avait tout perdu et dans cette vie désormais où le mot liberté se résumait à circuler, papier à l'appui, masqué et où seuls travail et première nécessité étaient tolérés, difficile de se reconstruire. Alors, devant tant de vide, qu'est-ce qui l'empêchait de mettre fin à ses jours ? La folie. Cette terrible et brutale folie ronronnait dans sa poitrine démolie, murmurant tous les jours que la vengeance obtenue se heurtait à la présence de l'écrasant ennemi et à son rappel terrible de ce qu'elle avait perdu et qu'elle n'aurait plus jamais... Alors le temps s'écoulait, inlassablement, et cinq mois après, l'errance et la solitude devinrent presque des compagnes confortables quand l'absence de sa moitié hantait son quotidien ou encore l'absence d'interpellation attisait ses angoisses.

La charogne abattue ne méritait pas ses remords. Le soir de la mort de Louis, le lieutenant avait ramené Olympe chez elle. Après lui avoir présenté ses condoléances les plus sincères, il lui avait sommé de rester prudente, puis s'était évanoui dans la nature. Pas un mot sur une arrestation. Rien. Pourquoi ? Avait-elle eu le courage de faire ce que sa raison lui interdisait ? Était-ce là un geste de démission quant à son métier devenu non-sens ? Cet homme était-il lui aussi écœuré ? Refusait-il d'arrêter une femme endeuillée voulant obtenir une justice que l'Etat ne lui donnerait pas ? Autant de questions, restées sans réponses, avec, au fil du temps, bien d'autres qui s'étaient ajoutées. Après avoir compris qu'il ne l'arrêterait pas ce soir-là, isolée, confinée, ses jambes s'étaient dérobées, ses yeux s'étaient emplis, sa voix s'était brisée. Des heures affalée sur le carrelage glacé, incapable de bouger. Respirer ? Effort inhumain pour un résultat bien médiocre. 

L'enterrement fut l'événement qui subit de plein fouet les conséquences du confinement et ses règles strictes de distanciation imposées par l'Etat, soutenu de la milice. Seule. Quel cercueil ? Quelles prières ? Athée, sa belle-mère, privée du dernier adieu à son fils, l'avait alors aidée, par téléphone, entre deux sanglots. Avaient-ils un caveau, la questionna-t-on. Elle avait ri, à trente ans, qui avait déjà un caveau ? On l'informa que pour éviter tout contact avec l'entreprise funéraire, Louis serait enterré avec les vêtements qu'il portait le jour de son décès et qu'aucune gravure ne serait possible sur la pierre tombale, l'entreprise ayant l'obligation de conserver rideau baissé. Cimetière inaccessible, aucun recueillement ne serait envisageable.

Même dans la mort, la liberté s'était envolée.

Devant l'église du village, belle et lumineuse, simple et accueillante, la voilà seule au milieu du chaos. Quoi de mieux pour un puissant lâcher-prise : hurler à la mort d'aller se faire foutre, de lui rendre son Louis ? Maintenue dans sa camisole par la dignité, la folie se fit néanmoins discrète. Comment faisait-elle pour tenir ? L'aimait-elle vraiment ? Ne devrait-elle pas réagir de manière plus excessive ? Même dans le deuil, les gens jugeaient. L'être humain dans toute sa beauté. Bien sûr qu'Olympe avait hurlé, pleuré, souffert, vomi même toute l'abomination d'une telle brutalité ruinant les plans d'une vie à deux, mais seule, à l'abri des regards de tous, même de celui du prêtre.

Le monde s'était replié sur lui-même. Elle en avait fait de même.

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