Ce sont pour moi des créatures de l’ombre, des monstres que je chasse sans répit. Partout, je sens leur présence, leurs murmures. Partout, je les vois pulluler en colonies infernales, car mes yeux sont entraînés à les repérer pour mieux les éliminer. Non pas qu’il faille les exterminer en totalité, mais je conseille à tous d’en limiter la population afin d’éviter la nocuité de leur trop grande présence. C’est qu’ils vous mangent les yeux comme la cervelle, ces sales petits parasites !
Oh oui ! Je ne sais que trop bien la facilité de les employer dans toutes les tâches. Quelques-uns par-ci, quelques autres par-là, puis voilà soudain que l’engeance se retrouve insidieusement en surnombre. J’ai moi-même commis cette faute jusqu’au jour d’une venue salvatrice. Un maître de la traque m’a d’abord permis de prendre conscience du danger avant de me léguer ses connaissances, toujours accompagnées du même, mais inoubliable exercice. Apprendre à vivre sans, en domptant la tentation facile de leur emploi. Lorsque j'eus enfin maîtrisé cet art initialement inconnu de ma sotte personne, je devins à mon tour le chasseur invétéré de cette vermine aux airs d’affables serviteurs.
Quoi qu’on leur fasse faire ou dire, ces maux s’exécutent sans jamais rechigner, telles de braves bêtes au courage irréprochable. Des bêtes toutefois affamées, mangeuses d’yeux. Gloire à moi-même puisque les miens occupent encore mes orbites en dépit des nombreuses attaques subies, quand bien même ces bêtes servaient alors des amis, des membres de ma propre famille. Diaboliques sont-elles, voyez-vous !
Aussi je vous recommande vivement, chers amis, chers condisciples, de vous méfier de ce fléau. J’ai déjà vu tant de victimes frappées de cécité, incapables de constater leur invasion, soumises à leur pouvoir de conviction. Cela commence par une poignée avant de finir par un déluge. On les retrouve dans les sommets, dans les fonds, dans les coins. Ils me font penser à ces rats dans la capitale ou parfois à ces moustiques toujours là à roder autour de vous, dans l’attente de vous sucer le sang à la moindre seconde d’inattention. Alors, vous tous, prenez garde ! Ne vous laissez donc pas séduire par ces goules, mais prenez plutôt la peine de vous accoutumer à leur absence. Ainsi réaliserez-vous peut-être ô combien cette absence se révèle superbe, magnifique, assez pour faire naître dans un esprit quelque obsession maladive. Hélas, tel est le prix que doivent payer les chasseurs d’Et-Qui.