Chapitre 64

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Qu'avait-elle sous les yeux ? Son rêve le plus cher. Lui. Heureux, souriant, semblant plus jeune, moins soucieux. Pouvait-elle reconnaître que devant ces yeux, un autre Guillaume se tenait à quelques mètres d'elle ? Ses oreilles bourdonnaient tandis que Cassandre l'invitait à prendre place. En roue libre, Olympe se laissa porter par son amie. Assise juste à côté d'Yvanka. Elle n'écoutait pas. Que lui disait-elle ? Qu'importe. Ici, aujourd'hui, son cœur s'était brisé. Comment avait-elle pu être si stupide ? Que disait Javier, son coach boxeur ? Se protéger. Toujours. Guillaume lui avait fait baisser sa garde et sa compagne lui avait asséné un upercut. La voilà dans les cordes et sonnée.

— Tu m'écoutes, là ou pas, Olympe ?

— Désolée, Yvanka. Non.

Un simple geste du doigt lui offrit la réponse.

— Merde... C'est qui cette femme ?

— Pas sa sœur en tout cas, intervint Cassandre.


Impossible de les quitter des yeux. Elle s'était jurée de changer, de ne jamais retomber dans ses vieux travers. Cette rage, cette colère était enterrée. Hors de question qu'elle vienne à nouveau faire une incursion dans sa vie. Désormais, elle pouvait se défendre seule. Place à la paix. Comment pouvait-il sourire à ce point ? Les mains de sa partenaire ne le quittait jamais. Prévenante, chaleureuse. Parfaite. Quel couple divin, magnétique, charismatique ! À mesure qu'elle détaillait les traits de son ancien capitaine, une chaleur grandissait. De la tristesse ? Non. Comme elle, Guillaume méritait d'être heureux. Cette guerre avait eu des conséquences terribles pour lui. Sa parenthèse, ce chapitre horrible devait également se refermer. Aurait-elle été capable de l'aider comme cette femme semblait le faire ? Olympe en doutait. Ils étaient liés certes, mais liés par l'horreur, par la mort, la souffrance, le sang, liés par la guerre.


En fond se jouait la cérémonie. Superbe, tendre et pleine d'humour, elle se déroulait tout en se délectant de cocktails. Ainsi, chacun se levait au gré de ses envies. Verre vide. Le remplir. L'alcool aiderait à supporter la vision de ce bonheur explosant son cœur.

— Oh Olympe, bonjour ! Je suis content de te voir, comment vas-tu ?

De toute façon, espérer ne pas intéragir avec lui de toute la journée n'était que pure utopie.

—Bonjour Guillaume. Ça va bien, merci.

Un salut poli en direction de la jeune femme qui l'accompagnait, un raclement de gorge de Guillaume et la conversation s'engagea.

—Olympe, voici Pénélope... ma... ma petite amie.

— Pénélope, voici Olympe, lieutenant d'une des sections que j'avais en charge.

Présentation insipide. Qu'on l’immole, vite ! Elle plongea alors son regard dans le sien. Que pensait-elle y trouver ? Qu'importe. Elle souhaitait qu'il voit le mal qui déchirait ses entrailles, rien d'autre, qu'il soit le témoin de sa souffrance.

— La célèbre Olympe ! Ben ça alors ! Je m'attendais à une femme à la carrure de camionneur, puissante et dévastatrice. Mais en réalité, Guillaume s'est bien gardé de me préciser à quel point tu étais belle. Je suis ravie de faire ta connaissance et si fière de vos exploits, surtout en tant que femme.

Paroles presque humiliantes, surtout venant d'une femme. Qu'aurait-elle dû lui répondre ? Que pour exister dans un monde d'hommes, il faut avoir le corps d'un homme ? Que le simple fait d'être une femme impose d'emblée la fierté ? Quelle horreur. Tant que certaines d'entre elles continueront d'agir de la sorte, la cause féminine n'évoluerait jamais.

— Pas besoin de mesurer un mètre quatre vingt dix et de peser quatre vingt cinq kilos pour tenir un FAMAS de moins de deux kilos, de tirer à bout portant avec un Glock ou de tuer au couteau un homme. Au contraire. Une femme est plus rapide, plus discrète, plus maline, plus imprévisible.

La gêne s'installa sur le visage de son interlocutrice. Parfait.

— Tu as raison, ce que je viens de dire est à la limite du cliché je te prie de m'excuser pour ma maladresse. Vous toutes avez eu le courage que beaucoup d'entre nous n'ont pas eu. Pour ma part, j'étais cachée dans un centre de rééducation, loin, très loin des combats. Et parfois, lors de dîners mondains, j'ose prétendre que j'ai connu la guerre. La seule chose que j'ai côtoyé ce sont les hommes brisés et amoindris qu'il fallait accompagner afin qu'ils reprennent goût à la vie.

— Et tu l'as fait merveilleusement, chérie. Où est Florian, Olympe ? J'aimerais le saluer.

— Avec Yvanka, juste là.

Lorsque ses pupilles tombèrent sur le duo, Olympe ne put s'empêcher de sourire. Yvanka souriait tandis que Florian lui parlait. Une victoire. Tout était possible. Devant l'incompréhension de son ancien supérieur, elle lui accorda quelques précisions. Elle avait trouvé en Florian non pas un amoureux transi mais un ami précieux. Elle sentait le regard de Guillaume sur elle. Hors de question de le croiser. À mesure qu'elle s'expliquait, son gouffre s'ouvrit à nouveau et arracha les cicatrices encore sensibles colmatant son cœur. Les doutes et regrets d'Olympe l'envahirent. Avaient-ils râté leur opportunité de vivre leur histoire parce qu'elle n'avait pas eu le courage de discuter avec Florian plus tôt ?

— Comment vous êtes vous rencontrés ? interrogea-t-elle sur un ton qu'elle voulait plus chaleureux.

— J'étais le kiné de Guillaume au centre de rééducation. J'ai immédiatement craqué sur lui, mais le concernant, il a fallu plus de temps. Des mois d'absences aux séances, des choses à régler, selon ses dires, puis lorsqu'il a enfin daigné faire acte de présence, j'ai saisi ma chance.

Comment lui en vouloir ? Elle avait eu le courage de faire ce qu'Olympe n'avait pas pu. La première fois qu'elle l'avait revu, ne l'avait-elle pas agressée verbalement ? Ne lui avait-elle pas craché toute sa rancoeur, toute sa tristesse, toute sa douleur lées à son silence ? Au lieu de cela, n'aurait-elle pas pu simplement lui pardonner et fondre dans ses bras ? Ainsi, tout aurait été différent. Mais jamais elle n'aurait rencontré Florian, si précieux à sa guérison. Interpellée par Solange qui souhaitait une photo avec les combattantes de l'unité W, Olympe s'excusa et s'éloigna rapidement. Au moment de quitter le couple, elle offrit un regard à Guillaume. De la tristesse ? Ou une tentative d'incursion de sa folie ?


La réception débuta ensuite. Olympe s'apprêtait à quitter la piste de danse pour laisser les amoureux se retrouver sur le son de Give me Love de Ed Sheeran lorsqu'elle fut interrompue par une main tendue.

— Une danse, lieutenant ?

Ce sourire. Jamais elle ne l'avait vu si heureux. N'avait-elle rien retenu de la guerre. Ne clamait-elle pas haut et fort à qui voulait l'entendre qu'il fallait profiter de la vie ? Un regard dans la salle. Un éclair. Yvanka dans les bras de Florian. Tous deux ondulaient avec tendresse sur la piste. Si la plus farouche célibataire osait s'ouvrir, qui était-elle pour ne pas accorder cette danse à son ancien partenaire ?

— Où est ta dulcinée ?

— Partie se refaire une beauté. Olympe... Tu es superbe.

Trois ans depuis la fin de la guerre. Trois années où la jeune femme rêvait de leurs retrouvailles dans ce monde normal. Loin des bombardements, des sièges, des hôpitaux de campagne, des bunkers... Mains chastement déposées sur sa taille, cette situation dénuée de toute intensité ramena Olympe les pieds sur terre.

— Jamais je n'aurais envisagé danser un slow si prude avec toi...

Cette simple phrase arracha le sourire de son partenaire. L'embarras s'installa.

— Ecoute, Olympe...

— Chut. Guillaume...

Elle refusait de l'entendre s'excuser, se justifier. Cet homme partageait sa vie avec une femme qui n'était pas elle. Qu'il en soit ainsi. Qui était-elle pour le vouloir rien que pour elle alors qu'il semblait filer le parfait amour avec une autre ? Il avait été son point d'ancrage durant cette guerre, son repère. Sans lui, cependant, depuis ces trois années, elle s'en sortait très bien. Bien sûr qu'elle était fière de sa reconstruction. Bien sûr qu'elle aurait voulu la partager avec lui. Mais la vie en avait décidé autrement. Le destin avait souvent décidé des pires choses pour Olympe. Louis... Et dorénavant Guillaume. Que pouvait-elle faire ? Lui dire au revoir. Le laisser partir. Cette danse représentait leur dernière étreinte. Corps contre corps. Il était temps d'ouvrir son cœur. Tout dire pour ne rien regretter. Tout dire pour avancer plus légère.

— Guillaume, merci. Pour tout. Merci de m'avoir soutenue depuis le début. Merci de ne pas m'avoir arrêtée après avoir pris ton arme et abattu cette ordure. Merci d'avoir cru en moi. Merci de m'avoir sauvé la vie et d'avoir veillé sur moi tout au long de nos missions. Avec toi, je me sentais en sécurité. Tu m'as fait confiance et m'as encouragée comme jamais personne ne l'avait fait pour moi. Merci pour l'unité W. Diriger ces guerrières m'a fait mûrir. Elles m'ont permis d'exister en tant que femme, pas seulement en tant que veuve. Et une dernière chose...

Sa poitrine frôlait son torse. Son corps s'enflammait. Contenir l'incendie pour continuer. Il le fallait. Elle voulait tout lui dire. Guillaume l'attira davantage à lui, pressant ses mains dans le creux de ses reins. Cette sensation, ce feu, ce bien être immuable malgré les années, arracha quelques regrets à Olympe, qui poursuivit.

— Merci infiniment d'avoir si bien pris soin de mon corps. J'ai quitté Florian car il n'était pas Louis. Qui pourrait l'être ? Je l'ai quitté car il n'était pas toi non plus. Tu m'as fait vibrer Guillaume. Tu as embrasé mon corps et tu as irradié mon esprit au moment où j'en avais le plus besoin. Sans toi, cette guerre aurait eu raison de ma santé mentale. Tu as été mon ancre dans cette tempête désastreuse. J'ai fondé des espoirs ridicules d'un nous depuis quelques mois. Et si j'ose me l'admettre, peut-être même depuis quelques années. Mais tu sembles heureux, Guillaume. Si heureux. Tu es différent lorsque tu es avec elle. Je t'envie. Moi aussi je désire cette part de bonheur. Je pense que je la mérite. Tu m'as ramenée à la vie et je suis fière d'avoir pu vivre tout cela avec la personne en qui j'avais le plus confiance à l'époque. Pénélope a énormément de chance. Chéris la et remercie la tous les jours que tu passes avec elle. La vie est courte. Tu es, comme moi, bien placé pour le savoir.

Sentant ses mains se crisper dans son dos, elle termina.

— Sois tranquille, je vais bien. Tu m'as aidée à faire mon deuil de Louis. Je dois maintenant faire mon deuil de toi, seule.

— Ah vous êtes là ! Je te cherchais partout, Guillaume.

— Tiens Pénélope, tu tombes très bien, je te rends ton cavalier.

Les yeux noyés de larmes qu'elle se refusait de verser devant son interlocuteur, Olympe s'éloigna tandis que Guillaume terminait le slow dans les bras de Pénélope, impuissant.

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