11.Psychiatrie et dynastie Hart

9 minutes de lecture

Alec

Houston Methodist West Hospital, service psychiatrie, Houston

Avril 2009

Pourquoi je respire encore ? Pourquoi moi, je l'étais, en vie ?

Je m'éveillais dans un lit d'hôpital, incapable de savoir où j'avais mal sur le plan physique. Incapable de décrire ce qui me travaillait. La seule souffrance que j'éprouvais, elle me lacérait le cœur. L'infirmière, puis le toubib se succédèrent à mon chevet, mais je ne répondais à aucune de leur foutues questions.

Le soir-même de ma sortie du coma, j'avais tout cassé dans la chambre où j'étais, au point où les infirmières de gardes ont du appeler du renfort. On m'a injecté une substance qui a ramolli tout mon corps suffisamment vite pour que je retourne chez Morphée. La belle affaire, on me sortait du coma au bout de plusieurs mois pour me replonger dans le sommeil. Pourquoi est-ce que vous m'avez sauvé ? Pour quoi ?

Mon second réveil fut aussi abominable que le premier, si ce n'était plus. Je fixais les lanières avec lesquelles on m'avait attaché au lit.

« Je sais que la situation est difficile pour vous à l'heure actuelle mon garçon, mais c'est aussi dans votre intérêt, vous risqueriez de vous porter atteinte à vous-même en plus d'autrui ».

Enfoiré de toubib. J'avais tenté de le traiter de tous les noms, à ce moment précis, mais ma voix refusait de coopérer. Ce fait aurait peut-être dû m'angoisser mais ça n'avait déjà plus d'importance, à mes yeux. Pourquoi moi, je pouvais toujours pleurer ou frapper ? J'avais la capacité de sourire, alors que Kara n'avait plus ce putain de droit ! Je pouvais manger, mais Evan ne goberait plus jamais les frites qu'il volait impitoyablement dans mon assiette en s'esclaffant comme un demeuré.

J'avais tellement besoin qu'il revienne me piquer ma putain de part. Mes yeux me brûlaient. Ma propre respiration me ravageait la cage thoracique. J'avais l'impression de sentir mon palpitant subir la compression d'une main, d'un poing. Quitte à crever…

Les jours qui suivirent furent porteurs de mauvaises nouvelles. Mes parents attendaient d'avoir l'autorisation de me voir depuis ma crise d'hystérie. Ils furent choqués par les liens qui me maintenaient aux barreaux du lit, et mon père, à grands secours de regards sévères, d'exigences et d'assurance qu'il me surveillerait, obtenu qu'on me détache sous condition. Je devais voir un psy au préalable, pour lui parler de...enfin parler, c'était un bien grand mot. Le toubib de mes deux avait finalement lâché son diagnostique.

« Votre fils est atteint de mutisme. Ce trouble n'est pas irréversible, il devrait s'estomper dans les semaines à venir, mais sachez qu'il a besoin d'une thérapie. ».

Mon père s'y était opposé, assurant au médecin que ce dont j'avais besoin, c'était de mes proches. Est-ce qu'il avait raison ? Peut-être. Peut-être pas. Une chose était sûr en revanche, il avait dû capituler quatre jours plus tard à la suite d'un nouvel épisode de crise. A l'instant où j'avais vu l'actualité mes poings s'étaient crispés. Ils relataient les faits avec une neutralité et une froideur accablante. Une tuerie de masse avait eu lieu presque trois mois plus tôt dans le lycée d'Houston Height, faisant 12 morts ainsi qu'une vingtaine de blessés, dont deux grièvement. Le second aurait succombé à ses blessures, une semaine plus tard. Matthew Dawson. Matthew. Je ne le connaissais que très peu, seulement de vue. Il aurait eu seize ans le mois dernier. 13 élèves descendus. Les tireurs avaient été appréhendés par les forces de l'ordre, au nombre de trois. Trois ?  Comment ça, TROIS ?

Un interrupteur avait basculé dans ma tête. Je ne gardais pas le souvenir intégral de mon moment de folie, si ce n'était l'œil au beurre noir d'un infirmier. J'avais fini en isolement, le temps que je me calme, apparemment. Et là, j'avais commencé à paniquer. Non ! Je dois leur expliquer ! Si je finissais interné, personne ne saurait. Sauf les monstres qui l'avait oublié. Ou couvert. Je devait leur dire, leur écrire. Ils devaient savoir. Ils devaient savoir qu'il en manquait un, bordel !

Je me montrais particulièrement hostile avec le personnel, autant qu'avec les soi-disant professionnels de santé. Durant ce laps de temps, mes parents me soutenait. Je voyais bien que ma mère faisait au mieux pour me dissimuler sa peine, mais elle paraissait à deux doigts de s'effondrer, à chaque fois qu'une infirmière venait annoncer la fin des visites. Mon père lui, me pressait affectueusement l'épaule avec la même phrase, chaque fois. « Bats-toi, fils, maintenant comme demain ». Christopher Jones n'était pas un grand bavard, et je commençais, de façon moins naturelle, à lui ressembler sur ce point. Au terme de deux semaines cependant, il ajouta quelques mots aux habituels, que je fus le seul à saisir. « Bats-toi mon grand, maintenant comme demain, mais fais-le intelligemment ».

La nuit me porta conseil. Je compris. Je me calmais, ne bronchais plus les jours suivants. Je restais sage. Trois mois entiers s'étaient écoulés depuis le drame. Sauf pour moi ou les proches des victimes, quelle urgence y avait-il, pour eux ? Je coopérais. J'acceptais la thérapie qu'on me contraignait à suivre au sein de l'hosto, les visites de la psy, même les médocs, que je bazardais quelque part dès que j'en avais l'occasion. Mais je me refusais de parler de Kara ou d'Evan. Le monde entier méritait de savoir les personnes fantastiques qu'ils étaient, mais pas pour être consignés dans un vulgaire compte rendu psychiatrique.

Après trois semaines de suivi cependant, j'écrivis une lettre à la psychiatre pour lui demander une autorisation de sortie. Ma petite copine et mon meilleur ami avait été enterrés, j'avais manqué leur hommage. J'avais manqué de voir leurs visages une dernière fois. J'y fus autorisé, selon une plage horaire définie au terme de laquelle mon père devait me ramener, le temps que je termine ma thérapie. Et jusqu'à la fin des deux mois d'hospitalisation forcés, je n'évoquais plus le tireur, jusqu'au jour de ma sortie, sur demande.

— Je suis ravie de voir que tu te portes mieux, Alec, me sourit aimablement la brune.

Ravi que tu le penses aussi, plus qu'une heure avant de me casser d'ici.

— Si tu n'es pas prêt, tu peux demander une prolongation provisoire de ton séjour ici, si tu veux.

Alors là, va courir à poil dans un champs de blé si ça t'éclates, et fous-toi ta prolong' là où je pense.

Je secouais lentement la tête pour lui signifier que non, je n'avais pas l'intention de rester ici.

— Protocole oblige, je me dois de m'assurer que tu es sûr de toi. Les premiers temps de réadaptation vont être dur, mais avec ton caractère, je sais que tu sauras t'y faire. Je me dois également de refaire un point global avec toi avant ta sortie définitive, même si des séances seront maintenues. Qu'en est-il du tireur isolé ?

Malgré toutes les fois où j'avais entendu soutenir son inexistence, je demeurais intérieurement ébranlé. J'attrapais le crayon à papier et le bloc à disposition pour commencer à écrire. J'étais certain des traits de son visage. Je le revoyais éveillé si j'y pensais, il me suivais jusque dans mes cauchemars. Mais les faits étaient là. Personne ne croyait en la présence d'un quatrième tireur sur les lieux du massacre. Personne ne me prenais au sérieux, depuis mon pétage de plomb. Sauf mes parents.

« La tuerie. J'étais confus, j'ai dû projeter une image d'un tireur supplémentaire pour justifier mon sentiment d'injustice. »

Il existe. Il a peut-être pu s'échapper ou a été couvert et blanchi, mais cette enflure n'est pas le fruit de mon imagination...

« Personne ne mérite de vivre ça. Ce point restera flou pour moi, mais j'apprendrai à vivre avec. »

...et ce, jusqu'à ce que je retrouve cette pourriture.

Brenham Ct, Houston, Texas

Octobre 2023

J'avais annulé mon entretien et pris mon après-midi pour replonger dans mes dossiers personnels. Les piles d'informations, les articles en ligne que j'avais imprimé, les blogs, les forums, à la recherche du moindre indice, toutes ces années. Mon travail tenait en une seule pièce. En deux immenses tableaux murales desquels les compte rendus débordaient pour s'étaler sur le mur. Les fausses pistes. Les canulars. Les espoirs. Un morceau précieux de ma vie partie en fumée sur lequel certains se plaisent à affabuler encore. Voilà ce que cette putain de vaste pièce contenait. J'espérais qu'elle détienne la clé de réparation d'une injustice, et de ma vengeance.

J'attrapais l'une des pochettes qui classifiait les éventualités qui lui avait permis de continuer sa petite vie. J'imaginais qu'elle n'était pas si mauvaise, mais j'étais loin de penser qu'elle fut si bonne. Riley Hart. Fils du multimilliardaire Paxton Hart dont le business régnait en maître aux quatre coins des Etats-Unis, aussi prolifère que Pfizer post épidémie, dont il était le concurrent direct. Immunité. Passe-droit quasi illimité. Fraîchement connu du grand public, entré en fonction en qualité de porte-parole la semaine précédente. Un putain d'emploi inutile et fictivement légal dans lequel cet enfoiré ne risquait rien. Ca va pas durer Riley, crois-moi. Evidemment, ça me paraissait clair maintenant. J'avais déjà envisagé l'hypothèse qu'il eut été arrêté puis relâché à la demande d'un tiers. Son implication avait donc belle et bien été étouffée pour préserver la notoriété paternelle. Putain je les haïssais. J'attendais impatiemment les détails des affaires du patronyme de ceux que je devais maudire. Les Hart.

« Je t'enverrai mon rapport à 19 heures, mec. ». Je détournais mon regard vers mon téléphone. 18h45. Brett était ponctuel, je ne m'inquiétais pas. Pendant que je grattais le papier avec une expression neutre, je me remémorais les clichés des adolescents inculpés pour homicides volontaires et prémédités. Joshua et Thomas. Ils avaient été décrits par le service de presse comme « deux adolescents qui en avait marre d'être rackettés et harcelés  pendant les interclasses, et qui aurait subséquemment  fait appel à un ami pour prendre part à ce massacre ». Je me souvenais très bien d'eux  même si, pour ma part, je ne les avais jamais emmerdé. J'avais pris la défense de l'un ou de l'autre alors que j'étais témoin d'un lynchage en plein réfectoire, mais la plupart du temps, je ne m'en mêlais tout simplement pas. J'aurais pu. Si j'avais agi davantage, plus tôt, peut-être que ces connards n'auraient pas disjonctés. Peut-être que...

L'amer sentiment de culpabilité revint, en arrière-plan cependant, lointain. Elle était parvenue à apaiser mes regrets quant à mon inaction passée. Joyce. La douleur demeurait présente, même après une décennie, mais Joyce m'avait aidé à remonter la pente. Je passais une main sur mon visage afin de repousser physiquement le cours de mes pensées. Le son de réception d'un sms me fis sourire en découvrant l'auteur.

Imbécile-Heureux

« Mates ton mail, j'ai choppé tout ce que j'ai pu. Joyce aussi avait commencé des recherches annexes, j'ai croisé tout ce qu'on avait. »

Moi

« Bien joué, Brett. Deuxième mission»

Je me dirigeais vers la cuisine pour me faire couler un café. La nuit qui m'attendait promettait d'être intense, et j'espérais qu'elle puisse être la première d'une succession de celles qui me rendrait le sommeil.

Joyce

Midtown, Houston, Texas

Octobre 2023

« Je suis navré Joyce, mais l'affaire sur laquelle vous travaillez actuellement vous est officiellement retirée. Ordre du supérieur hiérarchique, à effet immédiat. »

PARDON ? Le sms que je venais de recevoir de mon responsable me fis lâcher un râle de protestation. C'était injuste ! Je voulais mener à bien cette enquête et remonter jusqu'aux coupables. C'était bien plus pour moi qu'apporter la simple preuve de mes compétences. J'avais besoin de commencer, et de finir. J'avais besoin d'ordre. J'en avais besoin. Il le savait. Alors pourquoi ? Pourquoi Alec me faisait ça ? C'était un coup-bas. Non-content d'ajouter à la pression que j'éprouvais de l'avoir pour supra-boss, il s'en servait pour me déstabiliser de toutes les façons possibles. Je serrais les dents en regardant mon écran d'ordinateur, tandis qu'une larme de frustration coulait sur ma joue. 19H05.

J'allais devoir attendre le lendemain. Je devais le confronter. Mais je n'allais pas abandonner comme ça.

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Bonjour tout le monde !!!

Ce chapitre aborde concrètement une tranche de vie du passé d'Alec qui se révèle être un personnage plus complexe qu'il ne le laissait supposer. Il retire l'affaire Dudson / Hart des mains de Joyce qui y semble très fermement opposée.

Les retrouvailles du prochain chapitre suggèrent de nombreuses étincelles... à très vite !

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