RETOUR AU CALME
Je dois dire que l’absence de Valérie à mon retour du labo m’avait inquiété car je ne savais pas dans quel état, elle était repartie de chez moi. Je m’étais précipité sur mon mobile et l’avais appelée mais elle ne m’avait pas répondu de suite. Ce n’est qu’au 4ème appel qu’elle a décroché pour me faire une réponse des plus courtes mais très facile à comprendre : M.... ! Je dors ; et elle avait raccroché. J’en avais conclu qu’elle était de très mauvaise humeur mais qu’elle était dans son lit, ce qui m’avais rassuré. J’ai réessayé de la contacter le lendemain mais elle était aux abonnés absents, elle ne voulait pas me répondre et je me voyais assez mal me rendre chez elle car je sentais que je n’allais pas être la bienvenue. Je me rassurais cependant car il n’y avait aucune nouvelle venant de sa mère.
Heureusement j’avais d’autres soucis immédiats avec ma thèse et mon travail au labo. Avec le début de la nouvelle année scolaire tout le monde (soit 5 chercheurs plus moi) était présent et le labo était devenue une véritable ruche car nous avions à accueillir 3 stagiaires venant d’Allemagne, de Suisse et d’Espagne. Naturellement les chercheurs patentés me les avaient mis dans les pattes ; à moi de les accueillir, de leur trouver un coin de bureau et une surface de paillasse ; à moi de leur faire visiter l’Institut et de les présenter aux personnes avec qui, ils auraient rapidement des contacts obligés.
Ce fut bien 10 jours après, que la fuite de Valérie me fut expliquée par sa marraine, Mme DUMONT. Je l’avais rencontrée dans l’entrée de l’immeuble en prenant l’ascenseur vers 18h et elle m’avait apostrophé.
— Monsieur Mathieu Sénéchal ?
— Oui !
— Pourrais-je vous voir ?
— Madame ?
— Mme Cécile Dumont, mère de Gaëlle, marraine de Valérie.
Naturellement, j’ai arrêté l’ascenseur au deuxième et nous avons rejoint mon appartement et nous nous sommes installés dans la cuisine.
— Puis-je vous offrir quelque chose, café thé, vin, coca...
— Non ! cela ira je n’en ai que pour deux minutes. Je dois nourrir mes ogres !
À peine dans la cuisine Mme DUMONT prit la parole d’un ton assez sec.
— Pourquoi êtes-vous entré dans le jeu de mon amie Sophie, . Elle a écrit son billet dans un état de rage folle. Dites-vous bien qu’elle l’a écrit dans un état second et qu’elle s’en ait voulu dès que sa fille a eu le dos tourné. Pour comprendre son comportement il faut remonter 20 ans en arrière quand elle même, étudiante en 1ère année de droit, était tombée follement amoureuse d’un dénommé Patrick, étudiant de 2ème année, de trois ans son ainé. Tout semblait allait bien, quand elle s’est retrouvée enceinte. Du jour au lendemain il ne s’est plus montré, il était aux abonnés absents. Elle n’a eu droit qu’à un mot de 4 lignes lui indiquant qu’il ne pouvait pas l’assumer pour le moment avec son gosse, donc qu’il mettait fin à leurs rapports. Heureusement ses parents l’ont soutenue et cela, d’autant plus, qu’ils avaient découvert que son adresse à Paris était fausse et qu’elle ne pouvait plus avoir de contacts téléphoniques avec lui car il avait supprimé son abonnement dès l‘annonce de sa maternité future. Ses parents ont fait une enquête pour apprendre que le garçon était de Bordeaux, qu’il était d'une bonne famille mais qu’il faisait n’importe quoi, passant son temps à faire des trafics divers et variés pour subvenir à ses dépenses tout en étant par intermittence étudiant en droit à Paris. Sophie allait en apprendre un peu plus 5 ou 6 ans après quand le cabinet d’avocats où elle travaille en tant que secrétaire générale depuis la naissance de Valérie l’a eu comme client dans une affaire d’escroqueries, ce qui lui valut plusieurs années de prison. Si Sophie a assumé sa fille elle ne s’est jamais remise de la trahison de l’homme à qui elle s’était donnée ; elle n’a jamais pu refaire confiance à un homme depuis ce temps-là.
Certes, elle aurait dû avoir une réaction moins exagérée, mais quand elle a été mise au courant de ce que Valérie avait fait chez vous, elle s’est affolée ; elle la voyait déjà sur la même pente que son père biologique, prête à escroquer les autres. Elle a écrit son papier après avoir ruminé sa propre histoire durant toute la nuit. Je ne comprends pas que vous ayez pris au pieds de la lettre les desiderata de mon amie et je suis sidérée que Valérie ne se soit pas révoltée.
— Je sais que j’ai exagéré mais c’est aussi un peu la faute de Valérie ; je lui ai proposé de ne pas tenir compte de la lettre mais j’ai eu l’impression qu’elle tenait à y faire face : à cause de sa mère ? mais aussi, comme un rite d’initiation pour se révéler à elle-même ? Elle a beaucoup de ressentiments vis à vis de sa mère car celle-ci a toujours refusé de lui parler de son père biologique et des conditions de sa naissance ; elle lui reproche, entre autres, de ne pas avoir trouvé un autre partenaire pour créer une vraie famille. Elle est très demanderesse d’un père. En tant qu’ado elle semble trouver sa mère beaucoup trop directive tout en ayant l’impression que son lien mère-fille devient de plus en plus lâche. Son raisonnement est le suivant : « je montre en acceptant la punition voulue par ma mère que j’accepte de rester liée à elle et que je fais ainsi face aux conséquences de mes actes comme elle me le serine à chaque fois que je fais des écarts de conduite ». J’ai essayé de la dissuader de rentrer dans ce jeu mais elle a tout fait pour me pousser à bout, de par ses paroles ou ses mimiques. C’est elle, en se moquant de ma soi-disant inertie, qui m’a mis aux défis de le faire. J’ai essayé de la raisonner calmement mais elle ne voulait rien entendre. Alors j’ai répondu à son défi en soulignant que mon intervention serait sévère mais qu’elle pouvait l’arrêter à tout moment, il lui suffisait de dire « assez » mais elle me fit comprendre, dès les premiers coups qu’elle résisterait autant que peut se faire au traitement que j’allais lui donner en développant ce leitmotiv: « même pas mal » que disent par défis tous les gamins recevant des coups. Pour elle être corrigée par moi était devenu un défi qu’elle désirait soutenir contre vent et marée. J’espérais qu’elle abandonne tout de suite la confrontation mais c’est elle qui la fait durer.
— Mais pourquoi avez-vous abandonné les lieux ? Cela l’a beaucoup marquée car elle se retrouvais toute seule après sa punition et elle n’attendait qu’une chose : être consolée par vous en se réfugiant dans vos bras ! Elle voyait en vous une sorte de père de substitution.
— Je ne pouvais pas faire autrement car j’attendais un coup de file du labo pour m’occuper de la mise en route d’une réaction. Je n’avais pas prévu que Valérie vienne ce vendredi chez moi. Je n’ai pas pu la prévenir de mon départ car après avoir essayé de la consolée durant plusieurs dizaines de minutes, j’ai été rappelé au labo comme prévu. Je lui ai laissée un mot sur la table de chevet avec de la pommade à l’arnica pour soulager ses douleurs; je n’ai pas pu lui parler car elle s’était assoupie et j’ai évité de la réveiller, je pensais qu’une petite sieste ne pouvait que lui faire du bien. J’espérais pouvoir revenir plus tôt mais, même quand il n’y a pas de problème, une mise en route d’une manipe est toujours délicate.
— Vous devriez essayer de revoir Valérie pour vous expliquer car elle a été très mortifiée de votre absence après sa punition et il faudrait aussi que vous rencontriez sa mère dès leurs retours car je les ai envoyées d’office dans notre maison de l’Ile de Ré car elles ont un grand besoin de calme pour s’expliquer entre elles.
Mme DUMONT m’a alors expliqué comment les évènements s’étaient déroulés dans la soirée de vendredi suivant les dires de sa mère car celle-ci s’était précipitée chez son amie dès le samedi pour tout lui raconter. La veille, inquiète de ne pas voir sa fille rentrer vers 20h, elle lui avait téléphoné; naturellement, à sa voix, elle avait très vite compris que celle-ci n’allait pas bien et, très rapidement, elle lui raconta tout ce qui s’était passé chez moi durant l’après-midi et son résultat le plus immédiat, à savoir qu’elle ne pouvait pas, vu l’état de ses fesses, supporter de mettre un pantalon pour rentrer chez elle. De plus, elle s’était réveillée de son petit somme sans aucune trace de moi et elle m’en voulait à mort. Elle avait supporté au mieux la punition malgré sa sévérité et elle n’avait pas apprécié que son bourreau se soit éclipsé alors qu’elle attendait que je la reprenne dans mes bras pour être consolée. Mon absence avait été ressentie par elle comme une trahison et un manque de courage pour assumer mes actes.
Le résultat fut que Mme Malgrange accourut au secours de sa fille avec une robe ; elles ne sont pas retournées de suite chez elles, la mère a consolé sa fille chez moi tout en soignant ses fesses. Il faut dire qu’il y avait à faire car elle ne s’attendait pas que je prenne mon rôle à ce point au sérieux et elle était fort confuse de l’intensité avec laquelle j’avais corrigé Valérie ; elle s’en voulait beaucoup d’avoir écrit le message. Mais ce moment, où elles se sont retrouvées seules dans mon appartement, fut finalement très positif car cela leur a permis d’avoir un échange intime mère-fille qu’elles n’avaient pas eux depuis longtemps. La fille ayant narré avec forces détails l’enchainement des évènements passés, la mère prit conscience qu’il n’y avait pas eu « mort d’homme » et qu’elle avait trop sur-réagi. Elle s’en voulait d’avoir fait appel à moi pour punir sa fille mais elle avait paniqué pensant que sa fille commençait à suivre l’exemple de son père biologique, être faible, irresponsable et vicieux.
Suite aux discussions avec son amie et un peu forcée par celle-ci, Mme Malgrange était partie avec sa fille passer une semaine sur l’ile de Ré dans la maison de famille des Dumont ; elles avaient encore beaucoup de choses à se dire et elles allaient ainsi pouvoir le faire au calme. Elle raconta à sa fille, pour la première fois en entrant dans les détails, la conception de cette dernière, souvenir inoubliable pour la mère qui était follement amoureuse de son homme, suivie de l’abandon de son géniteur dès l’annonce de sa maternité future et, surtout, la destinée de son père, suite de trafics plus ou moins recommandables se traduisant souvent par des peines de prison.
Valérie, cependant, avait profité de la venue de sa mère chez moi pour lui faire visiter mon appartement et, plus particulièrement, mon atelier. Elles avaient fouillé un peu partout, regardant mes tableaux les uns après les autres et les liasses de dessins, aquarelles, encres et pastelles, se trouvant dans mes cartons à dessins ; elles avaient pu voir ainsi toutes les esquisses que j’avais faites de Valérie ce qui avait permis à Mme « mère » de dire à son amie Cécile, sans chercher de vérification auprès de sa fille, que je semblais beaucoup m’intéresser à celle-ci. Elles avaient pu aussi jeter un coup d’œil sur mes peintures de paysages écossais car il y avait 4 grandes toiles (1,20x1,20) en préparation sur des chevalets. Suite aux discussions que j’ai eu par la suite avec les différentes parties, il m’est assez vite apparu que c’est le moment où Mme Malgrange avait pris conscience que je n’étais pas un « fumiste » d’artiste.
Toutes les deux espéraient me voir revenir vers 21h mais, quand elles ont vu que je ne revenais pas, elles étaient rentrées chez elles, Valérie très en colère contre moi. Je regrette toujours à ce jour de ne pas avoir été une petite souris, tapie dans un coin, pour enregistrer les dires de Valérie mais après réflexion je me suis dit qu’il fallait que je résiste aux manœuvres de ma petite voleuse qui semblaient s’intéressée un peu trop à moi. Bien que non insensible je me voyais encore assez mal la considérer qu’autrement qu’une petite sœur. Je n’étais pas encore prêt pour la considérer comme une femme, tant elle me semblait tendre et très jeune d’esprit.
Par la suite elle s’est arrangée pour me fuir. Je ne pouvais plus la voir le week-end à la supérette car elle avait arrêté d’y travailler durant septembre et quand je l’apercevais, faisant un footing dans le Parc Montsouris, elle s’arrangeait toujours pour m’éviter ; une fois même, comme j’arrivais en courant sur elle dans une allée, elle avait fait brusquement demi-tour afin de s’échapper par un des portails dans une rue adjacente. Elle ne voulait plus me voir et, naturellement, elle refusait de me répondre au téléphone. Je dois dire que cela m’allait très bien car je me voyais mal la courtiser.
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