Rêve parti

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Parfois, lorsque l’on est tranquillement installé chez soi et que la sonnette retentit, on sent bien que cela ne présage rien de bon. On ouvre la porte et on reconnaît le voisin d’en bas qui a la tête des mauvais jours, autrement dit la tête de tous les jours. Mais au-delà de l’apparence du voisin (car on ne doit pas s’attaquer au physique des gens qui n’ont pas de bol), je sens bien que le dérangement va se concrétiser.

Il me dit alors, sans me saluer, que le tapage nocturne d’hier avec la musique de sauvage est inacceptable en ces lieux, que les invités étaient des pervers et des drogués, que la police a été prévenue de la tenue illégale de cette « rave party », que cela ne restera pas impuni et que son chat et lui n’ont pas pu dormir de la nuit. En quelques secondes, le hobbit me fait monter l’agacement. Je lui précise que je n’étais pas ici la nuit dernière et que je ne suis donc pas responsable de cette soirée décadente. Il se trompe de personnage le fan de Cluedo. De plus, je lui fais remarquer que si on veut être précis, une rave party a lieu habituellement en pleine nature ou dans des usines abandonnées. Cependant, je vois bien que le mélomane n’a pas envie de parler musique électro.

Alors que j’allais lui proposer d’aller mener son enquête plus loin, le voisin change soudainement de visage, avec une expression faciale totalement inquiétante, pour ne pas dire assez flippante, avant de virer en mode totalement effrayant. Le type, en véritable zombie, yeux exorbités, râle et patte folle, s’écroule comme une masse (molle) devant ma porte. Je reste immobile et regarde autour de moi. L’incompréhension est totale. On discutait tranquillement, dans un bon esprit si je puis dire, et tout d’un coup le gars s’effondre lamentablement sur mon paillasson « Good vibes only ». Ironie du sort. Je rassemble quelques souvenirs de secourisme et lui porte assistance avec un petit coup de pied dans les côtes pour voir s’il bouge. Que dalle. Le mec n’a pas l’air au top. Je jette un œil à l’ascenseur et je me dis que ça ne se fait sans doute pas de le jeter dedans et d’appuyer sur un bouton au hasard.

Erreur numéro 1 : faire confiance à son instinct. Erreur numéro 2 : écouter son instinct. Je ne sais pas pourquoi (la peur peut-être qu’on m’accuse de quelque chose), mais je décide de traîner le corps inerte de « Gollum » dans l’entrée de mon appartement. Je ferme la porte. Bon, qu’est-ce qu’il a l’enfoiré ? Il s’est suicidé au Smecta ou quoi ? En effet, l’homme est selon moi un habitué des diarrhées émotives. Notons par ailleurs qu’il m’arrive d’avoir une pensée plein de tendresse pour d’autres résidents de l’immeuble et d’imaginer des surnoms sympathiques : « Twist again » (le papy du 4e qui boite rythmiquement), « Post-it » (ma voisine de palier accro aux réseaux sociaux) ou encore « Les Prix Nobel » (la famille du rez-de-chaussée surdiplômée en vide cérébral).

Allez, que faire concrètement de ce corps à mes pieds ? Je tenterais bien le « Ok Google : comment se débarrasser du cadavre de mon voisin ? » Toutefois, je ne suis pas sûr de la qualité des résultats. Le mettre au congelo ? Non, je viens de faire le plein, pas moyen. Selon Dexter, il faut une grande bâche de protection multi-usages, une table, des scies et des longs couteaux. Dans Breaking Bad, on s’oriente plutôt vers une baignoire remplie d’acide. J’ai l’impression que je n’ai ni le matériel adéquat, ni la patience suffisante, ni le cran nécessaire. Dans un autre style, je pourrais le rouler dans un tapis et partir avec mon véhicule dans une forêt à la nuit tombée. Pas sûr que mon tapis de douche et ma trottinette électrique fassent l’affaire.

Non, je crois qu’il est temps de revenir à la réalité. L’individu est là, à faire le mort de façon assez convaincante sur mon carrelage et j’ai réellement envie de me sortir de cette impasse. Je me rapproche un peu. Je crois qu’il respire l’animal. Tant mieux. Je le ramène chez lui, incognito. J’attrape le « paquet » et le place comme je peux sur mon dos. En sortant de chez moi, j’opte pour l’escalier, un endroit pratique dont la plupart des résidents nient l’existence afin de limiter leurs efforts au quotidien. Parfait, le lieu est désert. Pendant la descente, j’entends le voisin qui marmonne quelque chose. Il me semble entendre des mots comme « fumier », « patient zéro » ou « homéopathe ». Je pourrais lui demander de faire un effort d’articulation, car tout ceci manque de sens, mais il y a d’autres urgences à gérer.

Arrivé en bas, je me retrouve nez à nez avec « La commère », la dame du 1er qui parle beaucoup (trop). Temps d’arrêt. Échanges de regards interrogatifs. L’occasion est trop belle. Je lui explique que notre voisin a organisé une grosse fiesta hier soir avec ses copains teufeurs et qu’il a du mal à s’en remettre.

En quelques secondes, le rêve du voisin de devenir le président du conseil syndical de copropriété vient de s’envoler. Il ne vivait que pour ça, tout le monde le sait. C’est dommage, une rumeur peut tout arrêter. Net.

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