I.

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Je l’ai cherché partout dans mes tiroirs. J’ai même cru, un instant, l’avoir perdu. J’ai fouillé, farfouillé, parce que c’était important. C’était mon sésame, ma caution – un talisman de pacotille qui me protègerait au besoin. Je mets la main dessus, je l’accroche à mon cou. C’est la seule concession que je leur ferai.

Les séries pour enfants nous avaient vendu l’idée de fêter Halloween à grands coups d’épisodes spéciaux. Chats, chiens, enfants y errent grimés en ogres et fantômes dans de vieilles maisons qui brinquebalent, réclamant des bonbons, menaçant de faire des farces, et on a fini par croire que ce serait bien amusant d’essayer à notre tour. Je crois bien qu’il y a eu une mode pour ça. Les magasins paraient leurs vitrines de toiles d’araignées factices et de citrouilles en plastique orange pour attirer le chaland. On s’est souvenu plus tard que c’était carton-pâte, que ça ne voulait rien dire pour nous. La ruée vers les costumes et les chapeaux de sorcière s’est calmée. Cela orne encore quelques vitrines, comme ça, pour signifier l’automne qui vient, mais on n’essaye plus vraiment.

À l’époque, la mode commençait tout juste. Une amie de ma mère organisait une fête d’Halloween pour son plus jeune fils, et cela avait quelque chose d’exceptionnel et de désirable. Mon petit frère, sensiblement du même âge, était invité. Moi, c’était un peu moins clair. La dame avait un fils un peu plus vieux que moi. Et c’était pourquoi, selon une logique consécutive qui m’échappait totalement, il fallait absolument que j’y aille à mon tour.

Je l’avais déjà rencontré, ce garçon, lors d’un repas d’été. C’était il y a longtemps – l’été équivaut à une faille temporelle quand on a douze ans – et cela avait déjà été bizarre. Avant d’y aller, je me souviens de ma mère venant me dire : Fais attention, mets quelque chose de bien, le fils de Clarisse, il est super mignon ! J’ai beau chercher, je ne comprends pas bien pourquoi elle a insisté sur ce point. Est-ce que mon caractère solitaire, mes ennuis récurrents d’aspirante adolescente l’inquiétaient déjà assez pour tenter de me socialiser à mon insu ? Était-ce qu’elle souhaitait montrer à son amie, consciemment ou non, que sa fille aussi était jolie ? Je me souviens avoir choisi la tenue dont j’étais le plus fière à l’époque, une jupe portefeuille à fleurs bordeaux et un débardeur dos nu, que je portais sans soutien-gorge. C’était « du 16 ans », la dernière taille enfant.

Il s’appelait Romain et oui, il n’était pas mal. Il n’était pas mal comme peut l’être un garçon de quatorze ans aux yeux d’une gamine de douze. Comme peut l’être un gamin plein d’assurance auprès d’une enfant qui doute. Durant l’après-midi, j’ai dû subir bien des questions d’adultes qui voulaient soudain, comme mûs par une nécessité nouvelle, m’intégrer à des conversations où je n’avais jamais pris part. Soudain, l’un d’eux a une idée qui lui paraît sublime, devant nos mines de sales gosses endormis : Va, montre à Romain ce que tu fais sur Internet. Tu sais, ce forum, où tu vas tout le temps ? À l’époque, aller sur Internet était assez nouveau, assez spécifique pour constituer une activité à part entière.

Je me rappelle, à ma grande honte, avoir emmené ce garçon jusqu’à un écran devant lequel, avec une indifférence polie, il m’a vu tenter de démarrer la connexion. J’entends le crissement plaintif du modem, qui chante mais ne démarre pas. Deux fois. Trois fois. C’est idiot, mais puisqu’on est là, autant réessayer – qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? Je tapote, je clique, je vérifie partout. Je ne sais pas ce qui se passe ; d’habitude, ça marche, que j’explique, navrée. J’ai l’impression de passer pour une incapable. Je lâche bientôt l’affaire. Il a les mains dans les poches. On fait quoi, alors ? qu’il demande, comme un enfant gâté. Je hausse les épaules. Le jardin est beau, mais il a passé l’âge d’aimer l’air qui joue dans les branches et les oiseaux qui s’envolent sur son passage. Je ne sais pas, que je dis, on n’a qu’à retourner à table. Et j’ai beau n’en avoir rien à faire de cet inconnu, mes mains, mes épaules malgré moi s’alourdissent lorsqu’il me juge. Nous traînons notre ennui jusqu’à la table de jardin. Les adultes s’inquiètent, avec une passion pour le devenir d’une connexion Internet que je ne leur ai jamais connue. Lorsqu’ils abandonnent enfin, nos regards ne se croisent surtout pas. Nous nous ennuyons depuis deux mondes qui ne partagent aucune frontière.

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