Chapitre 11
L'heure avait sonné. Emotions toujours coupées, bien maîtrisées, comme cadenassées, Olympe, sac et veste à la tiédeur frissonnante enfilés, sortit de la remise comme elle en était entrée. Son corps ankylosé réclamait un étirement. Dans la cour, les bras en l'air, la tête scrutant le ciel, elle s'adonna à quelques amplitudes. La folie, doux binôme de sa colère, s'invita. Bercée par la pénombre qui s'était installée, elle remercia une nouvelle fois sa bonne étoile qui réduisait ainsi ses chances d'être vue par la milice.
21h55. Place à la survie. Déterminée à sauver sa peau, elle s'approcha de la grille et imagina le meilleur moyen de quitter sa cachette avec prudence. Le calme ambiant ne penchait pas en cette faveur, mais qui sait, peut-être l'attendaient-ils au dehors ? Casquette et sac déposés de l'autre côté de la grille, la jeune femme tenta de rouler dessous. Impossible. L'espace était trop réduit. Sur le dos, tel un ver de terre, elle rampa alors. La tête tournée au maximum, Olympe expira pour se faufiler plus facilement. Si elle n'était pas sur le point de jouer sa vie, elle rirait. Pour une fois, son petit 85B était trop imposant !
Une fois de l'autre côté, il fallait faire vite. Elle se plaqua contre le mur de l'ancienne poste et détailla les lieux. Rien, pas un bruit, pas une silhouette. La voie était libre. 21h57. Chaque seconde qui s'égrainait pressait sa poitrine. Elle risquait sa vie mais quel autre choix avait-elle ? Se jeter dans la gueule du loup était son unique chance.
Objectif : l'autre côté de la route. Si près et pourtant si loin. Quelques enjambées et elle serait en sécurité. Rien n'indiquait cependant un quelconque secours. Elle s'élança. Tout était trop bruyant. Les clés de son sac tintaient. Les cheveux hors de sa casquette s'agitaient dans sa course, fracassant le silence de l'air. Une fois sur le parking, elle longea la grille. Pouvait-on la voir ? Les miliciens se terraient-ils dans les maisons toutes proches ? Guettaient-ils ? Cette vulnérabilité l'étouffait.
21h58. Olympe céda à la panique. Toujours rien. S'était-elle faite bernée ? Elle avait offert sa confiance à un inconnu. Le regretterait-elle ici, sur ce parking, seule et à découvert ? Aurait-elle du rester dans la remise ? Un bruit de moteur droit dans sa direction la figea et le collège sans vie finit de ruiner ses espoirs. Le véhicule s'approchait. Se cacher. Mais où ? Le parking était désert. Vite, une idée ! À dix mètres, elle repéra son issue : un parterre. Elle se rua vers cette masse noire et se mit à plat ventre.
21h59. Elle suffoquait. Allait-elle réellement s'en sortir vivante ? Et si... Et si le véhicule était celui du gendarme ? Et s'il s'agissait des secours ? Une lumière s'agitait depuis le véhicule. Il cherchait quelque chose ou quelqu'un. 22h. Difficile de réfléchir. Un tsunami de panique l'engloutissait toute entière. N'avait-elle vraiment plus rien à perdre ? Sa vie se jouait ici, ce soir. Que faire ? Il avait dit 22h et la seule âme qui vive dans ce quartier était ce véhicule. Elle s'apprêtait à se redresser pour signaler sa présence quand un hululement l'interpella. Son sang jaillissait si fort que ses oreilles bourdonnaient. Était-ce un mirage ? Elle tourna la tête en direction de l'animal, et, derrière la grille, décela du mouvement. La fugitive se réinstalla. Une silhouette faisait signe de ramper jusqu'à lui. Le véhicule s'approchait. Si près, elle y distingua trois lettres : MLF...
Agir, vite. Tout couper et bouger. La lumière balaya la chaussée d'en face. C'était sa chance. Centimètre par centimètre, le corps plaqué contre le sol ondulait grâce à l'impulsion de ses pieds et coudes. Olympe redressa la tête et devant elle, le gendarme, son sauveur, lui murmura :
— La porte est ouverte, entrez discrètement.
Le faisceau toujours dirigé à l'opposé du collège, elle fonça. Refermer la porte. Être discrète. Ne surtout pas attirer l'attention sur elle. Une fois dans la cour, l'homme l'attira brutalement vers les arbres dans lesquels il se terrait et la plaqua contre lui. La terreur la ravagea. L'ennemi l'avait-il vue ? Face à son sauveur, par-dessus son épaule, elle apercevait le fourgon. Catastrophe ! La lumière, sur eux ! Yeux fermés, visage blotti contre le torse du gendarme, avait-elle fait toute cette folie pour rien ? Seraient-ils repérés, arrêtés et abattus ? Le palpitant incontrôlable, la tête enfouie contre son bouclier humain, elle se surprit à prier. Prier pour sa vie. Ces buissons parmi lesquels ses deux ombres se dissimulaient seraient-ils suffisants pour leur offrir toute la protection nécessaire ? Cette supplication engouffra une onde de choc : elle n'était pas prête à laisser tomber. Elle se battrait pour sa vie. Elle concentra son esprit sur l'improbable : les battements réguliers du cœur du lieutenant dont la fréquence intense, puissante lui permit d'espérer. Le calme et la confiance de cet homme, semblant persuadé qu'ils s'en sortiraient rassuraient. La chaleur des mains posées dans le creux de ses reins lui offrit alors la bouffée d'oxygène dont son corps avait tant besoin tout comme son souffle brûlant irradiant sa peau frissonnante et fébrile. Pour la première fois depuis longtemps, ainsi lovée, une brise sécurisante l'enveloppa.
Annotations