Pour la liberté
Je cours.
Le vent fouette mon visage et je sens le froid me brûler la peau. Il neige. Ce sont d'énormes flocons, une vraie tempête mais l'air est étouffant. Nous sommes des centaines, des milliers, des millions.
Nous courons.
La rue n'est pas éclairée mais de nombreuses personnes tiennent des lampes dans leur main. Je cherche des yeux la lumière pour me guider, je ne dois pas trébucher où la marrée humaine me piétinera. Les lueurs blanches des lampes torches éclairent tantôt le sol tantôt les visages de leur porteur.
Des hommes, des femmes de tous âges, de toutes ethnies, de toutes religions. Voilà ce que nous sommes.
Et nous courons.
L'air devient irrespirable, des effluves de souffre, de transpiration et de sang l'emplissent de leurs odeurs nauséabondes. Je sens un goût de bile dans ma bouche, j'ai envie de vomir. J'entend des cris autour de moi, des cris de guerre autant que des cris de terreur. J'ai peur et je décide de me concentrer sur ma course pour ne pas tomber. Des coups de feu retentissent, l'homme à mes côtés s'écroule. Ma conscience veut que je m'arrête mais mon instinct de survie me pousse à continuer.
Mes jambes me font souffrir, je ne sais même plus depuis combien de temps je cours. J'ai traversé de nombreuses rues et la tour illuminée au loin semble s'être rapprochée. Ma peur s'intensifie et je tente de garder à l'esprit pourquoi je suis là. Des sentiments divers se mêlent à la terreur qui me serre la gorge. De la tristesse, de la colère, de la haine et ce sentiment de trahison qui me déchire le cœur. L'adrénaline s'insinue dans chaque parcelle de mon corps, j'accélère, ma rage me porte et me pousse à avancer. Les minutes se font longues mais la tour se rapproche encore. Les gens autour de moi hurlent, tout autant que moi leur souffrance et leur colère.
Sous mes pas je sens les corps de ceux qui me précédaient il y a encore un instant. Ils sont morts, je le sais, je ne peux rien faire mais la culpabilité m'assaille. Je panique, des larmes coulent sur mes joues.
Et si j'avais tort ? Et si nous avions tous tort ?
Les doutes jaillissent en flots de reproches. Je sens une main sur mon épaule, sans m'arrêter de courir je regarde qui l'a posé. Un homme me regarde tout en courant, il a les yeux d'un homme brisé. Pas besoin de mots pour le comprendre. Nous avons tout perdu. Tous autant que nous sommes.
Au début, lorsqu'il est arrivé, le leader du peuple, tous, y compris moi étions sûrs qu'il était là pour nous.
Les plus faibles sont partis les premiers, sans que personne ne s'en rende compte, ils ont fini dans nos rues, morts de faim, morts de solitude. Puis ont suivi les autres, les gens comme moi. Ceux qui n'étaient ni riches, ni pauvres. Je n'ai pas compris tout de suite, j'ai cru à une mauvaise passe. Alors j'ai encaissé, j'ai assumé ce que je pensais être mes erreurs et j'ai tout perdu. Si ce n'était que l'argent, j'aurais fait avec mais j'ai perdu ma liberté. Les chiens du leadeur ont obéi et nous ont muselé. Nous avions commencé pacifiquement pour exprimer notre mécontentement, mais le mépris des valeurs humaines, le mépris de la vie a eu raison de notre patience.
Aujourd'hui, cet homme qui court à mes côtés, me regarde douter et de nouvelles larmes coulent sur mes joues. Je ne laisserai personne avoir raison de mes convictions par la culpabilité. Je continue de courir. La tour n'est plus qu'à quelques mètres. Combien sont tombés devant moi ?
Je cours.
De plus en plus de tirs se font entendre. La peur ne doit pas être chez nous mais chez le leader et tous ceux qui le défendent. Ce sont eux qui doivent craindre le monde qui s'unit contre leur tyrannie.
L'entrée de la tour est attaquée de toutes parts, les pierres sont brisées et les voitures démantelées. La rage est présente dans les cœurs.
Nous avons été méprisés et opprimés mais que le leader tremble car aujourd'hui, nous courons...
Pour la liberté.
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