Chapitre 35
Mars 2021
Un tournant. Tandis que le peu d'habitants toujours présents sur le front collaboraient avec la milice, une compagnie RF s'était, elle, reposée sur une radio récupérée de l'ennemi leur permettant de savoir où se trouvaient les patrouilles ennemies. Un jeu du chat et de la souris s'engagea alors au sein de l'un des bastions de l'Artois et la radio offrait toujours à l'unité de la RF, un coup d'avance sur le MLF. Cela fonctionna un temps, puis, les munitions et la météo ralentirent davantage la progression, jusqu'à une stagnation presque totale de toute la ligne des combats. L'hiver 2020-2021 fut l'un des plus rudes enregistré depuis des décennies. Comme si la nature savait que les Hommes se déchaînaient, elle aussi, entrait dans la danse. Les services de déneigement contrôlés par le MLF rendirent les routes volontairement impraticables. L'unité CHARLY de la Résistance Française se retrouva alors encerclée par une poche du MLF, sans possibilité de renfort.
Sans munitions ni eau potable, avec des rations alimentaires de plus en plus maigres, la CHARLY fut l'une des unités de résistance ayant le plus souffert des affres de cette guerre civile. On raconte que pour boire, les combattants étaient contraints de fondre de l'eau stagnante, la faire bouillir et prier pour que cela fasse l'affaire.
Les nuits entrecoupées et saccadées du martellement continuel des obus ennemis leur firent perdre la notion du temps. L'amaigrissement fut tel, que lorsqu'on les retrouva, leurs vêtements flottaient sur leurs corps décharnés. Les bombardements tuèrent nombre d'entre eux. Radicale et définitive, pour en finir avec cette ville, avec cette guerre, le désespoir en poussa d'autres à commettre l'irréparable...
Extrait de l'Histoire avec un grand H,
Édition Hauts de France, février 2030.
Le commandant Plantain avait promis l'arrivée d'unités de renforts il y avait une semaine déjà mais ils avaient été interceptés par le MLF à l'entrée de la ville. Que faisait donc un soldat quand il ne pouvait ni avancer, ni reculer, ni se battre par manque de moyens ? Il attendait. Et attendre c'est mourir, scandait Sébastien.
Un matin, Olympe, qui apportait de l'eau au lieutenant, s'enquit des nouvelles. Le commandant lancerait-il un assaut pour leur venir en aide ?
— Non, nous avons d'ailleurs un problème avec les radios. Plus aucune ne fonctionne. Ça doit être à cause du froid et du manque de soleil direct. Foutu matériel !
Guillaume jeta violemment un des smartphones sur le mur. Le calmer ? Elle était trop épuisée pour cela. S'il souhaitait perdre des forces en s'agaçant contre cet énième revers, soit ! L'enlisement du conflit, la perte de certains de ses coéquipiers et l'absence d'espoir avaient résigné Olympe qui s'était renfermée sur elle-même, comme éteinte. En économie d'énergie, en économie d'émotions, en survie. Son unique mot d'ordre était de ne pas s'épuiser plus que nécessaire. Qui sait combien de temps encore ils resteraient paralysés dans cette ville ? Tous les jours, le lieutenant demandait des renforts. Des semaines que cette situation durait ! Avec un peu de chance, leur silence radio forcé obligerait enfin l'état-major à se bouger ! Résigné, l’homme s'assit et fixa la jeune femme de longues minutes. La dureté de ses traits s'adoucit quelque peu. Lui aussi était à bout. Le militaire s'effondrait à mesure que son unité perdait des combattants.
— Je suis désolé que vous ayez à passer cette journée de cette façon, Olympe. Vous savez quel jour on est, n'est-ce pas ? reprit-il devant l'incompréhension de sa combattante.
— À vrai dire, pas vraiment.
De quoi parlait-il ? Devant le regard fuyant de son supérieur, la bombe explosa. Il y a un an, Louis était assassiné. Ses pensées, figées dans le froid et la glace s'agitèrent. Un an... Une éternité, une vie entière. La femme qu'elle était n'était plus de ce monde. Elle était enfouie sous les couches de crasse, de saleté et de sang, de beaucoup de sang. Chaque soldat ennemi qu'elle abattait la changeait irrémédiablement et définitivement. Que dirait Louis s'il savait tout ce qu'elle avait fait pour se faire justice ? Pour lui faire justice ?
Olympe commençait à douter d'une issue favorable, son optimisme s'amenuisant à mesure que son corps s'amaigrissait et que l'unité s'égrainait. Hors de question de finir comme Hugo ou Thomas... La mort à petit feu rongeait toutes les espérances. Le manque de sommeil épuisait le corps et surtout l'esprit. Cette guerre limait chaque parcelle d'humanité et d'empathie de ces combattants. L'instinct animal révélait le pire en eux comme devoir abandonner les corps de leurs coéquipiers morts au combat sans leur offrir de sépulture décente, fouillant leurs sacs à la recherche de nourriture ou encore de munitions. Certains, comme Thomas ou Hugo, étaient devenus dangereux pour eux-mêmes. Désespérés, ils voulaient en finir avec cette situation désastreuse, alors, pour éviter qu'un drame de plus ne frappe l'unité, la consigne était simple, personne ne devait les laisser seuls, jamais. Un coup de feu rompit le silence dans la pièce. Le lieutenant passa devant Olympe et se dirigea dans la rue.
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