Chapitre 3 : L'art de la traîtrise.

11 minutes de lecture

“Kyle, il est temps de te lever. On va être en retard. "

“Debout ! Kyle… ?"

“D’accord.”

***

Allongé sur le dos, le journaliste de Saint-Clair, ou ce qu’il en restait, fixait le vide. Telle une étoile, il avait les bras tendus. Au bout de l’un, entre ses doigts, brûlait une cigarette. Machinalement, il l’amenait à sa bouche, soufflait la fumée et l’observait s’évaporer au-dessus de sa tête.

La vie en allait de même. Ce n’était qu’un corps, enroulé, disparaissant à mesure de sa consommation.

  • Tes cendres… C’est dangereux !

Peu importe la voix criarde, si sa chambre venait à prendre feu, il ne s'enfuirait pas. Une pantoufle vint écraser les résidus. Kyle la regarda à peine, même lorsqu’elle sauta sur le lit, pour ensuite le prendre à califourchon.

De ses prunelles lunaires, Irina le scruta. Minaude, elle resserra ses cuisses nues contre les siennes. Elle ne portait qu’une culotte et un large t-shirt. En dessous, elle était plate. Irina n’avait aucune poitrine. Quand Kyle plaqua sa main contre son torse, sa mine accueillit l’embarras.

  • Tu vas vraiment… faire l’opération ? demanda-t-il, encore dans ses pensées.
  • Quand j’aurai dix-huit ans, oui.
  • Quel gâchis, souffla-t-il. Laisse-moi en profiter avant que tu ne deviennes réellement une de ces horribles créatures.

Il encadra sa fesse et la tira vers lui. Irina bascula, sa chevelure noire chatouillant ses clavicules. Elle plongea dans ses yeux bleus, glissa ses doigts dans sa coupe ratiboisée. Tout était court dans sa nuque et sur les côtés, au niveau des oreilles. Le restant tombait circulairement, sauf à l’avant de son visage où se baladaient des mèches volages. Elle imita son geste de toujours les ramener en arrière, puis lui donna un baiser léger.

  • Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu es triste ? le questionna-t-elle, en découvrant son expression.
  • … Moi ?
  • Oui, tu as l’air triste, dit-elle en caressant sa joue.

Il amena l’un de ses doigts sous l’élastique de sa culotte. Cela frisait le ridicule d’imaginer qu’une telle émotion puisse le conquérir.

  • Tu as essayé de parler à Steve ?
  • Ne me parle pas de ce traître, répondit-il en le faisant claquer. Ou je dis à tout le monde que tu es un mec.
  • Tu ne le feras pas.

Le regard de Kyle s’arrondit alors qu’Irina se redressa sur lui. Le sien était plissé, un sourire figé pour arme.

Elle encadra sa joue de sa paume :

  • Tu as trop besoin de moi, dit-elle d’une douce voix. Maintenant que tu es tout seul.

Une sonnerie détourna son attention. En ouvrant la notification sur son téléphone, il claqua sa langue. Saint-Clair possédait depuis peu son propre blog : un journal en ligne, dont il n’était pas le maître.

Sur son front, apparut une fine veine en lisant le titre : “ L’énigme du KY.E.SS ? enfin résolue !”

L’auteur du texte ? Loyd Akitorishi.

Les photos déposées ? Nice Challen.

Il s’agissait d’une dernière décision prise par le conseil des délégués. Pendant que le président et la sous-présidente proposaient l’événementiel, l’ancien duo colportait les informations.

L’idée en question ? Elle ne venait de nulle autre que Jena Solaire. Si elle-même n’avait pas voulu se lancer, elle avait donné de nombreux conseils aux nouveaux rapporteurs de Saint-Clair, pour avoir été l’ancien binôme de Kyle.

L’objectif ? Démonter le règne de ce dernier.

Quant au but, il s’agissait d’offrir des nouvelles dignes de ce nom aux étudiants, et sur les étudiants, sans qu’ils ne se fassent humilier pour autant. Maintenant que la plupart de leurs parents s’étaient retrouvés, les Richess n’avaient plus besoin d’être protégés par Kyle, ainsi que de se plier à son chantage quotidien.

  • Comme si c’était Chuck Ibiss qui avait fait ça, marmonna-t-il, vert, face aux réactions entraînées par l’article.
  • Tu ne crois pas que ce soit lui ? demanda Irina, après en avoir pris connaissance.
  • J’en suis certain.
  • Alors… qui ce serait ?
  • KY.E.SS, hein ? murmura-t-il. Je dois avouer que c’est une idée de génie.

Selon Kyle, il s’agissait d’une évidence.

  • De toute façon, c’est une bataille qui ne m'intéresse pas.

***

La nouvelle tomba tel un “oups”. À croire qu’un dirigeant appuya sur le bouton rouge et laissa malencontreusement un missile s’échapper. Celui-ci se propagea à une vitesse effrayante.

En effet, de bon matin, le nom de Chuck Ibiss apparut dans tous les journaux. Les chaînes d’infos à la radio et à la télévision relataient toutes la même chose : Chuck Ibiss était l’heureux propriétaire d’une boîte de nuit. La même qui avait tant fait parler par son appellation audacieuse et mystérieuse.

Personne ne fut indifférent. Le fait qu’elle ait été construite non loin de son ancienne école tenait la route, le Richess ayant contribué à la rénovation de Saint-Clair. Pourquoi ne pas ouvrir un endroit où les jeunes gens de la ville pourraient se déchaîner ? L’idée n’aurait pas été mauvaise, si elle n'accueillait pas autant de mineurs. Des mineurs confrontés à des go-go danseuses, à ce que l’on dirait.

Une fois le boum envoyé, les photos avaient filtré. Sans doute que de nombreuses personnes virent l’occasion de se faire de l’argent dans don sos en vendant leurs souvenirs endiablés de la soirée aux journalistes.

Le Richess avait-il décidé de garder son anonymat dès le départ ? L’énigme que posait la boîte laissait entendre le contraire. Cela dit, s’il tenait à garder son business à l’écart de son nom, un interne devait l’avoir trahi. Quant à la présence de danseuses, elle n’avait rien d’illégal, contrairement à celle des prostituées. Selon les documents, gentiment envoyés et réceptionnés par la presse, l’endroit servait également de lieu de bonne faveur. La découverte signifiait que Chuck Ibiss se tenait à la tête d’un trafic de prostitution. Une question passait dès lors dans toutes les bouches : Qu’est-ce qui avait bien pu lui traverser l’esprit ?

Cet homme avait tout. Pourquoi se lancer dans un tel business, prendre le risque de ternir son image ainsi que sa carrière ? En réalité, lui-même n’en avait aucune idée. L’exclu lui fut révélée en temps réel. Cette mission avait été montée de A à Z. Se dépêtrer de ce piège ne serait pas si simple. Qui ? Comment ? Convaincre l’opinion publique de son innocence lui prendrait également du temps. Il y aurait pas mal de dupés, mais d’autres, avec plus de jugeote, devineraient le subterfuge.

Ce fut le cas de Louis.

De toutes les personnes à qui Chuck pensa, ce ne fut pas le premier. Pour la simple et bonne raison qu’il le croyait malade. Il était loin de l’imaginer, assis à table, un journal sous les yeux et la télévision tournant en fond. Le son était coupé, mais les images défilaient. Son état s’étant stabilisé, Louis avait quitté sa cellule d’isolement pour une autre. L’espace de la nouvelle n’était pas plus grand, mais il dormait plus confortablement et profitait d’une pleine conscience.

En face de lui, Madame Karen profitait d’une boisson pétillante en sa compagnie. Cela la plongea en enfance, où elle croyait que les bulles remontant à la surface finiraient par exploser tel un volcan. Leurs séances continuaient.

Cette dernière pointa l’écran du doigt :

  • Peux-tu augmenter le volume ?

Louis s'exécuta, aussi intrigué par ce qu’il visionna. Son ami apparaissait en photo principale, des vidéos d’une fête dévoilée en arrière-plan. Le présentateur expliquait la situation devant laquelle la psychologue et son patient restèrent de marbre.

Madame Karen jaugea le regard éclairé de Louis.

  • Qu’en penses-tu ?
  • Je pense… qu’il s’est fait avoir et qu’il est dans de beaux draps.

Tous deux avaient le même avis.

Elle se permit une petite dose d’humour :

  • Peut-être serait-il temps que je reprenne les séances avec Monsieur Chuck Ibiss ?

***

Assis sur le canapé de la salle blanche, la teinte de la chevelure de Chuck dénotait. Il ressemblait à un lys bleu au milieu d’un bouquet de roses blanches. Il se tenait le front.

Comment cela avait-il pu arriver ? Comment son nom était-il apparu sur ces documents ? Depuis les premières heures, les coups de fils n’avaient cessé. Il avait également reçu un tas de photos, que ce soit du bar, des danseuses, des premières nuits où l’endroit avait fait office de bordel. Rien de tout ça ne lui appartenait. Pourtant, n’importe qui pourrait le croire.

Qui avait envoyé les infos aux journalistes ? Pourquoi Kiss ? Un baiser ? KY.E.SS ? Pour qui est-ce ? Cela le rendit fou, mais au lieu de s’énerver, il resta planté dans ce salon, en pyjama. En sentant une queue s'enrouler autour de sa jambe, il reprit doucement ses esprits :

  • Violette…

Le chat finit dans ses bras. Elle se mit à ronronner, lui apportant réconfort. Chuck fouilla ses pupilles aussi perçantes que sa race. La seule piste qu’il avait pour le moment le ramenait à sa femme, pour la simple et bonne raison qu’elle portait son nom.

Celle-ci se plut à le rejoindre. Elle s’assit sur le fauteuil en face et croisa les jambes. Priss aussi possédait un regard vif. S’y ajoutait la méprise.

  • Quel boucan cela fait, dit-elle en délogeant du dossier des poils de chats, puis en les jetant à ses pieds.

Chuck caressait sa petite protégée confortablement installée sur ses genoux.

  • Combien de fois vais-je devoir te demander de te débarrasser de ce chat ? lui lança Priss, d’un air révulsé.
  • J’ai déjà répondu à maintes reprises à cette question, et, jamais.
  • Qu’est-ce que tu peux être gamin… T’amouracher d’un chat à ton âge. Tu me fais pitié. Ce n’est pas étonnant que tu te sois fait piéger de la sorte, bien que… Il fallait bien que ça arrive un jour.
  • Venant d’une prétentieuse de ton niveau, ça sonne faux.
  • Soit. Tu es toujours convaincu que le coup vient de moi ?

Aussi horrible qu’elle soit, il connaissait sa femme par coeur. Priss manipulait les autres comme une reine, mais quand elle jouait, le plaisir y était tel, que Chuck trouvait à chaque fois cette même étincelle.

Il doutait, pourtant.

  • … Si ce n’est toi, alors qui ? Mes parents ? Il est vrai que j’ai trahi mon père à l’époque, ce ne sont donc pas les raisons qui lui manquent de me rendre la pareille, mais… aurait-il eu cette idée de génie ? Je ne crois pas.
  • Peut-être les Stein ? J’en connais une qui imiterait ta signature à merveille.
  • Impossible.

Priss leva le menton, les bras croisés. Elle le jaugea. Cette confiance aveugle en Marry ne lui plaisait guère, ô combien même elle adorait rabaisser son mari.

  • C’est plutôt ton style.

Un mince sourire la gagna. Elle jubilait.

  • Accuse-moi si cela te chante. Mais sache que lorsque tu découvriras que je ne suis pas à l’origine de cette splendide mascarade, je prendrai un plaisir fou à t’observer patauger dans la boue.
  • Ce n’est pas comme si je m’attendais à recevoir un coup de main de ta part.

Priss gloussa et haussa doucement les épaules. L’étincelle. Il la vit apparaître dans ses prunelles sombres.

  • D’accord. Je veux bien t’écarter. Dis-moi si tu as une autre piste ?
  • Absolument pas.

Elle mentait et n’essayait même pas de s’en cacher.

  • Même si j’en avais une, je ne t’en ferai pas part.
  • Arrête donc d’être aussi égoïste, c’est si étonnant que… ?

Il se calma immédiatement quand il la vit poser un regard au-delà de son dos. Chuck se retourna. Il devint blanc comme neige en voyant sa fille.

Laure, pieds nus, signe qu’elle avait bondit hors du lit, se montra dans l’entreporte. C’était une tradition de porter un peignoir de soie dans cette famille. La finesse de cette matière leur seyant comme des gants.

  • C’est vrai ?

Tendue, les narines gonflées, elle aussi le regardait de haut.

  • C’est vrai, tout ça ? Ce qu’ils disent ?

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre. Priss balayait le père et la fille l’un après l’autre. Le premier, en mauvaise posture, se leva pour l’approcher.

Laure continua de le mettre au pied du mur.

  • Tu sais… dit-elle, la voix tremblante. J’étais à cette soirée ! Je les ai vues ces danseuses ! Sous mes yeux !
  • Tu y étais ? Laure, je t’assure que ce n’est pas moi, alors si tu as remarqué quoi que ce soit de suspect…

Il fut coupé par les larmes qui naquirent dans ses yeux. Son teint si pâle rougit. Elle semblait au bord de l’implosion.

Chuck ne savait où donner de la tête. Trop de choses les avaient éloignés dernièrement. Cela l’avait plongé dans un tourment quotidien. À son expression, il comprit que c’était la goutte de trop.

Les mains aplaties, il employa un ton doux :

  • Ce n’est pas moi. Je n’ai pas ouvert cet établissement. C’est quelqu’un d’autre, quelqu’un qui a un intérêt à me voir tomber, donc si tu étais présente, peut-être pourrais-tu m'aider ?
  • Et pourquoi est-ce que je t’aiderai ?!
  • Parce que…

L’honnêteté, fonctionnerait-elle ? Il mit sa fierté de côté, se plia devant sa fille, pour qu’elle comprenne enfin la grandeur de ses sentiments.

  • J’ai besoin de toi.

Sa moue remonta.

  • Bah, tu sais quoi ! Moi, je n’avais aucunement besoin que la Suisse entière découvre que mon père à son nez plongé dans la prostitution !

Rares étaient les fois où Laure agissait comme une adolescente de son âge. Il comprenait sa réaction.

  • Mais ce n’est pas moi…
  • Je m’en fiche ! C’est humiliant. Comment penses-tu qu’on va me regarder à l’école… ? Je suis passée de la fille du… "Grand Chuck Ibiss” à…

Elle effaça une larme compulsivement.

  • Que crois-tu qu’ils vont penser ? Que ce soit vrai ou non, si tu étais si puissant que tout le monde ne le croit, ça ne serait pas arrivé.

Ces derniers mots le touchèrent en plein cœur. Encore une fois, elle lui rappela à quel point il ne valait rien sans son nom. Celui-ci entaché, qu’adviendrait-il de lui ? Pire, qu’adviendrait-il de sa relation avec sa fille ?

Chuck la laissa partir.

C’était trop. Il en oublia un instant la présence de sa femme, laissant son visage exprimer à quel point cela était douloureux. Priss le contourna. En tombant dans son regard, ses traits se resserrèrent. Comment pouvait-il être aussi faible ? Lui ? L’air suffisant dont elle pourvoyait le fit presque sortir hors de ses gonds.

  • Tu as changé, persifla-t-elle, en le toisant de haut en bas. Je suis impatiente de voir comment tu vas t’en sortir. Si tu t’en sors.

Son petit rire, qui s’évanouit, lui donna envie de la rattraper pour lui en coller une. Il n’était pourtant pas ce genre d’homme. Jamais, il n’avait envisagé faire de mal à une femme, mais face à Priss, il perdait ses moyens. Surtout quand elle semblait avoir une longueur d’avance. C’est vrai. Que penseraient-ils ? Les jeunes de Saint-Clair ? Ceux qui avaient aujourd’hui pris leur place ? Que penseraient-ils ? Les Richess.

Marry ? Avec qui il avait perdu le contact à force de se terrer dans son coin. Il avait bel et bien changé. Cela faisait déjà quelques mois qu’il n’arrivait pas à récupérer l’énergie, son moral au plus bas. Cette bombe tombait au mauvais moment. Celui qui l’avait déposée, par contre, avait choisi le bon. Comme s’il avait su qu’en la faisant exploser à cet instant, Chuck s’en trouverait encore plus démoli.

Il n’y avait que l’amour pour sa fille qui le séparait de la vérité, incapable d’envisager qu’elle puisse vouloir l’entraîner si bas. Aveugle, il l’avait imaginé s’enfoncer dans sa chambre pour y cacher la tombée de ses larmes. Ce que Laure fit, claquant la porte après son passage.

Elle s’était laissé tomber contre celle-ci, attrapant ses genoux pour se mettre en boule. Enfouie entre ceux-ci, des secousses l'animaient. En relevant la tête, elle essuya promptement les gouttes au bord de ses cils. Elle pouffa, la malice envahissant son regard droit. L’obscurité s’y dessinait.

Autant de fois qu’elle essaya, Laure n’arriva pas à réprimer ses rictus. Ils grimpaient, sans cesse, pour lui étirer un sourire amplement satisfait.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Redlyone ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0