Chapitre 18
Une cinquantaine de rescapés furent interrogés cet après-midi-là et l'état psychique désastreux de certains faisaient craindre pour l'avenir de la famille d'une Olympe inquiète. Prête à exiger du lieutenant Bela des informations fraîches et précises à leur égard, ce dernier brisa net son élan en invoquant une mission de la plus haute importance. Était-il sérieux ? Toujours avec le même binôme à la gêne presque irritante, l'objectif était de transformer le bâtiment principal du collège en dortoir afin d'accueillir les rescapés des prochains jours, seulement, pour cela, aucune trace de vie ne devaient alerter l'ennemi. Pas un brin de lumière, rien.
Devant l'empressement de la jeune femme à obtenir des nouvelles de sa famille, le supérieur opta pour un compromis, chose rare dans ce nouveau monde millimétré, où l'obéissance était légion, s'empressa-t-il d'ajouter. Tandis que le binôme s'attèlerait à la tâche, il s'engageait à récupérer la moindre information concernant les siens.
— Ce n'est pas un compromis ça, lieutenant, c'est du chantage, osa-t-elle.
— Voyez ça comme vous le souhaitez, Warenghem je vous propose mon aide. Seule, par où allez-vous commencer ? À qui allez-vous poser toutes vos questions ?
Il avait raison. Ne connaissant rien de l'organisation de la RF et de leurs unités de renseignements, le gradé était le plus à même d'en savoir davantage mais prendrait-il le risque de mettre en danger le refuge de la RF en transmettant à sa recrue de terribles informations concernant les siens ? Sa famille... Tout ce qui lui restait... Ainsi au pied du mur, impossible de savoir de quoi elle serait capable si leur vie était menacée.
— Savez-vous manier une perceuse-visseuse, Warenghem ?
Ejectée de tous ses doutes, les nerfs à rude épreuve, il ne fallut pas plus que cette simple phrase pour que la furie bondisse sans crier gare.
— Pardon ?
— Savez-vous manier un tel outil ? Répéta-t-il en désignant l'instrument du doigt.
— En tant que femme, vous voulez dire ? Car si je ne m'abuse, vous vous apprêtiez à quitter la pièce, donc savoir si Loïc sait le faire, ça en revanche, ça ne semble pas vous effleurer.
La défensive de sa recrue arracha un sourire à Bella cependant, contre toute attente, c'est Loïc qui prit la parole.
— À vrai dire, Olympe, j'ai participé à la préparation du bâtiment dans lequel on dort avec le lieutenant, il sait donc que je peux me servir d'une perceuse-visseuse.
Le gendarme, au sourire presque imperceptible, haussa les sourcils en direction de la jeune femme qui capitula et marmonna une courte excuse.
— Maintenant que tout est clair, au boulot ! Il y a des lampes halogènes dans le coin, dès que vous remarquez que le soleil se couche, surtout, arrêtez et venez nous rejoindre dans le premier bâtiment. Le MLF continue de faire des rondes le soir à la recherche de signes d'activité suspecte.
— D'ailleurs, lieutenant, comment se fait-il qu'on puisse accueillir autant de monde dans une cour d'école donnant pleine vue sur des maisons juste en face, en plein jour, sans que le MLF ne se doute de rien ?
— Mes parents et la fille du commandant habitent en face. On peut dire que nous avons des voisins de confiance, intervint Loïc.
— De plus, nous avons des espions au sein du MLF. Cette journée était primordiale pour eux et cette ville secondaire n'est pas dans leurs objectifs actuels. Nous avons le champ libre pendant encore quelques jours mais la prudence reste de mise : les patrouilles nocturnes se poursuivent. Au travail.
Le lieutenant quitta la pièce, laissant le duo commencer sa tâche. La détresse des rescapés accueillis plus tôt collaient à l'esprit d'Olympe. Impossible de se défaire d'une telle vision d'horreur malgré son corps ainsi occupé. La ville de ses parents avait été prise d'assaut. Était-il alors raisonnable de les espérer en bonne santé et en sécurité, terrés quelque part ou fallait-il céder à la panique de les imaginer morts ? Veuve autrefois, potentielle orpheline à présent... Comment survivre lorsque l'on n'a plus personne ? C'étaient leurs vies qui insufflaient à présent la sienne.
Le silence pesant et la mine déconfite de la jeune femme eurent raison du malaise de Loïc qui prit son courage à deux mains pour s'excuser avec sincérité de l'épisode honteux de la veille. Le dos voûté, la voix étouffée, le regard figé sur la plaque de plâtre ainsi que l'attitude discrète de l'homme cet après-midi touchèrent Olympe. Après tout, se raisonna-t-elle, sans lui, jamais le lieutenant lui aurait porté secours. Les choses devaient changer. Depuis son arrivée au camp, les moindres échanges qu'elle entreprenait se résumaient par de la lourdeur et de l'agressivité or, personne ici n'était responsable de la détresse de sa vie et surtout, ce que cette journée lui avait appris c'est qu'elle n'était pas l'unique victime du MLF. Alors, devant Loïc tentant par tous les moyens de détendre l'atmosphère, elle osa une parade.
— Si tu réussis à me dégoter quelque chose qui puisse venir à bout de cette tignasse emmêlée par le pavé de savon comme unique shampooing de ce camp, je pourrais revoir ma position à ton égard, fit-elle d'un air faussement sévère.
Les doigts coincés dans sa chevelure déridèrent un court instant le visage de son binôme.
— Je vais voir ce que je peux faire pour cette détresse capillaire, Olympe.
— Tous mes espoirs ainsi que l'avenir de notre relation repose sur toi !
Vingt et une heures passées. La pénombre menaçait. Sept des dix fenêtres étaient consolidées. Les deux jeunes gens se dirigeaient vers la porte du bâtiment après avoir éteint les halogènes lorsque...
— Hé, mais qu'est-ce qui te prend ? hurla Loïc qui percuta Olympe à l'arrêt.
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