03.Entretien impudique

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Note de vocabulaire :

UNT : Université du North Texas

Bonne lecture !!!

Joyce

Midtown, Houston, Texas

Octobre 2023

— Tu vas assurer Microbe, respires un bon coup et laisses la lionne en toi rugir, cria la voix d'Emma à travers le haut parleur de mon portable.

Facile à dire. Mes prunelles se tournèrent par réflexe vers l'évier où était posé l'appareil, tandis que j'arrêtais la brosse du mascara à quelques centimètres de mes cils.

— Il est question de conclure un entretien d-d'embauche avec une période d'essai à la c-clé, p-pas une arène, bégayais-je en me concentrant une fois de plus sur mon maquillage.

— C'est la même chose, alors à l'attaque ! Montres à ces éditorialistes à quel point ils ont besoin de tes talents, m'ordonna-t-elle énergiquement alors que je soufflais une nouvelle fois.

J'aimerais tellement qu'elle ait raison... svelte et blonde, avec ses yeux clairs, c'était bien les seules caractéristiques qui prouvaient notre patrimoine génétique commun. Emma et moi étions pour le reste diamétralement opposées. Elle se voulait extravertie là où j'étais réservée, bruyante face à ma discrétion, entreprenante et assurée là où je me montrais hésitante et gauche.

— N'oublies surtout pas que... arrêtes Drew ! Bon Microbe, je dois te laisser, on se voit ce soir pour fêter ton nouveau post, ciao ciao !

Le bip de tonalité de fin ramena le silence dans la salle de bain alors que j'achevais de me préparer, le demi-sourire que j'avais aux lèvres s'éteignant. Ma sœur aînée avait bien plus confiance en mes capacités que le précédent rédacteur en chef face auquel je m'était retrouvée deux semaines auparavant. Après une présentation chaotique sous son regard froid, j'avais été gentiment remercié. Je soupirais bruyamment. C'est pas le moment de se démotiver ! Cette fois j'espérais que ce soit la bonne.

Ma candidature avait reçu une réponse favorable et j'avais été directement contacté par l'un des assistants du PDG d'A.J. Investigation. « J'aimerais vous soumettre un projet pour mesurer votre potentiel. Pourriez-vous me faire parvenir un article intégralement rédigé en vous basant sur la liste que je vous envoi par mail ? Si le résultat est satisfaisant, nous procéderons aux formalités d'usages. ». J'avais sauté sur l'occasion qui m'étais offerte de faire mes preuves et dans les deux heures, j'avais retourné le contenu d'un travail que j'estimais complet sur la boîte mail de Brett Samson.

Le lendemain même, sa réponse avait provoqué chez moi un accès de joie absolu. « Envoyez-moi vos références et nous finaliserons votre embauche lors de l'entretien physique. Lundi au siège d'A.J. Investigation. ». Nous y voilà, maintenant ! Ne reste plus qu'à passer le cap de la présentation...

East Downtown, Houston, Texas

Aussi stressée que lors de mon emménagement depuis Oklahoma au Texas, j'arrivais devant les portes translucides du bâtiment d'A.J. Investigation qui me renvoyait mon reflet. J'inspectais une dernière fois mon tailleur et mon blazer noir sur le col duquel se rabattait impeccablement celui de mon chemisier de soie bleu, ainsi que mon maquillage léger au niveau des yeux et la queue de cheval haute qui retenait mes mèches blondes. L'apparat, la tenue, mon masque pour m'imposer. Avec une profonde inspiration, je poussais la poignée et me dirigeais vers l'accueil, derrière lequel une femme à qui je n'aurais pas su donner d'âge se trouvait, en grande conversation téléphonique. Je m'arrêtais poliment face à elle, priant intérieurement pour qu'elle en ait bientôt terminé.

— Mais non, qu'est-ce que tu dis, Stephan ne l'a même pas calculé de la soirée...

Je jetais discrètement un coup d'œil à ma montre avant de relever les yeux vers elle.

— B-bonjour...

Je me raclais la gorge en constatant qu'elle ne m'avait même pas entendu. Du nerf Joyce, si tu commences comme ça, comment vas-tu t'en sortir face à tes employeurs ou collaborateurs ? Déglutissant avant de gonfler mes poumons d'air, je tentais une nouvelle fois d'attirer son attention.

— S'il vous plaît...j-j'ai rendez-vous, la hélais-je en haussant le ton en cours de route, agacée autant par son absence de considération que par mon manque de conviction premier.

À mon intonation, la femme détourna enfin les yeux dans ma direction, me scannant de la tête aux pieds comme une nuisance auditive et visuelle, avant de se pencher sur un registre.

— Nom ?

— Carson. J-Joyce.

— Vous êtes en avance, souligna-t-elle avec un mépris évident.

C'est pas un crime ! Son travail, c'est de gérer l'accueil. J'ai pas à me justifier !

— Je sais, répondis-je sur le ton de l'excuse, comme si j'étais en faute malgré tout.

— Troisième étage, couloir de gauche, dernière porte à droite, grommela-t-elle. Je vais le prévenir.

Je la remerciais et pris la direction indiquée vers l'ascenseur sans demander mon reste. Super, l'accueil. Lorsque j'atteignis enfin l'étage en question, je longeais le couloir et arrivais devant la porte en question.

— Ça va bien se passer, fredonnais-je en forçant un sourire poli, je suis Joyce Carson, future journaliste dont le travail sera reconnu. Allez...

Je toquais à la porte et actionnais la poignée avant d'ouvrir avec détermination.

— Bonjour, je me présente suite à...

Mes mots moururent dans ma gorge alors que je me pétrifiais littéralement sur place. Le visage d'une jeune femme assise sur le bureau, à l'expression entre la souffrance et l'extase se releva vers la porte, alors qu'un gémissement s'échappait de ses lèvres sous mes prunelles écarquillées. C'est pas ce que j'attendais d'un entretien d'embauche et d'un premier jour ! C'est comme ça qu'on recrute ?

— Ah...

Je m'empourprais en baissant automatiquement les yeux vers le pantalon et le boxer sur les chevilles de l'homme qui lui arrachait cette complainte, heureusement pour moi, de dos et niché entre les cuisses de sa compagne. Avant que ne lui vienne la brillante idée de se retourner et de me faire profiter du spectacle, je pivotais et décampais à toute vitesse en refermant la porte dans mon dos, frôlant l'arrêt cardiaque. C'était quoi ça ? Je me retournais de nouveau pour fixer la plaque murale à ma gauche et compris immédiatement mon erreur.

— Mince...

J'étais tellement obnubilée par mon paraître et surtout par mon élocution, en perpétuel dispute avec mon phrasé mental, que j'avais perdu de vue les indications de la secrétaire de l'accueil et emprunté le mauvais couloir. Je fis machine arrière sans attendre, encore sous la sidération de la scène dont j'avais été témoin. Un élan de frustration naquit en moi et je serrais les dents. Ils n'avaient qu'à fermer la porte à clé avant de batifoler ! J'y suis pour rien moi !

Je me postais devant la porte en ayant au préalable vérifié qu'il s'agissait du bon endroit. Je posais la main sur la poignée d'un geste mal assuré en priant pour ne pas tomber sur le cul nu d'un homme logé entre les jambes d'une femme, cette fois, puis entrais. Un homme d'une trentaine d'années environ, aux cheveux châtains coupés en brosse et légèrement ondulés était assit. Vêtu, à mon grand soulagement. Très concentré jusqu'alors sur son écran d'ordinateur, il leva des yeux chaleureux vers l'entrée et un sourire poli autant qu'interrogateur se dessina sur ses lèvres.

— Bon-bonjour, j'ai rendez-vous pour un entretien, me rattrapais-je autant que je le pouvais. Carson...

— ...Joyce, compléta-t-il en se levant pour m'inviter à m'approcher. Ravi de vous rencontrer.

Il était très grand. Il me dépassait aisément d'une tête et demi, maintenant qu'il était debout. Sa physionomie se voulait accueillante, ce qui me redonna un peu d'aplomb alors que je lui serrais la main. Elle était douce et chaude.

— Brett Samson en personne, sourit-il plus largement, c'est moi qui me suis occupé de votre candidature. Installez-vous, je vous en prie, et détendez-vous, me suggéra-t-il en me désignant le siège en face de son bureau. Promis je ne mords pas... le rédac-chef en revanche, c'est moins sûr, ajouta-t-il avec un clin d'œil. Je pouffais nerveusement avec un signe d'acquiescement et m'installais alors qu'il se rasseyait à sa place initiale.

Le rédacteur en chef... Je me demandais si c'était lui que j'avais malencontreusement surpris dans les bras d'une femme. Je suppose que pour s'envoyer en l'air dans les locaux d'un journal, il faut avoir le statut le plus élevé ou s'en approchant pour ne pas s'inquiéter des répercutions. Il n'avait pas bronché en entendant la porte s'entrouvrir, ni même interrompu son activité. Est-ce que...

— Je vais être franc avec vous, Joyce, affirma Brett alors que sa mine ainsi que son ton se faisaient plus sérieux.

Je me raidis imperceptiblement. Allait-il me dire que je n'avais pas la stature et la prestance pour intégrer leur équipe sans même m'interroger ? Ou... mes yeux s'agrandirent. Allait-il m'expliquer que la sélection des membres s'effectuait sur la base de ce que j'avais vu dans l'autre bureau ? La promotion-canapé ne faisait pas partie des options que j'envisageais pour progresser. Je me concentrais sur les mains croisées de Brett plutôt que son regard, un peu troublant, alors que je me tassais sur ma chaise.

— J'ai réceptionné une bonne vingtaine d'articles en plus du vôtre, et en plus d'avoir été la plus rapide... Joyce, est-ce que tout va bien ?

— J-j-je vais b-bien...

Je transpirais un peu. Je hochais fébrilement la tête pour l'inciter à poursuivre en m'essuyant la tempe du dos de la main de façon discrète. Son visage s'éclaira d'un nouveau sourire bienveillant.

— Votre article a été le plus probant d'entre tous, affirma-t-il avec une certaine excitation. Vous avez un talent absolument inné pour créer les liens là où beaucoup d'autres n'ont vu qu'une juxtaposition d'éléments sans aucune corrélation. Vous êtes parvenue à ressembler toutes les données tandis que d'autres compte-rendus se bornaient à en omettre certaines. Vous synthétisez avec fluidité et aisance et... votre plume est sensationnelle, pour ne rien gâcher. Maintenant, je vais vous demander de répondre à une question : pourquoi le journalisme d'investigation ?

Il semblait attendre une réponse précise. Peut-être pas. Calmes-toi, Joyce. Pourquoi avais-je choisi cette branche... Pendant un court instant, je délaissais le lieu, mon interlocuteur. Je n'entendais qu'une seule chose. La musique. À cet instant précis, les mots roulèrent sur ma langue au rythme d'un fredonnement que je jouais et rejouais dans mon esprit. Mes doigts pianotaient sur mon genou, accompagnant ma mélodie interne.

— Parce que la course à l'exclusivité ne m'intéresse pas. Les sujets qui sont sensibles à mes yeux ne concernent en rien la presse ou la revue, dans lesquelles la politique et l'économie ne s'invitent que trop. Parce que... je veux que mon travail soit... soit... vraiment utile.

— Quitte à prendre des risques ? Me questionna-t-il, son timbre s'assombrissant concurremment à ses prunelles, soudain plus perçantes.

Je déglutis avant de reprendre la parole, sans interrompre la cadence de piano de mes doigts, sous le bureau.

— Aucun métier n'est sans risques.

La lueur d'avertissement que j'avais cru voir dans les yeux de Brett disparut, et son air avenant reprit place sur son visage harmonieux. Il se pencha vers moi par dessus son ordinateur et me souffla quelques mots sur le ton de la confidence.

— Je dois vous avouer que votre style me plaît beaucoup, et si j'avais été à la place de vos concurrents, j'aurais ressenti de la jalousie.

— Merci, M-Monsieur Samson.

— Appelez-moi Brett. Autant commencer par les prénoms puisque nous serons amenés à travailler sur certains projets ensemble.

J'ouvrais grand les yeux. C'est tout ? J'étais prise ? Comme ça ?

— M-mais... et ma présentation... n'est-ce pas là-dessus que vous deviez m'évaluer en second l-lieu ? Fis-je, abasourdie.

— Vous préféreriez ?

Je répondis par la négative de la tête avec lenteur.

— J'ai besoin de votre aptitudes à manier la plume et de vos capacités d'analyses, Joyce, pas de votre éloquence.

Et heureusement pour moi, pas de mon postérieur. Je relâchais une inspiration aussi étonnée que soulagée. Brett, lui, se rehaussa sur son fauteuil avec satisfaction.

— J'étais conquis par votre article et j'avais déjà pris ma décision avant même que vous ne franchissiez les portes d'A.J. Investigation. Pourquoi passer par une attente facétieuse ? Maintenant que c'est acté, parlez-moi un peu de votre parcours...

J'évoquais sommairement mon départ du comté de Carter après le lycée, ma scolarisation à l'UNT et la spécialité que j'avais choisi, suite à laquelle j'avais travaillé pour le compte d'un journal indépendant jusqu'à ce qu'il ne soit déclaré officiellement en faillite. Il écoutait avec concentration, sans se formaliser au sujet de mes balbutiements intempestifs et acquiesça à la fin de mon élocution.

— J'ai vu sur votre cv un manque d'une année suite à votre cursus de lycéenne. Une raison particulière ?

Mes dents se serrèrent mais j'affichais au mieux le masque le plus détaché possible.

— J'avais... b-besoin de faire une pause.

Il ne posa aucune autre question à ce sujet et embraya sur la partie administrative, ce dont je lui fus gré.

— Vous allez être affecté à un binôme qui, je le pense, vous sera bénéfique. Vos profils et aptitudes sont très complémentaires. Je vais vous présenter et faire le guide, puisque je connais la maison comme personne, rit-il.

Brett se leva. Je l'imitais avant de lui emboîter le pas en direction d'un nouvel étage, avec une sensation de tournis euphorisant. J'étais prise... dans le secteur que je voulais... j'allais retravailler après ces deux derniers mois de galère !

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Bonjour à tous !!!

Nous avons maintenant fait la connaissance de Joyce qui, malgre son départ de matinée mouvementée, réussi haut la main son entretien en dépit de ses difficultés à l'oral.

Au prochain chapitre -de quel POV d'ailleurs, excellente question (Brett/Joyce...des préférences ?), nous découvrirons certainement la partenaire de Joyce, mais aussi...à suivre !!!

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