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Cette affaire de harcèlement tombait au pire moment pour le vieux chef d’établissement. Depuis près de vingt ans, il dirigeait l’école de la Lune Blanche sans qu’un incident de cette ampleur ne vienne ternir sa réputation. Et voilà que la situation menaçait d’exploser.

Stella était une élève discrète, sans histoire, jusqu’à ce qu’un groupe de garçons de dernière année ne la prenne pour cible.

— Ce sont les agresseurs qui posent problème, pas la victime, se corrigea-t-il mentalement.

Puis, plus cynique :

— N’empêche que maintenant, c’est moi qui ai les emmerdements.

La réunion débuta à l’heure prévue, en début d’après-midi. Le proviseur s’adressa aux enseignants d’un ton grave.

— Nous sommes face à un cas avéré de harcèlement dans l’une de vos classes. Plusieurs garçons profitent de la solitude de Stella pour l’agresser, et la semaine dernière, ils ont franchi un cap avec des violences physiques, heureusement légères.

Les enseignants échangèrent des regards incrédules.

Le professeur de mathématiques prit la parole :

— Personnellement, rien ne m’a jamais laissé penser qu’un tel problème pouvait exister dans notre établissement. Je suis très surpris.

Le proviseur enchaîna aussitôt. Il voulait une réunion brève et efficace.

— Vous n’êtes pas le seul. Personne n’a rien vu venir. Les parents de Stella nous laissent une semaine pour régler la situation en interne. Passé ce délai, ce sera la médiatisation de l’affaire. Et ils savent comment s’y prendre. Si cela arrive, notre école sera montrée du doigt et nous pourrons dire adieu à notre label « Établissement du Futur ».

Un frisson parcourut l’assemblée.

La professeure de mathématiques hésita, puis suggéra :

— Ne pourrions-nous pas... transférer l’élève concernée dans un autre établissement ?

— J’y ai pensé, répondit le proviseur, mais ce serait considéré comme une discrimination. Les parents ont été clairs : ils veulent que les coupables soient sanctionnés et que leur fille soit traitée comme n’importe quel élève.

— Mais c’est impossible ! Soyons réalistes ! s’exclama la professeure de physique quantique.

L’atmosphère se tendait. Le proviseur tenta de reprendre la main.

— Nous devons agir. Briser le cercle des agresseurs et convoquer Stella. Elle fait preuve de résilience, mais elle reste une enfant même si ce n’est pas évident au premier abord. Nous avons l’obligation de la soutenir.

Un silence pesant s’installa.

La professeure d’exobiologie leva la main. Ses lèvres tremblaient.

— Depuis le début, Monsieur le Proviseur, nous étions opposés à la mixité plurispécifique. Mais l’administration, et vous le premier, avez insisté pour que notre école devienne un « établissement pilote d’intégration ». Les syndicats l’avaient pourtant prédit : ce projet n’était qu’une quête de prestige, entreprise au mépris de difficultés insurmontables avec les moyens dont nous disposons. Et aujourd’hui… aujourd’hui, nous sommes face à une impasse !

Sa voix se brisa. Elle éclata en sanglots.

Les autres enseignants se mirent à parler en même temps.

Le proviseur serra les dents. Cette réunion était un échec. Devenir un établissement pilote d’intégration ? Une belle connerie.

— Je suis foutu, murmura-t-il.

Le jeune enseignant en agriculture hydroponique et spatiale s’approcha lentement.

— J’ai essayé de parler avec Stella. D’autres enseignants ont essayé. Certains élèves aussi. Personne n’y arrive. Ce n’est pas qu’une question de différence culturelle.

Le proviseur le fixa, il s’attendait à ce qui allait suivre.

— Expliquez-vous !

L’enseignant prit une profonde inspiration avant de lâcher :

— Son apparence, Monsieur. L’aspect physique de Stella est le véritable problème. Comment avoir des échanges avec une fillette dépourvue de tête, dont le cerveau est logé dans l’abdomen ? Et ses quatre bras thoraciques déconcertent même les plus ouverts d’esprit…

Le proviseur ferma les yeux. Il comprenait, à présent, que l’acceptation de cette jeune Vénusienne dans son établissement avait été la plus grande erreur de sa carrière.

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