Chapitre 45
Le lendemain, Olympe se rendit au service de consultations afin de faire examiner et retirer les fils de ses blessures. Tout était en ordre, la voilà apte à retourner au front. Elle voulut saluer le sergent Unmin, cependant Florian lui annonça qu'il était au bloc pour une troisième reprise chirurgicale.
— On va tenter de sauver son bras, mais rien n'est sûr, expliqua-t-il.
De retour à l'unité de convalescence, tous les soldats de la section se trouvaient dans la salle commune autour du lieutenant quand, la mine sévère, le commandant Plantain accompagné du capitaine Dinter déboula. L'heure était à la réorganisation de l'unité CHARLY.
— Tout d'abord, j'ai le regret de vous faire part du départ du capitaine Dinter, appelé à réaliser de nouveau des missions sous couverture.
— Pourquoi de nouveau ? murmura discrètement Olympe à Loïc.
— Il était sous couverture au moment du shut-down.
Cette voix, son sauveur, c'était lui ! Jamais elle n'avait fait le rapprochement pourtant, devant elle se tenait l'homme qui lui avait sauvé la vie. Nostalgique et surtout très contrariée par l'avenir de son sergent qui hantait ses pensées, elle divagua dans cette folle journée, terrée dans un abri de fortune, tentant d'échapper à la patrouille du MLF et sauvée par le capitaine infiltré. Tant de chemin parcouru...
— ...Qui pour le remplacer ? Guillaume Bela.
L'unité fusionnerait avec la section BABYLON après le lourd tribu versé lors du siège de mars et se mettrait en mouvement dès le lendemain. Hugo rejoindrait cette nouvelle équipe une fois sa convalescence terminée. Nouveau nom, nouveaux combats et surtout, nouveaux coéquipiers, Olympe détestait le changement. Sa meute s'agrandissait et son avis n'était pas requis.
— Une unité d'intervention spéciale va être créée. Elle aura pour fonction de sauver une catégorie précise de la population particulièrement malmenée par le MLF.
Le commandant se tourna alors vers Olympe.
— Vous serez à la tête de cette unité. Votre recrutement débutera dès demain. Félicitations Warenghem, vous voilà nommée Lieutenant. Votre supérieur hiérarchique restera le Capitaine Bela, qui supervisera également votre unité.
Abasourdie et sidérée, elle coupa son supérieur qui lui détaillait les missions. Comment pouvait-on prendre une telle décision sans l'en avertir au préalable ? La colère l'envahit. Avait-il une seconde envisagé la possibilité que ce poste et ces responsabilités ne l'intéressent pas ? Le commandant et les capitaines se regardèrent interloqués. Elle avait toute leur attention. Parfait. Avec tout son respect, ils ne pouvaient prêter de telles compétences à une civile enrôlée dans une armée révolutionnaire depuis sept mois pour l'unique raison que la RF était sa seule option de survie.
— Je n'ai rien d'un soldat et encore moins d'une leadeuse, je ne fais que suivre les ordres, termina-t-elle.
Guillaume se racla la gorge bruyamment et précisa que le coup d'éclat de désobéissance de ces dernières semaines était justement la raison de cette nomination. Hier encore, vociféra-t-elle en réponse, il lui en voulait toujours ! Ce genre de pression sur les épaules n'était pas faite pour elle. Hors de question d'être en charge de la vie de nouveaux soldats. Qu'il trouve quelqu'un d'autre. Sébastien par exemple, était fait pour ça !
— Impossible, monsieur Didain serait désormais le lieutenant de la nouvelle unité BABYLON, rebondit le commandant.
Olympe n'en avait que faire. Elle refusa catégoriquement, croisant les bras pour se donner une prestance qu'elle n'avait pas car la colère avait, en réalité, très vite cédé à la panique. Était-elle vraiment prête à reprendre du service ? Elle imaginait Félix étendu sur une table d'opération, des chirurgiens s'affairant autour de lui, Achille, quelque part, retenu, peut-être même torturé par le MLF, ses coéquipiers qui partiraient et elle qui resterait ici à monter une nouvelle unité. Son socle, sa stabilité volait en éclat et elle demeurait impuissante. Sa seule possibilité : refuser.
— L'équipe sera exclusivement féminine.
La bombe lâchée par Guillaume figea tous les soldats de l'unité. Le silence devint pesant. Des femmes ? Olympe plongea son regard terrifié dans celui de son nouveau capitaine.
— Le MLF a franchi un cap dans l'horreur. Nous savons de sources multiples que le groupe détient des prisonnières qui leur servent d'esclaves, de récompenses ou encore d'entraînement au combat et aux techniques de torture. Warenghem, ne me dites pas que vous n'avez pas remarqué l'état des femmes qui étaient avec vous lorsque vous vous êtes réveillée ? L'armée anglaise nous a informé de ce que le MLF faisait dans le plus grand secret. Ils ont vu de leurs yeux des prisons, des camps, des bordels appelez ça comme vous voulez, où ces femmes étaient retenues. Ils ont réussi à en libérer quelques-unes, celles qui étaient dans la même pièce que vous il y a quelques jours. Elles ont vu et ont subi l'horreur, Warenghem ! Des femmes sont prêtes à se battre et à prendre les armes et elles ne veulent le faire qu'avec une autre femme aux commandes et comprenez-moi bien, certaines anciennes victimes savent des choses essentielles sur le fonctionnement, voire même la localisation de ces prisons.
— Attendez, je comprends bien tout ça, mais vous n'allez pas me faire croire que vous n'avez pas dans vos rangs une femme militaire qui puisse tenir cette unité ?
Silencieux, laissant Guillaume tenter de la convaincre, le commandant déboutonna sa veste et sortit d'une poche intérieure plusieurs feuilles griffonnées.
"Vous souhaitez faire partie de l'Histoire ? Intégrez la première section d'intervention spéciale entièrement féminine."
À côté des candidatures, la même mention revenait : Sous le commandement de Olympe W. Le fauve qui sommeillait en Olympe, son instinct animal qui la guidait avait le tournis. Des noms l'interpellèrent. Justine, l'aide-soignante. Yvanka, la blanchisseuse... Que se passait-il dans sa vie ? Qu'avait-elle fait pour mériter que tout s'effondre une nouvelle fois sans crier gare ?
— Pourquoi me veulent-elles moi ? Parce que j'ai couru à moitié nue et couverte de sang le long d'une place pour demander assistance pour mes coéquipiers ? C'est un peu excessif vous ne trouvez pas ?
— Elles connaissent toute votre histoire, Warenghem. Mars 2020, votre sélection, l'assaut au collège. Bref, tout, annonça le capitaine fraîchement nommé.
Ahurie, abasourdie, acculée. La fureur grondait. Comment pouvaient-elles savoir ce genre de choses ? Seuls les hommes de cette pièce la connaissaient autant. Quelqu'un l'avait trahie. Elle sonda le regard de tous et Loïc, plongé sur ses bottes fut le seul qui ne soutint pas la frénésie irradiant ses pupilles.
— NAN, MAIS TU N'ES PAS SÉRIEUX LÀ LOÏC ? Pourquoi t'as fait ça ?
Son ami prit son courage à deux mains et pour la première fois de sa vie, tint tête à quelqu'un.
— Toutes ces femmes ont vu la mort de leurs yeux, certaines ne dorment plus, d'autres ne parlent même plus. Tu n'y es restée que 36 heures éveillée, je suis allé te voir tous les jours. Il a fallu négocier dur pour que ma présence masculine soit tolérée dans ce service. Leur confiance en l'homme est brisée alors j'ai pensé à ma sœur, Olympe ! Et si elle se trouvait dans une de ces prisons ? Ou si elle était dans un de ces lits quelque part dans la région ? Un après-midi, je leur ai raconté ton histoire. Je voulais qu'elles sachent qui tu étais et pourquoi des hommes tenaient autant à toi et voulaient être là quand tu ouvrirais les yeux. Alors Olympe, s'il te plaît, au lieu de refuser sans réfléchir, prends le temps, demande-toi si tu penses pouvoir venir en aide à ces femmes qui n'ont pas eu la chance de rencontrer au bon moment quelqu'un comme le Capitaine Bela.
— Lieutenant Warenghem, le recrutement débute demain à partir de 13h30 ici même. Réfléchissez bien. Grâce à vous, certaines ont l'espoir et l'envie de faire changer les choses pour celles qui sont encore dans cet enfer, fit le commandant, une main sur le bras de la jeune femme. Pour ma part, j'ai toute confiance en vous, le capitaine Bela également, il me l'a encore confirmé hier durant notre entrevue. Vous pouvez le faire !
La réunion terminée, énervée et surtout très déstabilisée, Olympe se réfugia dans sa chambre mais n'y resta seule qu'une poignée de minutes, vite rejoint par Loïc. Ses repères s'effondraient. Un à un. Encore une fois, son monde, tout ce qu'elle connaissait, disparaissait. Encore une fois, on lui demandait de quitter sa zone de confort, pour venir en aide à des êtres en détresse, mais en était-elle seulement encore capable ? Cette normalité, ici, loin des combats, avait changé la donne. La furie sommeillait, accordant du répit à la femme meurtrie. Devant ses larmes, Loïc tenta l'impossible. Pourquoi se mettre dans un tel état, l'opportunité était superbe ! Il n'y avait personne d'autre de plus qualifiée qu'elle, de plus fougueuse et de plus courageuse aussi.
— Arrête avec ça, ça n'est pas du courage, mais de la folie ! Et vous alors ? On ne se reverra peut-être jamais !
— Pas sûr, intervint le Capitaine Bela adossé à la porte. Votre section serait composée de neufs femmes, dix avec vous. Les lieux de détention sont très souvent dans les grandes villes. Vous devrez vous occuper exclusivement de la libération de ces camps sordides, avec l'appui de l'unité BABYLON ainsi remaniée. Vous vous occupez de ces prisons, eux, ils s'occupent de la ville entière.
Loïc essuyait de ses doigts les rivières de larmes qui coulaient encore sur le visage d'Olympe. Ainsi, ils continueraient de se voir, alors était-il nécessaire de se mettre dans un tel état ?
— Ces femmes ont parfois tout perdu, elles ont envie de se battre et vous veulent vous comme leader, Warenghem. Elles vous accordent déjà toute leur confiance en faisant ça, sans vous connaître, parce que votre histoire leur parle. Rencontrez-les au moins et vous verrez ! Si vous vous sentez portée par elles, alors on se lance et sinon, vous rejoindrez l'unité BABYLON et on tentera de trouver quelqu'un d'autre rapidement.
La voix douce de son capitaine mêlée à l'espoir dans les yeux de Loïc l'empêchaient de s'effondrer davantage. Portée par son équipe, elle se résigna. Son ami se leva pour l'enlacer, puis quitta la pièce. Derrière lui, Olympe ferma la porte et fondit sur Guillaume.
— Olympe, tout va bien se passer, fais-moi confiance.
D'une main, il caressait ses cheveux tandis qu'elle, tentait de se concentrer sur la fréquence rassurante des battements de son cœur, sans grand succès.
— Tu y es pour quelque chose dans cette affaire ? sanglota-t-elle.
— Absolument pas, on m'a mis moi aussi devant le fait accompli hier, lors de la réunion préliminaire. Olympe,
L'homme plongea ses yeux dans les siens.
— Tu n'as que deux questions à te poser en rencontrant ces femmes : est-ce que je leur confierai ma vie ? Et est-ce que je leur donnerai la mienne en retour ? Tu comprends ?
Guillaume l'embrassa tendrement sur les lèvres. Nouvelle application de baume. Comment ferait-elle sans lui, sans Loïc, sans eux tous près d'elle ? Sortant de la pièce, il lui dit :
— Vous verrez Lieutenant Warenghem, tout se passera très bien, j'y veillerai !
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