Chapitre 5 : "Deux Smoothies, s'il vous plaît !"

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Les dernières nouvelles concernant Chuck poussèrent Dossan à jouer la carte de la surprise. Il ne s’était jamais rendu seul chez lui. Cette fois, il espérait lui apporter son soutien, sachant pertinemment que son ami n’en réclamerait aucun. Il l’avait toujours connu avec cette philosophie de vie. Aider les autres, il savait faire. L’accepter en retour, par contre… Le Richess gérait et résolvait toujours ses affaires dans son coin. Voilà pourquoi il possédait l'image d'un homme sans failles.

Impatient de le retrouver, Dossan calma les scénarios de retrouvailles qui se jouaient dans sa tête en arrivant à bon port. La demeure avait été prise d'assaut, plusieurs voitures, ainsi que des personnes munies d’appareil photo, à l'affût. Autrement dit, des mouches à merde. Il les assassina du regard. Heureusement, l'endroit possédait de nombreuses sécurités.

Sécurités que le corbeau se voyait dans l'incapacité de franchir. Comment le rejoindrait-il sans pouvoir passer le portail principal ?

Tout en essayant de ne pas se montrer suspect, Dossan décida de l’appeler. Les choses se compliquaient. Il devait avoir éteint son téléphone à force de recevoir des coups de fil. Il n’y a pas de problèmes, uniquement des solutions.

Sur ces mots, il envoya un sms à Kimi afin qu’elle serve de relais. Aussitôt prévenue, Laure renvoya l'info à la dame de maison, mais uniquement car sa copine le lui avait demandé.

La communication était faite :

  • Je voulais te surprendre, mais je crois que c’est raté, rit-il au téléphone.
  • Effectivement, c’est dommage, car ça m’aurait fait plaisir, répondit ce dernier, le regard posé sur l’horizon.

Depuis sa fenêtre, Chuck cherchait une échappatoire. Vaine, car il n’y avait qu’une seule sortie. À l’avenir, il réglerait ce problème. Il réprima l’envie de sortir sur le balcon pour narguer les paparazzis qui se seraient fait un plaisir de le mitrailler. La même conclusion ne tarderait pas à arriver.

  • Comment fait-on ? le questionna Dossan.
  • Je m’habille et j’arrive. Prépare-toi à m’accueillir. Je ne voudrais pas prendre le risque qu’ils s’infiltrent chez moi.

Tendu par cette mission soudaine, Dossan se mit sur le qui-vive. Quand Chuck débarqua dans l’allée, des lunettes noires sur les yeux, un long trench au-dessus de sa tenue, étonnement civile, les mouches s’agitèrent. Ils l'assiègèrent tandis qu’il ouvrait la plus petite grille avec ses clés, autrement dit, le bon moment pour que Dossan se mette en route. Il klaxonna plusieurs fois en se frayant un passage. Le groupe, autour, ne s’y attendant pas, lui offrit la possibilité de se glisser jusqu’à la voiture.

En atterrissant sur le siège, un soupir de soulagement gagna Chuck.

  • Quel style ! s’exclama Dossan, en faisant de même, les mains sur le volant et le pied sur la pédale.
  • Dossan Dan’s, sache que tu es complètement dingue d’avoir pris ce risque.

Les flashs s’en allaient dans tous les sens. Il prit conscience qu’il apparaîtrait dans la presse. Maintenant, ou plus tard, ça aurait fini par arriver. Un mouvement de tête le gagne avant qu'il embraye :

  • Autant te dire que je n’en ai rien à faire !

***

Le chemin jusqu’en ville fut accompagné des explications de Chuck, à propos du fait qu’il était innocent.

  • Je dois avouer que je me suis demandé ce qui t’était passé par la tête. Jusqu’à ce que j’en vienne à la conclusion que tu ne devais pas être celui derrière tout ça. Tu préfères qu’on se gare où ?
  • Directement devant le bâtiment. Avec un peu de chance, il n’y aura pas autant de monde que devant chez moi.
  • Ça marche.

En tournant le volant, Dossan s’exécuta. Il y avait longtemps qu’ils n’avaient plus partagé un voyage en voiture. Autrefois, aucun ne conduisait. Ils se contentaient de papoter à l’arrière de la limousine, bien qu’il avait souvent s’agit de situations d’urgence.

Maintenant adultes, tout avait changé, si ce n’était que Chuck se sentait apaisé avec son ami à ses côtés.

Le dos du crâne écrasé contre la tête de siège, il profitait du paysage.

  • Toi au moins, tu me crois.
  • Si je ne te croyais pas, je pense qu’on pourrait remettre notre amitié en question, dit-il en lui lançant un clin d'œil.

Chuck déposa sa grande main sur son torse.

  • J’avais oublié à quel point tu étais doux, dit-il en se mordant les lèvres.
  • Tu avais oublié ? Peut-être que je devrais rebrousser chemin, le taquina-t-il. Il n’y a personne ?

Le sérieux à nouveau au rendez-vous, les deux hommes se penchèrent pour observer la devanture de la boîte de nuit. Il n’y avait effectivement pas un chat. Après tout, l’endroit était fermé de jour.

  • Voilà donc l’objet de tous mes problèmes.
  • Tu veux qu’on sorte ? proposa Dossan en ouvrant la fenêtre sur laquelle Chuck déposa son coude.
  • Je me demande…

Fixé sur la bouche opulente qui ne rayonnait pas, le Richess balaya la rue du regard. C’était bizarre. Pas même un journaliste ? Il était vrai que sa venue devant la boîte ne paraissait pas logique. Normalement, il aurait dû se faire tout petit. Il plissa les yeux avant de sortir de la voiture. Dossan suivit le mouvement. Le froid taquin dans leurs cheveux et piquant sur leurs mains, ils les glissèrent tous deux dans leurs poches.

L’air qui se dessinait sur le visage de Chuck, planté devant le bâtiment, était indescriptible.

  • À quoi tu penses ?
  • Je ne sais pas, répondit-il du tac au tac. À trop de choses, je crois. C’est incompréhensible. Priss n’a pas l’air d’être dans le coup, comme je te l’ai expliqué, mais je ne lui fais pas confiance pour autant. J’ai l’impression qu’elle sait quelque chose. Ça me…
  • Frustre ? devina Dossan qui observait attentivement ses traits changés.
  • Oui. Je ne comprends pas comment mon nom a pu se retrouver sur les documents de propriété. Je ne comprends pas non plus ce qui pourrait pousser quelqu’un à me faire une telle blague. Je sais que… Je suis qui je suis, mais… J’ai toujours essayé de faire de mon mieux.

La main réconfortante de Dossan sur son épaule, il serra les mâchoires.

  • Si j’étais vraiment le propriétaire de cet endroit, je pourrais y mettre les pieds un samedi matin si j’en avais envie, mais… Je ne peux même pas ! C’est… !

Il tomba dans les yeux de son copain qui lui portait de la compassion. En se rendant au KYESS, il avait espéré trouver une réponse. Cependant, tout ce qu’il trouva furent des lumières éteintes, un endroit dépourvu de fête, qui semblait lui rire au nez. L’endroit était à ses couleurs. Tout avait été magnifiquement orchestré. Si ce n’était le fait que tout le monde le croyait propriétaire. Cela signifiait qu’il devait pouvoir aller et venir comme il le souhaitait. Même sans clés, il arriverait à ses fins.

  • Je dois revenir ce soir, pour interroger le personnel. Quand ce sera ouvert pour… Les putes, rit-il amèrement. Comme si, moi, j’allais ouvrir un endroit pareil ? Le pire… Tu sais ce que c’est, le pire ?
  • Dis-moi ?
  • C’est que cette histoire est totalement crédible. Le fait que Chuck Ibiss puisse baigner dans ce milieu.

Parler de soi à la troisième personne… Il était l’un des seuls à pouvoir le faire. Il n’y avait rien d’étonnant à ce que quelqu’un comme lui, mystérieux et extravagant, se laisse tenter par de telles divagations.

  • Ne dis pas ça. Tu as toujours été droit, fidèle à tes valeurs,...

Chuck pensa qu’il méritait ce qui lui arrivait.

  • Les gens ne savent pas à quel point tu es bon, là derrière, dit-il en venant cogner son index à sa poitrine.

Alors qu’il souhaita le remercier, les yeux rivés dans les siens, il s’alarma en apercevant au fond de la rue un homme avec un appareil. Dossan se retourna immédiatement, lui aussi découvrant le journaliste en train de prendre la fuite.

  • C’est pas vrai !

Énervé, Chuck se préparait à le poursuivre. Dossan se demanda pourquoi il se donnerait cette peine ? Alors que toute la presse parlait déjà de lui en long et en large. Pour le protéger des médias ? À cet instant, il trouva que celui qui devait protéger l’autre, c’était lui. Il encadra son bras, le retint d’agir bêtement, ainsi que sous le coup de l’émotion. Rien de tout ça ne lui ressemblait.

Sous la pression de sa main, le Richess lui fit face, affolé. Dossan la glissa doucement dans la sienne, ce qui eut pour effet de le calmer instantanément.

  • Je crois que tu devrais prendre un peu de recul.
  • Mais…
  • Mais ? le reprit-il. Je n’ai pas raison ? Ce matin, le ciel t’es tombé sur la tête et quelques heures plus tard, te voilà face à cette boîte… Sans plans, sans aucune idée de savoir quoi faire. Est-ce que ça t’a apporté quelque chose ? Autre chose que de la colère ?

Il aurait préféré être en capacité de nier ce sentiment. Que lui arrivait-il ? Pourquoi laissait-il tout s’échapper ? Depuis déjà deux mois, il avait l’impression d’avoir perdu pied.

  • Tu n’as pas peur que ça jase sur nous deux si quelqu’un nous prenait en photo là maintenant ? lança-t-il, dans une tentative vaine de reprendre le contrôle.
  • Tu es mon meilleur ami. Je m’en fiche de ce que les gens peuvent dire et si j’estime que tu as besoin d’un coup de main, personne ne m’en fera changer d’avis.

Dépouillé d’arguments, le grand Richess serra ses doigts. Effectivement, le fait de pouvoir les toucher le ramena à la réalité. Cette réalité où pour le moment, il se trouvait impuissant, sans réponses et sans solutions. Une fois calmé, Dossan lui sourit.

  • Qu’est-ce que tu dirais… d’aller boire un smoothie ?

Une petite étincelle naquit dans le regard azur de Chuck. Comment pourrait-il le remercier ? Oh, c’était vrai. Il n’en avait pas besoin. Dix-sept ans auparavant, les rôles étaient inversés.

  • J’adorerais !

***

En se rendant au bar à smoothie dans lequel les deux hommes étaient si souvent allés durant leur adolescence, Dossan et Chuck eurent l’impression de faire quelque chose de terriblement illégal. Ils ne s’apprêtaient pourtant qu’à siroter une boisson fruitée, en bons vieux amis.

Dossan avait facilement trouvé une place où se garer, non loin du shop, même s’il y avait du monde aux alentours à cette heure de l’après-midi. Ce même monde qui mettait Chuck mal à l’aise. En le découvrant, son binôme se ravisa :

  • Tu veux attendre dans la voiture ? Je prends à emporter et on va se promener ailleurs ?

Il hésita un instant, mais des chuchotements le convainquit. Dans son quotidien, il y était fréquemment confronté, mais habituellement, le peuple murmurait des choses vraies. Des choses qu’il assumait totalement, aussi tordus soient ses choix. Aussitôt qu’il eut hoché de la tête, Dossan lui balança les clés et partit prendre la commande.

Ce fut seulement une fois à l’intérieur qu’il constata avoir oublié de lui demander ce qu’il souhaitait boire comme smoothie.

  • Que puis-je vous servir ? demanda la personne au comptoir.
  • Oh, je vais vous prendre un vitaminé orange, en médium, et… un blueberry, s’il vous plaît.
  • Quel format pour celui-ci ?

Chuck adorait le sucré.

  • Large. À emporter.
  • Parfait. Je vais vous demander d’attendre sur le côté.

Durant ce temps, Dossan se plaça auprès de la fenêtre principale. Il joua de ses lèvres, impatient d’en profiter ensemble, en gardant les yeux rivés sur la voiture. De là, il n’en voyait que l’arrière, mais pas son ami. Ce genre de sortie, même dans ces conditions, il en espérait plus. Peu de temps s’écoula avant qu’il ne soit appelé.

Un sac en papier à bout de bras, les boissons bien “au chaud”, il s’en alla rejoindre Chuck qui n’était qu’à quelques pas. Le temps de vérifier son téléphone, Dossan ne fit pas attention aux deux personnes qui le dépassèrent. L’un d’eux s’exclama, retenant son intérêt. Quand il releva la tête, le mal était fait, le carreau de sa voiture recouvert d’un liquide rose. L’acte visait la personne à l’intérieur, sans aucun doute, et sans aucun scrupule, également.

Au rire qu’il entendit, Dossan s’élança vers le couple, qui blanchit aussi vite :

  • Mais qu’est-ce que vous faites !! Vous êtes dingues… !

L’homme tira le bras qu’il avait attrapé fermement. Hors de lui, il se rendit compte de la force avec laquelle il l’avait empoigné.

  • Allez-vous-en !! Ou j’appelle la police !

Essoufflé, Dossan les regarda déguerpir, l’attention des passants portée sur lui. Certains pointaient l’intérieur de la voiture du doigt.

  • Ce n’est pas un spectacle ! s’écria-t-il en faisant le tour de la voiture.

Il claqua la porte derrière lui, de nouveau installé sur le siège. En voulant placer leur commande du côté de Chuck, il prit connaissance de son état.

  • Tu vas… ? ralentit-il, avant de blêmir.

Dossan frissonna. Il n’avait vu ça qu’une seule fois dans sa vie. Rigide, le regard enfoncé droit devant lui, les cils de Chuck étaient bordés de larmes. Ses lèvres, légèrement entrouvertes, tremblaient. Vite, il se débarrassa du sac à l’arrière de la voiture et déplaça sa main sur son genou. Il ne l’avait jamais vu porter une telle expression. À son contact, une larme dévala sa joue. Chuck se tendit, il plissa le front et détourna le visage, pleine vue sur le carreau recouvert de Smoothie. Il tourna à nouveau la tête.

  • S’il te plaît… Démarre.
  • Je dois…

Laver la vitre. Sans se prononcer, il sortit illico de la voiture pour la frotter avec un chiffon. Il s’arrêterait plus loin pour la nettoyer correctement. En attendant, la priorité était d'éloigner Chuck du centre-ville, mais pas question de risquer sa vie. Ils leur restaient encore des smoothies à partager.

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