livre 4 - 9
Charlotte, sans doute déjà plus sensible que ses compagnes, s'était approchée de la source. Elle avait trouvé les deux filles enlacées, concentrées sur leurs sensations et sourdes à ce qui n'était pas leur partage. Anne-Sophie, terrorisée, s'était enfuie en courant, laissant Manon désemparée, au milieu de ce qui ressemblait à un orgasme. Charlotte, attendrie par cette détresse, l'avait aidée à retrouver conscience et une tenue décente. C'est dans cet instant de fragilité extrême qu'est née leur amitié. La prévenance de Charlotte continua une fois la porte franchie. Elle introduisit la gauche Manon, le vilain petit canard, dans ses cercles. Comme toutes, elles savaient ce qui se passait et la puissance de la liaison avec Anne-Sophie, elle fut accueillie avec intérêt, à défaut de sympathie. Seule Charlotte lui prodiguait des marques de tendresse et d'amitié. Anne-Sophie s'écarta, ayant rapidement trouvé une autre disciple et nos deux amies se rapprochèrent jusqu'à se fondre. La maison des parents de Charlotte, généralement déserte le weekend, leur offrait le calme et le temps pour explorer tous les chemins de leur amitié. Confiantes l'une en l'autre, elles réinventèrent toutes les pratiques possibles, soudant encore plus leur relation. La voix de Manon s’était mise à trembler en parlant de cette époque. Maintenant, je sens sourdre et couler sur mes doigts la revivance de ses souvenirs. Leur intensité devait avoir été phénoménale. Finalement, mes petites histoires d’amour absolues semblent ridicules. Heureusement que le pincement dans le ventre me rappelle leur importance.
Cette découverte conjointe des plaisirs de la sexualité et des sentiments leur permit de s’envoler. Manon, plus réservée, rechercha avant tout des aventures sentimentales, dans toutes les directions, s’attachant sur de longues périodes. Elle me cita les noms et, pour chacun, une grande partie de l’affection était encore présente. Charlotte préféra le côté physique de la chose, cherchant la variété, l’approfondissement. Dès le lycée, enfin mixte, elle mit à rude épreuve la gent masculine peu expérimentée. Elle se tourna systématiquement vers des garçons plus âgés, ne négligeant pas au passage d’initier les plus belles filles à ces plaisirs. Encore ensemble dans ce cycle, Manon, la confidente, connaissait ainsi les gouts et les pratiques d’une bonne partie des lycéens et lycéennes, avec leur niveau d’expertise ou de niaiserie. Curieusement, Charlotte usait d’une grande discrétion et personne n’avait une vue exhaustive de ses exploits et de la facilité avec laquelle elle s’offrait. Le changement de cycle universitaire lui permit d’aller encore plus loin jusqu’à la rencontre avec Thomas.
— Elle a du gout Charlotte, c’est vraiment un mec canon ! Il pourrait faire top model ! On flashe forcément sur lui, on…
— Doucement, Usem, j’ai compris !
La rencontre s’était produite au mariage d’une amie commune. Une amie qu’elles avaient connue toutes les deux intimement. Manon avait retrouvé son malaise de classe dans cette fête grandiose et se raccrochait à Charlotte. Lors de la cérémonie, Charlotte lui avait désigné ce mec en lui disant : « Celui-là, c’est le père de mes enfants ! ». La soirée dansante avait achevé la rencontre et la facilité de Charlotte avait celé le destin de Thomas. Très vite, Charlotte avait perçu le potentiel financier de son élu, ainsi que son caractère. Sa chance à elle avait été l’éducation catho serré de son futur conjoint et son ignorance crasse des plaisirs intimes.
— C’est quoi « catho serré » ?
— Ah, oui, il faut t’expliquer ! Tu prends un pois chiche, tu te le mets dans le cul et il ne doit pas tomber ! Tu imagines ta posture, ton maintien, ta gueule et donc les idées qui vont avec !
Mon éclat de rire fait bouger les dormeurs. L’image est tellement réaliste !
Donc Charlotte mène son Thomas par le bout du prépuce et il devenu addict donc dépendant ! Quand je pense que j’ai dit à Charlotte qu’elle était gentille ! Peut-être, mais redoutable !
— Et toi, que penses-tu du mec de ta copine ?
— Rien ! Nous n'avons rien en commun, rien à nous dire. Nous baisons ensemble, des fois, quand je viens voir Charlotte, mais il ne me provoque rien. Je le fais pour Charlotte. Tu sais, ce n'est pas une brute. Il a compris le lien entre moi et Charlotte. Maintenant, c'est surtout de l'amitié, depuis que je suis avec Roxane. Une amitié toujours fusionnelle, elle me raconte tout. Thomas me respecte beaucoup, car il respecte beaucoup Charlotte. Ce qui le rend supportable et même agréable. Moi aussi, je le respecte, car il y a vraiment un truc entre eux deux.
— Tu es vraiment une fille formidable ! Toi, tu te laisses aussi mener par Charlotte ?
— Oui, mais quand je veux ! Elle le sait parfaitement. C'est un jeu entre nous.
J’étais en train de penser que je m’étais aussi laissé avoir par Charlotte, quand Manon croisa ma pensée et relança ;
— Alors qu’est-ce que cela te fait ?
— De quoi ?
— Je t’adore quand tu joues l’imbécile ! Tu n’as pas compris que Charlotte me dit tout, absolument tout !
— Mais ce n’est pas forcément moi le père ! Doron a aussi participé ce weekend-là !
— Charlotte dit qu’elle t’a senti ! Une femme ne peut pas se tromper sur ces choses !
— Après tout, ça me va bien ! J’ai oublié de lui demander comment Thomas prenait ça !
— Négation totale ! Pour lui, son excitation de ces soirées a permis de restaurer ses capacités !
— Il faut que je prévienne Doron de ne pas faire de gaffe !
— Sans importance, Thomas le prendrait comme une plaisanterie ! Il est sûr de lui.
— Ce sera toi la marraine, alors ?
— Je crois et j’espère ! Surtout s’il est de toi !
— Tu es trop gentille !
— Tiens, à ce propos, tu sais que nos parents se sont rencontrés ?
— QUOI ?
Mon hurlement fait à nouveau se retourner les dormeurs.
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