Il y a des souvenirs, aussi.

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‘’Ci-gît Léonard Krebs

3 juillet 1947 – 15 août 2020

Natif du cancer et mort de même’’

La représentation du Monstre en Spaghetti Volant qu’il a fait graver en dessous m’a mis un sourire, comme le sien, malicieux, quand je l’avais accompagné chez le tailleur de pierres pour la faire réaliser. Une fois le bon de commande rédigé, il avait frappé de sa canne le sol de l’atelier, m’avait présenté comme son exécuteur testamentaire, et avait menacé le pauvre homme d’une assignation en justice s’il ne remplissait pas ses engagements. Bien inutilement, le mec s’en foutait visiblement, mais c’était Léo, théâtral et flamboyant jusqu’au bout.

Nous étions trois à son enterrement, sa nièce et héritière, bien obligée, son austère mari, et moi… Car oui, à l’ère de l’incinération, Léonard avait choisi d’être enterré. Je le soupçonne d’avoir longuement réfléchi à la teneur de son épitaphe, en s’amusant de la réaction de ceux qui la liraient en passant.

- Vous allez mettre des sourires embarrassés, Léo.

- Oh, mais non ! Je vais choquer. Qu’est-ce qui traîne dans les cimetières ? Cinq pourcents de veuves bigotes, et quatre-vingt-quinze pourcents d’hypocrites qui y passent tôt le premier novembre pour poser une gerbe avec une carte, surtout la carte, à destination des visiteurs suivants, vu que le mort, hein… Ce sera mon dernier pied de nez.

Celui qu’il n’aura pas pu poser à la mort, qu’à soixante-treize ans, il narguait encore joyeusement…

- Vous étiez là la semaine dernière, je vous ai reconnu, il vous manque ? a murmuré une voix derrière moi.

- Je… Oui, un peu, plus que je ne l’aurais pensé, ai-je bafouillé devant une adorable petite vieille dame.

- Votre grand-père ? a-t-elle ajouté, après avoir déchiffré la pierre tombale.

- Vu le comportement des miens, j’aurais aimé, mais non, juste un ami.

- À ce que je lis, vous aviez sensiblement cinquante ans de différence, c’est surprenant…

- Pas tellement.

Elle semblait compatissante, et gentille, je lui espérais un esprit ouvert…

J’ai raconté Léo, j’ai dit ma première soirée dans ce bar… différent. Ma témérité en carton, plutôt ma gêne, puis ma timidité maladive. ‘’Ressaisis-toi, gamin, tu es un oiseau pour le chat, ici. Au moindre signe de faiblesse, tu vas te faire bouffer’’. Il avait repoussé deux prédateurs potentiels d’un avada kedavra implacable, et m’avait expliqué les codes de son… de notre monde. ‘’Assurance, et même arrogance, ce sont les règles de survie dans le ‘milieu’, Jérémie’’. J’ai dit les soirées chez lui, il était déjà malade, à l’écouter parler des innombrables amis qu’il avait perdus dans les années ’80, la grande faucheuse qui ne lui avait laissé que des regrets, sinon des remords, de survivre… Pour finir condamné par un autre cancer. J’ai dit l’amour de la vie qu’il avait pourtant, et malgré ce qu’il grognait trop souvent, son empathie envers l’humanité.

- Vous êtes… comme lui ?

- Oui, ai-je soufflé, étrangement gêné.

- Peu importe cela. C’est un détail, aimez et surtout, soyez aimé, c’est le plus beau sentiment du monde. Nous reverrons-nous ?

- Sauf le respect dû à votre âge, je suis aussi un peu en recherche d’une grand-mère virtuelle compatissante, accepteriez-vous que je vous propose un café ?

- Je n’ai pas eu d’enfants, ni forcément de petits-enfants, mais vous offrez une alternative… virtuelle… intéressante, donc oui, volontiers.

Les fantômes ne sont décidément pas les seuls à errer dans les cimetières, il y a des anges, parfois.

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