2006

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Le Noël qui suivit promettait d’advenir sous le signe de la concession. Prise à parti par la psychologue de sa fille, Murielle avait accepter de quitter la réunion de famille plus tôt que d’ordinaire, le vingt-cinq décembre, afin de célébrer l’anniversaire de Noëlle à leur appartement. Évidemment, tous occupés qu’ils étaient ce jour-là, aucun des amis de la petite fille n’avait pu se libérer pour l’occasion. Toutefois, la mère ferait des crêpes et elle joueraient au jeu dont l’enfant déciderait. En échange, Noëlle s’engageait à faire profil bas chez Tante Jo et à ne pas mettre le feu aux poudres — ou au sapin.

Voilà ce qui était convenu et, en théorie, l’accord paraissait idéal. C’était évidemment sans compter sur les aléas qui minaient, telle une malédiction, les Noëls successifs de la famille Buchet.

La soirée du réveillon se passa sans encombre. Noëlle ne savait pas bien si c’était elle qui comprenait mieux les blagues de son cousin ou c’était ce dernier qui s’était assagi. D’autres grands racontaient que Valentin se faisait harceler au collège et, sans vraiment savoir ce que cela signifiait, Noëlle se disait que c’était une bonne chose, puisqu’ils avaient retrouvé leur complicité d’antan.

Le lendemain matin, Noëlle ne trouva pas plus de cadeaux sous le sapin que ses cousins et cousines. Une jolie boîte de feutres aux senteurs de fruits, comme Tante Jo lui en offrait chaque année. Au moins, celle-là lui servirait. Pas comme la robe de fillette qu’on-ne-sait-qui avait osé lui offrir. C’était pour ça que les adultes leur rebattaient les oreilles avec le Père Noël, pensait-elle : pour mettre sur le dos du gros monsieur barbu leurs cadeaux à la noix.

Après l’ouverture, le traditionnel tour de table pour remercier un à un, bise à l’appui, tous les oncles et les tantes, mêmes ceux qui n’avaient rien acheté et qui se réfugiaient derrière la magie de cet anonymat, un grand sourire aux dents. Forte de ses heures au club de théâtre — la psy avait insisté pour qu’elle ait une activité en-dehors de l’école — Noëlle exécuta à la perfection les courbettes les plus reconnaissantes. Elle contint la grimace qui lui venait à la vue des froufrous pastels de cette fichue robe. Elle fut si convaincante à feindre le bonheur que tout le monde loua son « meilleur caractère ».

Le calvaire était presque fini lorsque l’enfant, achevant en tête l’insupportable ronde des remerciements, termina sa course devant le siège à bascule où, comme d’ordinaire, cuvait papy. Noëlle roula des yeux et secoua le bras flasque du patriarche. Elle secoua plus vivement, l’appela, haussa le ton, puis se hissa sur la pointe des pieds pour lui tirer la moustache. Rien n’y fit. Papy ne se réveilla pas.

À la mine déconfite de Noëlle, incapable d’achever le rituel qu’on lui avait imposé, succédèrent les faciès inquiets des oncles Frank et Johnny. Murielle tâcha bien de sortir sa fille de l’embarras, en remuant à son tour le vieil homme, par les deux épaules. En vain. Alors, Marie-Jeanne s’approcha avec une moue tordue et s’effondra à genoux pour pleurer. Elle s’épancha en prières, clamant à qui voudrait l’entendre que Dieu avait rappelé auprès de lui l’âme de ce brave homme. Tout ce que Noëlle comprit, c’est que sa petite main avait chipoté un cadavre. Elle n’eut même pas le temps de se laver les mains. Sitôt la mort remarquée, toute la maisonnée s’activa dans tous les sens. On appela en panique le croque-mort du coin, le curé encore soul du trou-normand de la veille. Les voisins affluèrent pour la fête convertie en veillée funéraire. Noëlle et sa mère ne quittèrent pas les lieux et on ne joua pas, ni ce jour-là, ni le lendemain.

Après une seconde nuit passée chez Tante Jo, parmi les visages tristes et les adultes en larmes, on se vêtit de noir et on se regroupa de nouveau au cimetière. Ses talents d’actrice ne permirent pas à Noëlle d’imiter des pleurs qu’elle ne sentait pas venir. Elle ne comprenait pas, en fait, pourquoi tout le monde sanglotait pour un vieil homme qui, mort ou vif, n’avait jamais décollé le cul de son fauteuil. En vérité, dans le fond, Noëlle voulait sourire. Elle aimait le parfum des sapins humides et la couleur craquelée de la mousse sur les tombes. Noël en noir, tout compte fait, cela avait son charme.

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