L'innocence
Une nuit d'hiver, en plein milieu du sahara, derrière une dune, à l'abri du "Chhili" (vent du sud), une kheïma (tente) : des couvertures en laine de chèvre étendues sur des piquets.
Fatouma, grosse comme une chamelle, y attendait son quatorzième enfant. Autour d'elle s'activait son jeune Youssef, il l'embêtait et tirait sur sa robe pour qu'elle le chatouille.
Ali lui était parti au village chercher quelques provisions, la naissance étant proche, il fallait prévoir le nécessaire. Ali était un "Pro" des naissances. Mais celle-ci l'angoissait particulièrement, il savait Fatouma fatiguée, ses grossesses l'avait complètement changée, elle n'était plus cette belle jeune fille qu'il avait vue la première fois la nuit de leur mariage : Elle était si belle, si svelte à l'époque, elle avait des yeux qui vous percent, un sourire malicieux qui ne lui avait donné aucune chance .
Depuis la vie l'avait grignotée tous les jours un petit peu plus : les grossesses les unes après les autres, mais surtout les deuils sans arrêt, les larmes sans fin, le désespoir.
Ali et Fatouma avaient enterré douze de leur enfants, tous partis très vite dans des circonstances terribles, leur aîné à peine un an, qui ne marchait pas encore mais avançait sur ses quatre pattes avait eu le malheur de suivre une chèvre, il avait échappé à la vigilance de sa maman, et avait fini sa poursuite dans le puits. Leur deuxième enfant, une fille. Ils avaient l'habitude de la mettre entre eux la nuit, car la nuit était froide sur leur tapis. Par une nuit de grosse fatigue, sûrement, ils l'écrasèrent dans leur sommeil. Un autre fut emporté par la coulée de l'Oued, lors d'un hiver où pendant des semaines la pluie n'arrêta pas de tomber, il y eut beaucoup de victimes, mais surtout des jeunes enfants. Puis la maladie, des morsures de chiens, de serpents, de scorpions, la famine, emportèrent les autres.
Tous, sauf le jeune Youssef, il était sûrement béni !
Du haut de ses deux ans ce jeune garçon semblait bien résistant et plein de vie. Pourtant ses parents vivaient dans l'angoisse de le perdre et le suivaient comme on suit son ombre, pas une seconde il n'était laissé seul. Il était aimé, il été admiré.
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