Chapitre 9
Silence complet.
Impossible de dire si la grille avait fait un vacarme assourdissant lorsqu'elle l'avait escaladée tant ses oreilles bourdonnaient. Assise contre le mur arrière du bâtiment, Olympe tenta de reprendre son souffle pour se calmer et réfléchir à la suite des événements mais à mesure que les secondes défilaient, la panique l'envahissait. S'ils ne la retrouvaient pas, ils fouilleraient sa voiture et trouverait sa carte grise. Nom, adresse, tout s'y trouvait... La voilà prise au piège. Rentrer devint impossible et rejoindre sa famille encore moins.
Ses pensées s'entrechoquèrent brutalement. Sa famille... Comment avait-elle osé les mettre en danger ? La colère s'empara une nouvelle fois d'elle. En cédant, sa vie avait vrillé et Louis était mort. Que risquait-elle ici de perdre après cette nouvelle erreur ? Ici, impossible de blâmer le MLF. Son imprudence, sa folie et sa bêtise avaient peut-être signé l'arrêt de mort du reste de sa meute... Pourquoi n'était-elle pas restée sagement chez elle ? Déboussolée, tremblante de rage, la main plongée dans son sac à main, elle cherchait la bouteille d'eau qui clarifierait peut-être davantage ses esprits pour réfléchir à un moyen de se sortir de cette impasse.
Des bruits de pas...
La patrouille s'activait dans le quartier, elle rôdait, n'en avait pas terminé avec elle. Priant pour que ses clés n'offrent aucun indice sur sa présence dans cette cour abandonnée, ses doigts caressèrent l'intérieur du sac. La douceur du cuir de son porte-monnaie, le rouge à lèvres passe-partout qu'elle passait son temps à chercher, son carnet de chèques vacances témoin d'une époque où sa seule préoccupation était de savoir où Louis et elle partiraient le temps des congés... Les fragments de sa vie d'avant parvenaient à calmer ses nerfs à tel point que la douce folie, régissant à présent les pires moments de sa vie, installa un sourire sur ses lèvres. Aurait-elle à nouveau l'occasion de se servir de tout cela ? Comment une vie pouvait-elle dérailler à ce point en si peu de temps ? Soudain... Une issue, un espoir explosa sous sa paume : le téléphone satellite.
Elle l’alluma. Une sonnerie caractéristique s'enclencha. Horreur... Avait-elle été entendue ? Dans le doute, Olympe se rua sur le répertoire. Unique contact sélectionné, oreille greffée sur le combiné, les tonalités se succédèrent.
Une. Pourrait-il venir à sa rescousse ?
Deux. Serait-il là à temps pour la sauver ?
Trois. L'espoir qui avait tant réchauffé sa poitrine se décomposa.
Quatre. Qu'adviendrait-il d'elle ?
Cinq. La voilà seule...
— Parlez.
Un espoir, une chance, encore ! Flashback terrible explosant sa raison : la dernière fois qu'un tel soulagement l'avait envahie, elle avait pensé entendre la voix de Louis...
— Allô ? reprit l'inconnu.
Cette voix... Autrefois, elle avait ruiné sa vie, elle devint à présent sa seule option.
— Ici Olympe Warenghem.
Murmurer. Ne faire aucun bruit. Hors de question que les hommes qu'elle entendait toujours ne la découvre. Peu importe ce qu'il adviendrait d'elle aujourd'hui, si elle devait mourir, elle voulait avoir tout tenté pour ne rien regretter. Pour cela, la furie mobilisa une fois encore ses ressources. Paniquer, crier, trembler ne servirait à rien, le calme en revanche, la sauverait.
— Je vous entends très mal, qui est à l'appareil ? Parlez.
Serait-il prêt à tout pour la sauver ? Avait-il réellement besoin d'elle, simple civile ? Elle rapprocha le micro du téléphone près de sa bouche.
— Olympe Warenghem. J'ai besoin d'aide d'urgence.
Rien. Aucune réponse. Impossible pour elle de se sortir de ce piège seule. Sans lui, elle mourrait. Pourquoi ne répondait-il rien ? Avait-il changé d'avis ?
— Vous m'entendez ? Est-ce que vous m'entendez ? S'il vous plaît j'ai besoin d'aide... Je suis cachée dans l'arrière-cour d'un bâtiment abandonné. Une patrouille du MLF est à mes trousses. Je vous en supplie, venez me chercher. S'ils me trouvent, ils me tueront.
Cette supplication murmurée avait-elle atteint son interlocuteur ?
— Le téléphone a un traçage GPS, nous voyons l'endroit où vous vous cachez mais nous ne pouvons intervenir qu'une fois la nuit tombée, c'était-à-dire à 22h. Pensez-vous pouvoir tenir jusque-là ? Parlez, demanda le gendarme.
— Je viens d'entendre leur radio qui donne l'ordre de fouiller toutes les maisons de la ville à ma recherche… La population ne doit pas risquer sa vie pour moi, des membres de ma famille habitent le secteur.
Le calme maîtrisé par sa frénésie bouillonnante se fracassa contre cet énième silence. Est-ce que l'espoir était réellement permis ? L'animal terré avait besoin d'assurance. Sa respiration s'accéléra et ses mains se crispèrent sur l'appareil tandis qu'elle souffla avec plus de vigueur :
— Allô ? Putain mais vous allez me répondre oui ou merde ?
— Désolé Olympe, je ne décide pas seul. Soyez devant l'entrée du collège, juste en face de là où vous vous cachez à 22h. Le plus près possible de la grille. On va tenter de vous faire gagner du temps. Nous ne patienterons que deux minutes, si vous n'êtes pas au rendez-vous, je ne pourrai plus rien pour vous. Vous comprenez ? Parlez.
— 22h, grille du collège. Faites diversion, ne faites pas que tenter, faites-moi devenir invisible ou accessoire à leurs yeux.
Sa voix étouffée n'en demeurait pas moins autoritaire. La communication se coupa. Sa bêtise avait mis en danger sa famille, sa chair, son sang et dans cette étroite cour, à cet instant, sa vie dépendait d'inconnus. Seule avec sa culpabilité, le calme incroyable qui l'avait jusque-là envahie s'immola. Pouvait-elle lui faire confiance ? Serait-il vraiment là dans trois heures pour la sauver ?
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