Prologue
Occident, début 2020. Un virus inconnu au taux de létalité et de contagiosité le plus important jamais rencontré dans l'ère moderne frappa le Monde. Huit cent millions de personnes atteintes, vingt millions de décès. La situation sanitaire catastrophique plongea les pays les plus durement touchés dans le chaos. Brésil, USA, Russie, Inde... Les grandes puissances s'effondrèrent les unes après les autres. Des milliers de morts quotidiens, des administrations dépassées par la rapidité de transmission, le manque de moyens pour combattre cet agent pathogène et une colère qui grondait aux quatre coins de la planète... L'anarchie s'installait. Insidieuse, terrible, écrasante.
Les inégalités des moyens mis en œuvre avaient déstabilisé l'équilibre du Monde.
Y compris en France. Non épargnée, complètement débordée, la République Française déploya l'armée de terre en renfort. Tous les effectifs mobilisés dans les opérations extérieures furent rapatriés. Cent mille soldats ainsi déployés sur le territoire. Hôpitaux, magasins de premières nécessités, entrepôts de stockage, cabinet médical, mairie, pharmacie... Objectif ? Alourdir la sécurité. Le pays était en guerre et la stratégie principale pour limiter la circulation du virus : maîtriser la circulation des Hommes. La gradation était primordiale pour que cette nouvelle ligne gouvernementale s'installe sans heurt. En quelques mois, on passa de l'attestation de sortie obligatoire au traçage satellite des téléphones portables en passant par la fermeture de toutes les écoles. Les internes ? Obligés de rester au sein de leur institution. Les transports en commun ? Jugés trop dangereux, ils furent interrompus. Pour les personnes les plus isolées, les besoins de première nécessité étaient livrés directement sur le palier. Cent cinquante mille policiers et gendarmes furent chargés des interpellations immédiates en cas de non respect des distances maximales à ne pas dépasser. Un algorithme fut créé afin de relier chaque citoyen selon son état civil. Ainsi, seuls les déplacements intrafamiliaux au premier degré étaient autorisés à raison de un par mois si et seulement si les parents, enfants, frères et sœurs vivaient à moins de vingt kilomètres de l'intéressé. Les maires reçurent l'autorisation de verbaliser. Les prisons débordaient alors les salles des fêtes devinrent des lieux de détention. Chaque jour, de nouvelles lois un peu plus lourdes et étouffantes que la veille. Difficile de se tenir informé en temps réel de leur promulgation. Un ordre : tolérance zéro. Les interpellations devinrent monnaie courante. Tout était conçu pour que personne ne sorte de chez soi, sauf en cas d'urgence absolue. Les sans domiciles fixes et gens du voyage furent pris pour cible. Responsables, aux yeux du gouvernement, de l'émergence de noyaux centraux épidémiologiques, les aires d'accueils ainsi que toutes les associations d'aide aux plus démunis furent suspendues. Les banques avaient reçu l'interdiction de saisir des biens en revanche, eau et électricité pouvaient être coupées en cas de défaut de paiement. Les indemnités de chômage furent mises en suspens, les allocations et autres aides également. Le pays sombra en un temps record dans la précarité.
Macabre, implacable, à mesure que la misère s'engouffrait dans les maisons, la terreur s'établissait. Les mois passaient, plus aucune liberté individuelle. Réagir ? Qui oserait s'opposer à un gouvernement qui tentait par tous les moyens d'enrayer une crise sanitaire sans précédent ? L'Etat était en guerre. Il fallait être prêt à tous les sacrifices pour protéger les siens. Cependant ses moyens n'étaient pas illimités. L'armée, en première ligne pour faire respecter l'ordre, s'affaiblissait. La plus grande difficulté ? Les pillages nocturnes. Maîtriser les émeutes, empêcher les regroupements et manifestations de civils pour le respect des droits fondamentaux le tout sans protection eut raison des forces de l'ordre qui tombèrent, soldat après soldat, malades. Police et Gendarmerie, acculées par les enquêtes quotidiennes et les arrestations toujours plus importantes, n'avaient plus la possibilité de réaliser leur mission première : protéger la population. Elles étaient devenues des armes répressives, rien d'autre. En réponse ? La haine citoyenne à leur égard grandissait. La méfiance grondait. À l'heure de la mondialisation sans limite, le pays s'était refermé sur lui-même et chaque individu ne pensait plus qu'à lui seul. Conséquence : les pénuries. Fruits et légumes, porc et volaille, majoritairement importés devinrent rarissimes et se vendaient le plus souvent à prix d'or. Dans les magasins, obligation de fournir une pièce d'identité ainsi qu'un justificatif de domicile de moins de deux mois prouvant le respect de l'éloignement minimal du foyer. Un plein de courses toutes les trois semaines. Pas plus. Maraîchers et éleveurs durent s'armer et monter des milices. Pommes de terre, pommes, abricots, miel, blés, choux, poules... Tout y passait. À grande échelle, mais également entre voisins... Sur les réseaux sociaux des pages de délations se multipliaient : lorsqu'un civil était pris le coffre plein, des individus malveillants publiaient la nouvelle et la nuit, des groupes pillaient le foyer, récupérant toutes les victuailles. Les services de lutte contre la cybercriminalité étaient impuissants. Trouver une arme pour se protéger devint une nécessité. La suspicion gonfla. Une crise et l'Homme redevient animal. Un vaccin, vite. Cette supplication était sur toutes les lèvres.
Pour aider au respect des règles imposées par l'Etat dans ce climat tendu à l'extrême, un mouvement composé de civils armés émergea. Autoproclamé Mouvement de Libération de la France, les citoyens travaillaient de concert avec les forces de l'ordre pour aider au maintien du calme au sein des villes de moins de dix mille habitants souvent malmenés par des émeutes en tout genre. Comment protéger des hommes et femmes prêts à risquer leurs vies pour celles des autres ? En les vaccinant. Pour conserver son premier investisseur étranger, la Russie offrit le précieux sérum qu'elle parvint à élaborer en un temps record. La contrepartie ? Que les ressortissants français travaillant sur le sol russe ne soient pas rapatriés et poursuivent les activités dans leur pays. Doses insuffisantes pour couvrir l'ensemble de la population, il fallut alors faire un choix. Qui protéger en priorité ? Le gouvernement Français trancha : les plus utiles. Les travailleurs considérés comme essentiels du domaine de la santé, de la logistique, des services à la personne, de l'alimentation, de la sécurité bénéficièrent de la protection contre ce virus dévastateur. La colère grondait en silence. À quand le vaccin pour tous ? À quand la levée de toutes ces lois liberticides ? Les conspirations quant à l'absence d'avancée autour d'un remède français allaient bon train. Une population apeurée est une population maîtrisée scandaient certains. Qu'est-ce qui prenait autant de temps ? Ne pouvait-on pas copier le schéma immunologique des russes ? Selon les hautes instances, celui-ci n'était pas efficace à cent pour cent et nécessitait des ajustements. Des rumeurs apparurent face au nombre grandissant de décès de personnes âgées hospitalisées. L'Etat réalisait-il des tests sur l'humain au sein des EHPAD ? Comment manifester son mécontentement et son sentiment d'injustice ? Comment bloquer un pays fonctionnant déjà au ralenti ?
En parallèle à ce contexte de tension sociale étouffée par le confinement écrasant, des dérives éclatèrent. On attribua au MLF des exécutions de civils lors de pillages ou des émeutes, des séquestrations abusives et totalement arbitraires de citoyens dépassant le couvre-feu instauré par l'Exécutif, des altercations violentes avec notamment des maires qui refusaient de voir s'étendre le pouvoir de cette milice. Que faisait l'Etat ? Trop concentré sur la récession qui alarmait les chiffres de la bourse et menaçait l'équilibre financier de l'une de plus vieilles puissances du Monde, le Président ferma les yeux. Ainsi, de manière lente et insidieuse, le pouvoir du MLF s'étala. Le silence de la République face à des exactions de plus en plus violentes ne pouvait plus être nié. Après une aberration en mars 2020 qui mit le feu aux poudres, le pays sombra dans le chaos.
Extrait de l'Histoire avec un grand H,
Éditions Hauts de France, février 2030.
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