Chapitre 9 : Le bien et le mal.
La quête du bien et du mal n’intéressait pas Steve. En dix-sept ans de vie, sans avoir trop penché d’un côté ou de l’autre, et sans méta-philosopher sur le sujet, il avait décidé de se laisser porter.
Loin d’être un garçon gentil, il ne s’était jamais jugé méchant pour autant. Il pensait la même chose des autres êtres humains. Les gens auraient toujours un mot à dire sur les autres. Il n’avait que des constats dans ses poches.
Dans son pays de naissance, la Sibérie, on le traitait comme un Asiatique, à cause des origines de sa mère, mais une fois un pied posé en Chine, il perdait de ses traits. Le sang Russe de son père coulait dans ses veines. Aux U.S.A., il fut catégorisé d'infiltré par ses camarades de classe. Un espion de taille, qui bouffait des maths et excellait en informatique. Le chintok par excellence, mais tout droit venu de chez l’ennemi.
Une fois arrivé en Suisse, pays dit neutre, Steve s’était demandé comment il serait perçu à Saint-Clair ? Quelle nationalité lui colleraient-ils à la peau ? C’était comme jouer à la roulette russe. Sans mauvais jeu de mots.
“Le gros”, ainsi, l’appelait les élèves de sa classe. Celle-là, il ne l’avait pas vu venir. Il n’avait jamais spécialement réagi à ces insultes. Elles lui passaient au-dessus, et quand il eut sa première petite amie, à qui il ne tenait pas spécialement non plus, il n’accepta pas de faire un régime pour ses beaux yeux.Lorsque cette dernière coucha avec Alex Stein, il ne lui en voulut pas. Les nouilles sautées, ça n’avait jamais vraiment été son truc.
Il disparut de Saint-Clair, comme il y réapparut : tel un ninja. Personne ne fit la différence, si ce n’était qu’ils l’avaient vu partir en roulant sur lui-même, et revenir en grande forme. Plus grand. Plus mince. Plus fort également, ses muscles bien cachés sous sa silhouette longiligne. Les élèves n’avaient pas été les seuls à ne pas apprécier son gras de canard. Après avoir fait exprès de doubler une année, génie qu’il était, ses parents avaient décidé de l’envoyer dans un camp de redressement pour ados turbulents. À l’avenir, il rentrerait au pays pour effectuer son service militaire. Ce ne fut donc qu’un échauffement.
Durant une année complète, il y développa non seulement son corps, sa mentalité, mais également son sens de la cachette. L’autorité, très peu pour lui. L’humour, par contre, devint sa spécialité. Et quelques remises en place plus tard, il finit par obtenir la faveur de ses parents : retourner à Saint-Clair. Il y avait tellement de raisons pour lesquelles Steve ne les respectait pas. Son but ultime devint aussi limpide que de l’eau. Faire de la thune. L’argent sale de ses parents, qui étaient sans nul doute impliqués dans des business douteux, il n’en voulait pas. Sauter des années grâce à son QI surdéveloppé ne l’intéressait pas non plus. L’avis des autres ? Il changeait en fonction du pays où il mettait les pieds. Alors comment vivre une adolescence digne de ce nom tout en remplissant ses poches de gros billets verts ?
La réponse, il la trouva au cœur de sa noble école, et dans toutes les bouches des étudiants de Saint-Clair.
Elle s’appelait Kyle.
***
Accoudé à son bureau, Steve écoutait le cours d’une oreille. Il faisait partie de ses élèves agaçants qui retenaient toute la matière en une seule explication. Dans le cas où il séchait, il empruntait les notes d’un camarade. Pareillement, il lui suffisait d’une lecture.
Kenji jouait très bien ce rôle. En lui-même, Steve savait qu’ils n’étaient pas tendres avec ce dernier. Par “ils”, il entendait évidemment Kyle et lui-même. Ce garçon était détesté de tout le lycée Gordon, et pris en otage par leur duo, il n’avait pas eu l’occasion de faire de nouvelles rencontres. Au plus les mois passaient, au plus il semblait ravagé par l’angoisse et la drogue.
Pour une hyène, il n’était pas bien charognard. Plus d’une fois, Steve se demanda s’il arriverait à stopper les substances. Il arrivait à chaque fois à la même conclusion. Chacun sa vie. Chacun ses problèmes. Il avait son lot également, mais ses soucis pouvaient attendre la fin de la journée.
***
La dernière heure de cours finissait en beauté. Une heure de bonheur en compagnie de Sylvia Levi, la meilleure prof de tout le bahut. Steve avait accepté de ne plus trop la taquiner en classe pour éviter de pointer leur relation. Il lui suffisait de toute manière d’un seul regard pour la troubler. Certaines choses ne nécessitaient pas de devoir étaler de l’argent. L’humour et le culot avaient payé !
Cette fois, il avait le contrôle. Peu importe ses origines, sa nationalité, son pays de naissance, sa corpulence, à Saint-Clair, la simple appelation de son prénom faisait effet.
- Steve, tu comptes dormir à l’école ?
Sylvia l’observait depuis son pupitre, étonnée qu’il soit encore installé sur sa chaise. Avalé par ses pensées, il n'avait pas entendu la sonnerie.
- Tout va bien ? poursuivit-elle, alors qu’Alex attendait à ses côtés, des documents en mains.
Il acquiesça, et se leva de sa place, en récupérant son stylo, seul matériel scolaire dont il s’encombrait.
- J’en profite pour te rappeler que tu ne m’as toujours pas rendu les contrôles signés…
- C’est vrai, dit-il en se grattant l’arrière de la tête.
Steve jeta un œil à son camarade de classe, ouvertement et sans rien dire. Il l’analysa sous toutes ses coutures.
- Qu’est-ce qu’il y a ? lança Alex, sur ses gardes.
Ils se chamaillaient sans cesse depuis qu’il était revenu à Saint-Clair. Le plus marrant avec Alex, c’était qu’il n’en avait rien à faire de lui. Ce type possédait un stoïcisme légendaire. C’était un Pokémon rare. Raison pour laquelle il adorait le taquiner. Le fait que ça fonctionne à tout les coups le rendait fier.
- Je comprends qu’elle ait couché avec toi.
- Quoi… ?
- Bon, je vais aller piquer un somme, moi. Ciao les amis.
Dans l’incompréhension, la professeur et l’élève se regardèrent. Il était fou. Complètement fou d’elle. Une canette à la main, Steve fit son chemin dans les couloirs de l’internat. Les élèves qu’il croisa eurent tous la même réaction. Ils avaient une tendance à le fuir, mais toujours avec un sourire accroché aux lèvres.
Est-ce qu’ils se rendaient compte que la plupart des bombes que Kyle envoyait dans la cour, venait principalement de lui ?
- Yo.
D’un air détaché, il salua le journaliste en entrant dans sa chambre. Couché sur son lit, le blondinet lisait. La pièce puait la cigarette malgré la fenêtre ouverte.
- Tu as repris la lecture ? dit-il en retirant ses chaussures.
Il gardait certaines politesses.
- Bien vu, lança ce dernier en fermant le bouquin, puis en s‘adossant au mur.
Il était gris. Tous ses vêtements étaient trop larges. Cela faisait longtemps que Steve ne l’avait plus vu mangé un repas correct. En baillant, l'Asiat s’étira. Il passa directement au bureau et ouvrit l’ordinateur. Minutieusement, Kyle l’observait.
- Alors ?
- Hum ? fit Steve, qui ne prit la peine de se retourner.
- Qu’est-ce que tu as dégoté sur Alex et Kimi ?
Il déglutit en sentant son regard transpercer son dos. À l'aide des roulettes, il le confronta, et s'installa confortablement pour paraître détendu.
Steve lui mentit droit dans les yeux :
- Je n’ai rien.
- Rien ?
- Ouais, je les ai suivis, mais il n’y avait rien de croustillant. Alex l’a juste pris dans ses bras pendant qu’elle pleurait.
Toisé par Kyle, dont l'agacement grimpait, il fit de son mieux pour ne pas changer d’expression.
- Tu trouves qu’il n’y avait rien de croustillant là-dedans ? Pourquoi tu ne les as pas filmés ?
- Je n'ai pas trouvé nécessaire de…
- Tout est bon à prendre. Tu viens de cramer une chance d’être vachement bien payé. Il me semble, dit-il en venant se caler au bord du lit, que ce n’est pas dans tes habitudes de délibérément abandonner une piste.
Il reposa la question en enfonçant ses prunelles dans les siennes : “Pourquoi tu ne les as pas filmés ?” Steve sentit les sueurs froides se glisser le long de sa colonne. Kyle ne lui avait jamais fait peur. Seulement, depuis quelque temps, il le trouvait bizarre. Enfin, plus bizarre que d’habitude. Il était constamment à cran.
- Il la réconfortait, c’est tout.
- C’est exactement ce qu’il nous fallait.
Steve sera son téléphone doucement dans sa main. Il devait absolument effacer cette vidéo. Qu’aurait-il fait s’il l’avait eu en sa possession ?
- Je t’ai demandé de suivre Kimi.
- Je l’ai fait.
- Tu n’as pas pensé que la filmer en train de pleurer juste après avoir appris pour le couple de Sky, pouvait être une preuve qu’elle l’aime ? J’avais besoin de ça. Donc, tu vas la suivre les prochains jours, et me capturer un moment où elle pleure. En espérant que ce soit encore le cas.
Il hésita.
- Dans quel but ?
- Tu demandes ? Si j’affiche Kimi, elle sera encore plus vulnérable. J’ai besoin qu’elle se sente au plus mal, car plus elle sera mal, plus ce sera facile de poursuivre la suite. J’ai besoin que ce petit diable n’ait plus aucune énergie.
- … Au détriment de la relation d’Alex et Faye ?
Quand Kyle se leva, il fit de même, tendu. Le journaliste passa ses mains dans ses poches et lui accorda davantage d’intérêt. Ils se faisaient face.
- Faye est déjà jalouse de la relation entre Alex et Kimi. C’est maladif chez elle. Si elle découvre qu’ils sont proches à ce point, c’est tout bénef’ pour nous. Il y aura des problèmes dans leur couple, mais aussi dans le groupe, et j’ai besoin que Kimi soit isolée. Je ne peux pas me permettre de la laisser remonter la pente. Quoi ? Pourquoi est-ce que tu me regardes comme ça ?
En effet, il le dévisageait. Depuis sa haute taille, Steve tenait fermement son regard. Lire en Kyle était une épreuve.
- J’ai mal au ventre.
Il se dirigea vers les toilettes, en attrapant son téléphone dans sa main.
- Ha. Elles sont bouchées.
- Ah bon ?
En se tournant, il trouva Kyle à quelques centimètres de lui. Celui-ci lui vola subtilement son téléphone et lui fit un croche-pied. Déséquilibré, il le contourna et s’enferma dans la salle de bain. Steve s’empêcha de claquer son poing sur la porte. Il plaça ses mains en prière, à la place.
- He. Je dois chier. Arrête tes conneries.
Valait mieux rester calme. Il n’avait aucune envie que cette vidéo filtre. Aucune envie que le couple d’Alex en pâtisse des folies qui animaient Kyle. Pouvait-il ouvrir son téléphone ? Steve ne doutait pas qu’il puisse connaître son code après tout ce temps. Tournant comme un lion en cage, il attendit qu’il sorte.
Le bruit de la chasse d’eau lui parut être le plus son au monde. Assis sur la chaise de bureau, Steve appréhenda la porte qui s’ouvrit doucement. La quiétude sur la figure de Kyle lui provoqua un frisson.
Il lui sourit :
- Tu peux y aller.
Steve s’exécuta, doucement, et chercha immédiatement son téléphone partout. En ne le trouvant pas, il réfléchit. Soit, il l’avait gardé sur lui, soit… Les chiottes. Il l’avait foutu dans les toilettes.
- … Qu’est-ce que tu as fait ?
Il se planta devant lui dans la chambre.
Celui-ci joua à l’innocent.
- Je pensais que tu voulais effacer les preuves de cette vidéo ?
- … Je…
- Tu bégayes. C’est mignon.
Le journaliste jouait avec le sien. Il lui arracha des mains.
- Tu plaisantes, là ? Tu ne m’as fait pas ça.
Alerte, il constata que la vidéo avait été postée depuis ses réseaux personnels. lIs ne procédaient jamais de cette manière. Kyle haussa les épaules et se gratta un ongle. Les likes et les commentaires défilaient sous ses yeux.
- Pourquoi t’es comme ça ?? Sérieusement, Kyle ! Tu n’avais pas besoin de poster cette vidéo.
- Ce n’est pas moi qui l’ai postée.
Il se retint de balancer son téléphone contre le mur. Ça n'y changerait rien. Il contint toute sa rage et lui lança dans les mains à la place.
- Je te suis plus. Tout ça, c’est trop pour moi. Au début c’était drôle, mais maintenant, c’est complètement dingue. Tu fais n’importe quoi.
Steve empoigna sa veste et quelques affaires autour de lui tandis que son binôme ne lui accordait toujours pas d’attention.
- Cette histoire de Diable blanc, ça te rend complétement fou. Que tu veuilles révéler le passé de Kimi, je comprends. C’est un ragot. Mais est-ce que tu t’entends parler récemment ? Tu veux l’isoler, qu’elle soit vulnérable ? C’est trop !
- … L’amour t’a ramolli le cerveau, on dirait, dit-il en lui lançant un regard noir.
Il se sentit en danger. Kyle possédait tous les détails de sa relation avec Sylvia pour s'être confié à lui. Ce dernier l’avait même encouragé des nuits entières à persister.
- Ça n'a rien avoir. Remets-toi en question. Tu craches sur l’amour, mais si tu…
- L’amour, c’est comme tout. Ça s’efface au fur et à mesure, comme l’amitié. C’est superficiel. Tu voulais faire un geste envers Alex ? Tu crois qu’il te considère comme un ami ?
- … J’aurais bien aimé.
Franc, Steve laissa échapper une expression triste.
- J’aurais bien aimé avoir un ami de plus, dit-il en serrant ses affaires dans ses bras. Mais apparemment, c’était éphémère. C’est bien. Une épine en moins dans le pied. Je te souhaite bonne chance pour entreprendre la suite.
- Si tu parles à qui que ce soit…
- Je ne dirais rien, et tu vas faire de même, le menaça-t-il d’un ton intimidant. Mais ne compte plus sur moi pour t’aider à détruire les autres.
Il claqua la porte derrière lui. La tête haute, Steve retourna dans la chambre dans laquelle il n’avait presque jamais dormi.
Quant à Kyle, prisonnier de ses pensées, rumina entre ses dents :
- Putain !
Il balança son téléphone au sol de manière incontrôlé. C'était fini. Le duo le plus dingue de Saint-Clair n'existait plus.
***
Soulagée en apprenant toute l'histoire, Sylvia passa ses doigts dans la chevelure raide de son petit ami. Il ne manquait pas de cœur.
Elle comprenait enfin pourquoi les garçons ils ne se parlaient plus, alors qu’elle avait toujours connu Kyle et Steve de manière indissociables.
- J’imagine que ça te fait de la peine…
Ce dernier fronça ses fins sourcils.
- Mais tu as bien fait. Kyle agit comme un enfant. Ce qu’il fait est mal…
- Ce n’est pas une question de bien ou de mal, rétorqua-t-il, agacé.
- … Alors de quoi donc ? demanda-t-elle, d’une voix douce, en caressant le dessous de son menton.
Elle espérait qu’il relève la tête.
- Peu importe ce qu’il fait, ou ce que je fais… Tout ça, on le faisait ensemble, et vu qu’on s’amusait bien, je croyais que… C’est bête, mais je croyais qu’il me considérait comme un ami. Moi, je pensais que nous étions amis.
- Oh.
Entre ses jambes, sur le lit d’hôpital, s'écrasa une larme. Sylvia l’entoura. Cela lui fit du bien de découvrir cette facette de lui, mais tout autant mal de le savoir malheureux.
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