Chapitre 26
Nouveau missile. Ce tank causerait leur perte. Dans un vacarme assourdissant, des débris volaient en tous sens et s'écrasaient tels des dominos sur le sol. Une chaleur puissante se dégageait de l'explosion. La cour désormais en ruine, la fumée de l'incendie et la poussière causée par l'obus offraient un écran de misère aux silhouettes ondulantes du MLF à la chorégraphie macabre. Le blindé... Un interstice à l'avant pouvait offrir une chance de gagner du temps. Une idée traversa l'esprit d'Olympe. Dangereuse, terrible, mais ainsi, Loïc aurait le loisir de réussir son tir.
Elle arracha deux grenades de sa veste, les dégoupilla et maintint le levier en position. Direction, le char. Dans sa course effrénée, des soldats ennemis la canardèrent. Trop rapide, trop déterminée, elle esquiva les balles.
Grâce à l'élan, la voilà sur le blindé, vulnérable... S'ils l'avaient incluse dans ce groupe, ils la couvriraient seulement avaient-ils compris ce qu'elle s'apprêtait à faire ? La voix du lieutenant hurla la réponse.
— Berthelot nom de dieu ajustez votre visée et tirez dès que Warenghem aura balancé ses grenades !
Olympe, trônant sur le véhicule telle Athéna, lâcha les leviers des deux grenades.
Un… Ce blindé était sien.
Deux…Elle le détruirait.
Trois…Comme tous ceux qui oseraient se mettre sur son chemin.
Engins balancés. Le trou permettant la maîtrise de l’environnement devint leur faiblesse. Déguerpir, vite. Le fracas enfermé de ses grenades, les hurlements provenant de l'intérieur et la riposte généreuse de l'ennemi accompagnèrent sa course. Trois miliciens grimpèrent pour ouvrir le haut. Sébastien régla le compte de deux d'entre eux grâce à la précision de ses tirs.
L'un des passagers sortit du tank. Horrifiant. Des lambeaux giclant de sang pendaient vulgairement de ses moignons autrefois des mains. Malgré une moitié de visage soufflée par l'explosion, le spectre hurlait à s'en casser la voix. Tous se figèrent devant l'abomination. Tous, mis à part le sniper qui l'abattit d'une balle dans la tête. Par pitié ? Olympe en doutait. De la haine pure s'éjectait du visage de son coéquipier. Lui aussi avait des comptes à régler avec le MLF.
Des cris provenaient toujours de l'intérieur. Un milicien réussit à pénétrer l'antre de la bête. Un coup de feu imposa un silence glaçant avant que le tank ne bouge à nouveau. Une intense boule de lumière et un bruit retentissant surprit alors tout le monde. Cette fois-ci, Loïc avait réussi son coup. Le char était en feu. La déflagration, si puissante, plaqua des soldats ennemis au sol, tandis que d'autres, trop près, carbonisaient vivants. La mort pouvait être belle. Ces lucioles à taille humaine virevoltaient autour de leur essaim enflammé et pendant un instant, la bête se délecta de ce spectacle. Justice. Enfin.
Soudain, un projectile provenant de la carcasse s'explosa dans le tronc qui protégeait Olympe. Le chêne ainsi fragilisé, elle devait bouger et vite ! Sa seule solution ? Se précipiter dans le fond du collège et se terrer dans les fossés bordant les champs. L'ennemi était en mouvement. Vite ! Tandis qu'elle s'élançait, l'arbre s'effondrait. Pourvu qu'elle ne perde pas l'équilibre ! Ce sac était si lourd... Son casque rebondissait à chaque foulée. Le bruit sourd et puissant d'une nature plus forte que l'Homme grondait autour. Plus elle avançait, plus la cime, irrémédiablement happée par le sol, était large et touffue. La jeune femme écartait sa trajectoire, encore et encore mais le tronc, plus rapide, plus puissant, plus impressionnant s'écroula et l'emporta. Le chêne, jadis son bouclier, devint à présent son boulet. Les branches s'étaient mêlées à son sac, ses cheveux, son casque. L’ennemi, de son côté, progressait.
Impossible de se sortir de là. Trop de branches, trop d'obstacles et surtout, trop d'ennemis. Une dizaine de soldats s'élançaient vers le fond de la cour. Une balle et la voilà morte. Pas le choix, elle devait abandonner ses affaires. Casque arraché, elle s'apprêtait à se délester de son sac lorsque,
— Soldat, remettez votre casque !
Comme par magie, depuis l'arrière, Félix, son sauveur, apparut. Sac empoigné, il l'aida à se redresser. Les branches ? Déchiquetées sous l'impact de sa hache. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé ? Combattante débutante... Enfin libre, elle agrippa le casque qui gisait sur le sol et se rua avec son sergent vers les fossés, couverts par les tirs d'Antoine et de Hugo. L'ennemi hurlait. Autour d'elle, des hommes s'effondraient. Autour d'elle, la civilisation telle qu'elle la connaissait touchait à sa fin. Plus rien ne serait jamais comme avant.
Olympe se jeta sous une bâche, à l'intérieur du fossé. L'atmosphère trop sombre lui empêcha de voir quoi que ce soit. Elle écrasa un coéquipier. Qu'importe. L'homme ne lui en tint pas rigueur et l'aida à se redresser. Ses mains brûlantes... Sensation salvatrice qui raviva la jeune soldat. Immobiles, les uns sur les autres sous ce treillis militaire faisant écran grâce à la pénombre de la nuit, les soldats de la résistance patientaient. Quelques ennemis restants à abattre et ils auraient gagné leur première bataille. Ces unités non préparées étaient parvenues à déjouer l'assaut. Ensemble. Dans ce fossé, la résistance formait un seul homme. Déterminé. Derrière, l'homme à la main chaude toujours posée sur l'épaule d'Olympe respirait avec calme. Difficile à expliquer mais elle savait que tant qu'elle était entourée de ces combattants, elle serait en sécurité.
— Allez, approchez fumiers ! murmura Sébastien quelque part à sa gauche, impatient d'en découdre.
Premier tir. Puis, toute une salve. Après ces courts échanges de moins d'une minute, le bruit cessa. Silence écrasant. Silence de mort. Au loin, l'ennemi geignait depuis la cour, réveillant ainsi la raison d'Olympe. Était-elle responsable de certaines de ces funestes plaintes ? Oui. Culpabilisait-elle ? Non. Avait-elle peur ? Oui, d'elle-même et de ce que ce conflit aurait comme conséquence sur la folie qu'elle tentait tant bien que mal de contenir jusque-là. La main brûlante lâcha son épaule et la voix du lieutenant, posté juste derrière elle, la sortit de ses pensées lugubres.
— On bouge !
— Sortez du fossé et courez en direction de la forêt, murmura le capitaine.
Dans sa course, elle interrogea Guillaume sur le sort des rescapés. Des véhicules à l'arrière du collège furent stationnés la veille pour parer à cet éventuel assaut depuis la visite des rôdeurs et ils se dirigeaient en ce moment vers un camp de fortune dans la forêt. Un fourgon les récupéreraient après en avoir terminé avec les civils. Leur course ne devrait pas durer longtemps. Il termina en plantant son regard dans le sien, et souffla :
— Olympe... Bravo.
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