14.Interview et entrainement

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Alec

A.J. Investigation, East Downtown, Houston, Texas

31 Octobre 2023

J'y étais. Je venais d'obtenir l'autorisation d'une interview auprès de l'un des sous-fifres d'Evy-health au sein du cabinet Dudson, plus rapidement que je ne l'avais envisagé. Bien évidemment, l'intitulé de demande que j'avais adressé au groupe s'avérait bien plus élogieux que les questions qui allaient réellement survenir au cours de l'entretien et je m'en réjouissais d'avance. Il n'y aurait aucun retour en arrière possible. Dès lors où mon nom finirait dans leur liste noire, les Hart en seraient probablement avertis et sauraient pourquoi je m'intéressais à eux. J'aurais pu utiliser le patronyme de Brett, ce dernier me l'ayant proposé par deux fois. « Tu garderais l'effet de surprise, Alec. ». Il s'était même proposé afin de s'y rendre à ma place, mais j'avais décliné. Je voulais qu'ils comprennent à qui il allaient se retrouver confronté et pourquoi. Les malversations pour le compte des Dudson n'était qu'un simple prétexte pour appuyer sur le détonateur. Ils allaient payer pour le nombre de victimes et de fraudes dont ils s'étaient rendus sciemment coupable. La fratrie Dudson allait tomber et elle entrainerait tout un pan d'Evy-health, je m'en était fait la promesse.

Je jetais un coup d'œil à mon portable et me décidais à partir. J'aurais, certes une heure d'avance, mais rester plus longtemps assis me rendait nerveux. J'envoyais ma sacoche sur le siège passager et pris le volant de ma voiture avec la sensation euphorisante que je m'accrochais à la bonne branche. L'adrénaline pulsait dans mes veines alors que les kilomètres qui me rapprochaient du lieu du cabinet diminuaient. Après deux heures de route, je me garais à proximité de l'établissement de santé, avec autant de hâte que d'irritation, deux émotions que je ne discernais pas derrière le regard froid que me renvoyait le miroir du rétroviseur. Bien.

Je franchis les portes du cabinet pour me rendre directement à l'accueil, tandis que l'odeur aseptisée du rez-de-chaussée envahissaient mes narines. Je soulevais mon badge sous le nez de la secrétaire en enclenchant mon portable devant son air interrogatif.

« Alec Jones du journal A.J. Investigation, j'ai rendez-vous avec le docteur Marvin Dudson. »

— Oh, votre collaboratrice vient d'arriver juste avant vous, je vous laisse patienter dans la salle d'attente sur votre gauche, le docteur Dudson vous recevra bientôt.

Collaboratrice ? Je lui lançais un regard perçant auquel elle répondit involontairement en rentrant la tête dans son cou. Quelle femme stupide. Je camouflais mon incompréhension et mon exaspération naissante par un hochement de tête et pris la direction indiquée d'un pas autoritaire. Cette secrétaire était d'une bêtise navrante, au point de ne pas retenir le nom des organismes de presse dont elle notait les interventions. J'avais un journal concurrent sur cette affaire ?

Je connaissais la réputation de la majeure partie des journaux d'investigations du Texas et des Etats voisins. Il me tardait de voir quelle emmerdeuse ils avaient envoyé, que ce cabinet de déficients mentaux avait préposé le même jour que moi. Mais lorsque je pénétrais dans la salle d'attente, une rage indicible enflamma tout mon corps. Qu'est-ce que cette garce foutait là ? Brett ne pouvait pas m'avoir trahi. Les analogies se tissèrent d'elles-mêmes, emportant une partie de mon self-contrôl.

Joyce

Comté de Jasper, environ 134 km de Houston, Texas

J'attendais avec presque autant de nervosité que de détermination l'apparition du docteur Dudson. J'avais rassemblé toutes les informations concernant sa contribution au sein du cabinet, son emploi du temps ainsi que la liste de chacun de ses patients personnels, et il s'avérait que le plus « travailleur » des frères, c'était le cadet, Marvin. Rien ne reliait concrètement leur sœur à leur business illégale, mais le simple fait qu'elle ait accès aux bilans et rapports mensuels en qualité de co-gérante, tout comme eux, l'incriminait en tant que complice directe.

Une main incroyablement grande se referma autour de mon bras avant que je ne soit relevée et remise sur mes pieds contre ma volonté. Je rencontrais le regard noir d'Alec. Sans me laisser le temps de me justifier, il me traina malgré mes protestations à peine audibles vers le hall, sous le regard plus que surpris de la secrétaire, et m'obligea à sortir du bâtiment, me succédant. J'étais légèrement remuée, mais surtout en colère. Le gougeât, il aurait pû y aller plus doucement. Je me massais le bras en le fusillant des yeux alors qu'il me relâchait et se tournait vers moi. Son poing s'abattit dans le mur, à quelques centimètres de mon visage, mais je ne cessais de le fixer pour lui faire comprendre qu'il ne m'effrayait pas. A l'intérieur, j'étais déjà en train de prier pour qu'il ressente ne serait-ce qu'une once de sympathie pour moi. Non pas au regard de tout ce que nous avions vécu plus jeune, j'étais certaine qu'il n'éprouvait pas l'ombre d'un remord, ni pour le passé, ni pour la façon dont il venait de me traiter. Mais au moins pour les courtes journées où j'avais pu me rendre utile au journal. Sois cool Alec, ne me transformes pas en poster !

Son poing, encore fiché dans le mur, tremblait sous l'effet de la rage, bien plus intense que la mienne. Il ferma les yeux, et je patientais, consciente de la frustration qu'il endurait à ne pas pouvoir me hurler dessus comme il le voudrait. Il rouvrit des yeux toujours aussi dangereux sur moi, mais quelque chose dans ses prunelles me rassura sur le fait qu'il gérait son accès de colère.

« A quoi vous jouez Carson ? »

L'emploi du vouvoiement, alors que je n'étais plus chez lui, sa proximité et son souffle qui balayait mon front me firent bouillir et je croisais les bras pour garder contenance.

— Je ne suis pas tenue de vous faire un rapport détaillé de mes journées, je ne travaille plus pour vous.

« Vous savez que je peux vous poursuivre pour usurpation de fonction ? Vous n'êtes plus mon employé. De quel droit vous vous présentez ici en qualité de journaliste officiel d'A.J. ? »

— Faites-le, lui répondis-je d'une voix blanche. Mais laissez-moi la terminer avec vous.

« Je pourrais licencier Fritzberg et la poursuivre pour atteinte au principe de confidentialité ? », suggéra-t-il avec un regard mauvais.

Il avait compris que l'info venait d'elle. La peur envahie mon système nerveux, mais je bluffais.

— Vous n'avez aucune preuve.

Il secoua la tête avec un rictus méprisant et vainqueur.

« Votre relevé téléphonique ou le sien suffira pour un juge. »

— Vous ne pouvez pas lui...

Il abaissa son bras et attrapa mes phalanges, les immobilisant fermement dans sa main, sans me lâcher du regard.

« Je ne peux pas quoi ? »

— V-vous ne... vous ne p-p-pouvez pas...

Mon souffle s'accélérais malgré moi, et en dépit de ma bonne volonté, ma langue fourchait, les mots s'envolaient. Je baissais les yeux vers mes doigts immobilisé dans sa main avant de retrouver ses yeux alors qu'un vent de détresse interne m'acculait. Il savait exactement ce qu'il faisait. Il me regardait partauger et lutter contre moi-même sans bouger. Mes canaux lacrymaux se serraient douloureusement, mais je n'allais pas lui faire ce plaisir.

« Comment voulez-vous être celle qui pose les questions quand vous n'êtes pas à même de répondre à celles de votre employeur et de garder contenance ? »

C'est toi qui parles de garder contenance, sans blague ? Tu vas beaucoup trop loin, Alec !

— C-c-c'est mal ce q-q-que t-tu fais, soufflais-je, t-tu d-détesterais le s-s-subir, A-Alec.

Son prénom s'éteignit sur mes lèvres dans un murmure las et je m'immergeais dans le fond de ses yeux pour lui faire sentir ma frustration et ma haine. Je ne savais si c'était le tutoiement, son nom dans ma bouche ou mon accusation, mais un soupçon de doute traversa ses prunelles. L'emprise qu'il exerçait sur moi disparue en même temps que sa main autour de la mienne et il me tourna le dos. La honte m'assaillait et je me sentais minable d'avoir perdu la face devant lui, plus que quiconque. Si tu savais à quel point je te déteste en cet instant, Jones. Je tapotais compulsivement ma hanche pour me reprendre, en me représentant visuellement la gamme que j'aurais voulu jouer.

— Je ne travailles plus pour toi, je le sais. Mais laisses-moi participer à cette affaire. J'en ai besoin Alec. Je dois terminer, appuyais-je mes derniers mots avec ferveur.

Il se retourna lentement dans ma direction et me dévisagea pendant de longues secondes, de nouveau imperturbable.

— Tu ne le regretteras pas, essayais-je de le convaincre encore, les sourcils froncés. Tu sais ce que je vaut. Accordes-moi au moins jusqu'à la mi-Novembre. C'était mon délai, non ? Laisses-moi creuser et écrire l'article qui sublimeras ton intervention.

La porte s'ouvrit sur la secrétaire qui nous héla.

— Le docteur Dudson vous attends dans son bureau.

Elle retourna aussitôt dans le bâtiment. Alec se dirigea vers l'entrée du cabinet dentaire avant de tourner la tête dans ma direction et souleva son portable.

« Je n'ai pas encore signé ton renvoi officiel, Joyce. Comme tu insistes, prouves-moi que tu mérites de rester, puisque tu es là. »

Est-ce que j'avais bien entendu ? Sans attendre, je me précipitais à sa suite, des fois qu'il ne changea d'avis.

Alec

Cabinet dentaire Dudson, Comté de Jasper, Texas

Je n'avais pas prévu d'embarquer Joyce dans cette affaire. Pas celle-là. Tout ce que je souhaitais, c'était l'écarter momentanément d'Evy-health. Et maintenant, elle se trouvait assise à mes côtés dans le bureau d'un escroc. Qu'est-ce qui m'a pris ? Je me sentais partiellement coupable, et cette culpabilité venait de me pousser à faire le mauvais choix. Ce que j'avais lu dans son regard, au moment où j'avais scellé le flux de ses mots en emprisonnant ses gestes, son reproche... J'étais prêt à utiliser contre Joyce ce que j'avais contribué à faire éclore en elle. J'étais passé du meilleur au pire pour elle. Le passé me frappa en pleine tête avec la violence d'un clocher et je retins un rictus amer. Je n'avais pas à me sentir responsable. Elle l'avait cherché.

Lycée public de Springer, Oklahoma

Décembre 2010

Assis sur l'une des chaises, je contemplais d'un œil hautain les piètres tentatives de miss Bègue, debout sur l'estrade de la salle de musique, en pleine lecture d'un de ses bouquins favoris. Lorsque j'appuyais sur le bouton lecture de mon portable et qu'elle entendait la musique, les phrases s'enchainaient à travers sa voix dont je commençais à apprécier la douceur. Mais à chaque nouvelle pause de ma part, elle beuguait comme un robot cassé. Je griffonnais un mot que je lui envoyais avec irritation.

« Pitoyable, B.B. Fais un effort ! »

Elle le rattrapa pour le défroisser et plissa les yeux

— T-tu crois q-q-que je fais q-quoi, là ? Cracha-t-elle en croisant les bras. Et a-a-arrêtes de m-m-m'appeler B.B. !

D'un geste impatient, je l'incitais à reprendre et renvoyais la musique. Elle reprit pour se ramasser lamentablement jusqu'à se taire, à ma nouvelle interruption. Cette fois, j'envoyais ma boulette de papier avec un peu trop d'engouement, l'atteignant en plein front.

« Lamentable. Si je pouvais ouvrir ma gueule, je t'appellerai pas seulement B.B. »

Elle serra les poings avec un rictus de colère.

— Un m-m-muet qui apprend à-à une b-bègue à contrôler sa di-diction, on aura t-tout vu...

Elle cherche les claques, l'emmerdeuse, c'est pas possible autrement. J'inspirais profondément avant de me recentrer sur mon calepin, froissais mon papier et m'appliquais au lancé. Un sourire jaillit sur mon faciès en suivant la boulette de papier qui atterrissait pile entre ses seins, par l'échancrure de son haut. Ses yeux s'écarquillèrent et elle me tourna le dos pour l'extraire, sous mon rire silencieux.

« Arrêtes de jouer avec mes nerfs la bègue, j'ai pas la patience extensible. J'en ai cogné pour moins d'insolence que ça. Recommences et arrêtes de faire ta victime... B.B. »

Lorsqu'elle se retourna vers moi, je vis un élan de fureur danser dans ses yeux.

— Pourquoi, t-tu vas faire quoi, ME FRAPPER ? Cria-t-elle les mains sur les hanches. C'EST QUOI TON PROBLEME AVEC MOI ? TU PRETENDS M'AIDER, MAIS LA SEULE CHOSE QUE TU SACHES FAIRE, C'EST TE FOUTRE DE MOI... Quoi, p-p-pourquoi tu souris en-encore ?

Je la fixais avec intensité pendant quelques secondes avant de lui indiquer mon téléphone d'un signe de tête. Joyce entrouvrit les lèvres en se rendant compte que la lecture était en pause, depuis tout ce temps. Je lui envoyais un nouveau message avec plus de délicatesse.

«Voilà, tu vois quand tu veux, Carson. Tu peux le faire. »

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Bonjour tout le monde !!!

Alec fait un sale coup à Joyce dans ce chapitre, mais lui laisse malgré tout une chance de réintégrer son poste de journaliste. Il ne s'est pas vraiment exprimé sur le sujet, mais peut-être le fera-t-il plus tard.

Qu'en est-il de l'interrogatoire du cadet Dudson ? Le prochain chapitre devrait le dire. Une chose est certaine, qu'il s'agisse d'Alec ou de Joyce, l'un des deux reviendra sur un flashback... à très vite !!

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