Une légère houle ébranle la surface de la mer, par-delà une vaste plage de la Manche. Au loin, au-dessus du poste de secours, flotte un drapeau orange.

Opale et Ambre, la vingtaine, sont étendues sur leurs serviettes. Le nez en l'air, Opale regarde monter la marée. Elle porte un short en jean par-dessus son maillot de bain délavé. À côté d'elle, sa sœur aînée tapote l'écran de son smartphone, enroulée dans un grand paréo.

AMBRE :

Merde, il s'est enfui !

OPALE (jetant un coup d’œil par-dessus son épaule) :

Il y a des Pokémons, ici ?

AMBRE :

Non... J'ai acheté un encens.

OPALE :

Merde.

Ambre soupire en glissant son téléphone dans son décolleté et se retourne sur sa serviette.

AMBRE :

Sinon, ça va, avec ta copine ?

OPALE (se redressant pour s'asseoir, les jambes repliées contre la poitrine) :

Elle m'a larguée. « Trop de distance »...

AMBRE :

Vous n'étiez pas dans la même classe ?

OPALE :

Ah, tu parlais d'Adèle ? Moi, je te parle d’Émilie. J'suis plus avec Adèle depuis le nouvel an. J'sais pas combien de fois elle m'a dit qu'elle allait changer. Mais c'était toujours la même chose : jamais de temps pour moi, jamais de nouvelles en-dehors des cours. Alors j'ai attendu la rentrée, en janvier. Je voulais pas lui gâcher le réveillon, quand même. J'suis allée la voir et je lui ai dit : « Je ne suis pas heureuse avec toi. Je préfère qu'on en reste là. »

AMBRE :

Et qu'est-ce qu'elle a répondu ?

OPALE :

« D'accord. », et puis elle est partie à la cantine. Même pas elle a cherché à savoir ce qui n'allait pas. Remarque, c'est pas comme si je m'étais privée de lui faire savoir. Elle avait juste pas envie de faire d'efforts pour moi. J'étais sa première copine, son petit trophée de chasse. C'est tout.

AMBRE :

Merde. Et l'autre, Émilie ?

OPALE :

Ah, elle... Une mauvaise rencontre d'un mauvais site de rencontres. Vu qu'Adèle ne répondait jamais, j'me suis dit : « Pourquoi pas essayer de capter l'attention de quelqu'un d'autre ? ». J'suis pas une connasse, tu sais. J'suis fidèle et tout ça. C'est important pour moi. Mais quand la personne avec qui tu sors ne te calcule même pas, ça peut te rendre dingue. Bref, Émilie était là. Émilie répondait h-24 parce qu'elle était au chômage. Et puis elle a trouvé un job chez McDo, elle bossait les week-ends et moi j'avais cours toute la semaine. Là-dessus, elle a craqué pour un de ses collègues...

AMBRE :

Faut croire qu'elle préférait les frites.

OPALE :

T'es vraiment conne, quand tu t'y mets ! (elle marque une pause) Et toi, ton copain, Quentin, tu nous le présentes quand ?

AMBRE :

On verra. Il me fait rire, mais ses amis sont débiles. L'autre jour...

La voix d'Ambre s'estompe, progressivement recouverte par le bruit du vent et des vagues. Plus loin, deux silhouettes s'avancent vers elles depuis la mer. Opale ajuste ses lunettes de soleil en les regardant approcher. Un homme, la cinquantaine, parvient le premier à leur hauteur ; il attrape sa serviette pour s'essuyer le dos. Opale se lève brusquement et pointe du doigt le manche en bois d'une grande pelle plantée dans le sable.

OPALE :

Allez, papa, c'est l'heure de construire notre dernier château de sable !

Le père et la fille commencent à creuser – elle, à la pelle, lui, avec les mains afin d'ériger une petite butte de sable. La mère des filles demeure plantée debout, près des serviettes, le regard tourné vers la mer qui se déchaîne, la main rabattue en visière par-dessus ses lunettes de soleil.

AMBRE :

Tu fais quoi, maman ?

LA MÈRE :

Ils ont perdu une ado, là-bas. Elle est allée nager vers la falaise.

Un 4x4 de secouristes traverse la plage en direction de ladite falaise. Opale lève les yeux, interrompant sa pelletée, et suit du regard les traces laissées dans le sable humide par les pneus du véhicule qui s'éloigne.