Chapitre 15 : Face à face.

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Enveloppée dans les bras de Selim, qui lui parurent soudainement immense, Faye reprenait doucement ses esprits. Encore soulevée par les saccades, et prise d’un hoquet incessant, elle renifla plusieurs fois, son nez englué par la morve.

  • Tu as des mouchoirs ? demanda ce dernier, concerné par son état.

D’un air déconfit, elle lui pointa le tiroir de sa table de nuit, assise dans le lit. Le contour de ses yeux était tout rouge, accentuant le bleu de ses yeux, ainsi que celui de ses cernes. Quand elle pleurait, sa bouille devenait enfantine. Selim y passa le bout de tissu, délicat, et le plaça ensuite sous ses narines.

Il en tira d’autres tandis qu’elle se mouchait bruyamment.

  • Merci…

Le souffle court, et abattue, la rouquine ne bougea plus d’un iota. L’émotion l’avait assommée. En contrepartie, de nombreuses questions traversaient l’esprit de Selim, qui lui se plaça en indien. Il avait une main sur chaque genou, et la fixait, consterné.

Faye finit par le remarquer, mais elle ne savait quoi dire. Elle l’observa attraper le test entre ses doigts, l’analyser, les sourcils froncés.

Deux traits colorés apparaissaient sur le petit écran.

  • Les deux barres, ça veut dire… ?
  • Une seule, le test est négatif. Deux, c’est…

Positif.

À l’expression qui régnait sur son visage, il jugea qu’il n’y avait rien de positif là-dedans.

  • Je vois.
  • Tu sais que j’ai fait pipi sur ce truc ? lança-t-elle, en décalant ses mèches volages, d’un ton apathique.

Un instant, il releva ses yeux dans les siens, pensant que ce n’était pas drôle. Il constata de suite, que malgré le trait d’humour, elle ne riait pas du tout.

Selim s’en fichait bien qu’il y ait de l’urine sur ce bâton. Mais la vérification étant faite, il le plaça devant lui, entre eux deux.

  • Est-ce que c’est fiable ces machins-là ?

Elle hésita, le regard rivé sur le test.

  • Si c’est positif, c’est que je le suis.
  • Oui, mais…
  • C’est comme ça. Si le test avait été négatif, il aurait pu être faux. Ça arrive quand on le fait trop tôt. Mais s’il est positif, alors c’est sûr. C’est la pharmacienne qui me l’a expliqué. Et puis, je n’ai plus mes règles, donc.

Lorsqu’elle toucha subtilement son ventre, Selim ne put s’empêcher d’y jeter un œil, pensant qu’à l’intérieur, il y avait un ou une petite Faye et Alex qui grandissait. Il avait trop de questions à lui poser.

  • C’est pour ça que tu as fait un test.
  • Oui, vu qu’elles étaient en retard. C’est pas rare qu’elles le soient, mais d’une semaine, ça ne m’était jamais arrivée. Je me suis dit que faire un test me rassurerait, mais…

Les larmes coulèrent toutes seules. Elle ravala son sourire nerveux, qui ne voulait toujours pas y croire. C’était l’ironie du sort.

Il lui tendit un autre mouchoir et attendit qu’elle se calme à nouveau. Toutes ses pensées se dirigèrent alors vers Alex.

  • Est-ce qu’il est au courant… ?
  • Non !

Selim sursauta à son ton paniqué.

  • Non, il n’est pas… Il ne sait pas. Tu ne vas pas lui dire, hein ?
  • Euh non ? Parce que toi, tu vas le faire ?

Elle bloqua, la bouche ouverte, le regard fuyant. Tout dans son comportement laissait entendre qu’elle n’était pas préparée à l’idée.

D’un ton peu confiant, il insista :

  • Tu vas lui dire ? Non, tu dois lui dire, rectifia-t-il, d’un ton ferme.
  • Oui, je… Non, c’est… Je ne sais pas, répondit-elle en se tirant les cheveux à la base du crâne.

Cette fois, c’est son ami qui resta sur les fesses.

  • Comment ça, tu ne sais pas ? Tu es obligée de lui dire ! C’est le père, tu as pas le choix…

Il se stoppa une minute, amenant un regard rond dans le sien. Le doute s’installa avec les hésitations de la rousse.

  • C’est lui le père, n’est-ce pas ?
  • Mais bien sûr que oui ! Qui d’autre ?! s’exclama-t-elle en lui mettant une claque sur la cuisse, mécontente.
  • Aïe ! Moins fort ! Et excuse-moi, je voulais m’assurer…
  • Abruti. Comment ça pourrait être quelqu’un d’autre, ajouta-t-elle en essuyant les larmes qui reprirent de plus belle. Je sais que je dois lui dire, mais… Comment est-ce qu’il va le prendre ? Je ne sais pas si j’oserais, j’ai tellement peur de sa réaction.
  • Heu… C’est Alex. Il risque d’être un peu… sûrement même très surpris et… n’importe qui le serait, j’imagine ? Mais au fait, il ne s’en doute pas ?

Cette conversation devenait de plus en plus délicate. Faye nia férocement. Elle en était certaine.

Selim un peu moins :

  • Pourtant, il y a bien eu… ?
  • Quoi ? fit-elle en essuyant ses joues.
  • Un rapport.

Elle blanchit.

  • Je veux dire, vous vous protégez ? Non ? Et tu prends la pilule ?
  • Je l'ai oubliée…

Son ton devint bas et abîmé.

Dans ce cas, elle n’était plus protégée jusqu’à la nouvelle prise, au début des prochaines règles. Mais celles-ci n'arrivèrent jamais.

  • Vu qu’on s’était disputés au téléphone pendant que je faisais ma valise pour l’internat, j’ai oublié ma plaquette ici…

Machinalement, Faye montra sa table de nuit, là où elle exposait les médicaments et nécessités de tous les jours.

Chose faite, elle n’avait pu la prendre le lendemain matin avant d’aller à l’école.

  • Notre dispute a duré quelques jours et… Il est venu, un soir, dit-elle en plissant les yeux. On a parlé, on s’est réconciliés. On a bu, aussi, beaucoup. Parce que ça nous a fait du bien de sortir et de penser à rien, de juste profiter, rire un peu… C’était, bien, dit-elle amèrement, comme si elle se remémorait un lointain souvenir.
  • Et après ?

Même s’il se doutait de la suite, Selim avait décidé de l’aider. Il la vit se recroqueviller sur elle-même, son visage emprunt de regrets.

C’était toujours la même rengaine.

  • Quand on se dispute comme ça, après c’est toujours très… Après, quand on le fait, c’est toujours, intense. Je ne me souviens pas qu’on avait l’esprit très clair, cette fois-là. C’était la dernière fois, d’ailleurs, ajouta-t-elle, avec un geste las.
  • Vous ne vous étiez pas protégés ?
  • … Non, il n’avait pas de…

De préservatif. Cependant, elle ne pouvait pas reporter uniquement la faute sur lui. Emportés par la rage et la fougue, par l’influence de l’alcool, ils s’étaient laissés aller, sans penser à rien d’autre que de se retrouver. Quand bien même, ils n’auraient jamais dû.

Selim montra une expression serrée.

  • Quel con, c’est la base de se protéger, dit-il d’un ton fâché. Et tu aurais dû lui dire ! Regardez où ça vous…

D’un geste, il la pointait, sans aucune élégance. Cela la remua, mais il avait amplement raison. Maintenant, elle était enceinte et Alex n’en savait encore rien.

  • Excuse, c’est juste que… Non, oublie. C’est fait, de toute façon, déclara-t-il en plaçant ses deux mains dans sa nuque et en se balançant. Mais Faye, tu dois lui en parler.
  • Je le ferai…
  • Quand ?

Ayant été renvoyé de Saint-Clair pour une semaine entière, elle n’aurait pas l’occasion de le voir rapidement en face.

  • Il est suspendu pour le moment, alors… quand il rentrera ?
  • Tu vas attendre jusque-là ? Ça ira ? Tu arriveras à lui dire après ?
  • Je crois…
  • “Je crois,” ce n'est pas envisageable comme réponse. Si tu n’as pas le courage de lui dire, je le ferai.

Trahie dans le regard, Faye s’alarma.

  • Tu peux pas me faire ça !
  • Toi non plus, tu peux pas me faire ça ! Tu ne peux pas me demander de regarder décemment mon meilleur ami dans les yeux et de…
  • Mais moi aussi, je suis ta meilleure amie…
  • Oui, c’est vrai ! Tu es même plus que ça ! Et je… je suis vraiment… Je ferai n’importe quoi pour te soutenir, déclara-t-il en approchant instinctivement ses mains de son ventre. Quoi que tu décides. Mais si toi tu es comme ma sœur, Alex, c’est mon frère. Je ne peux pas lui mentir. Je ne peux pas omettre de lui dire que tu portes son… Faye, je peux pas, dit-il en secouant sa tête, des larmes naissant dans ses yeux. Alors, si tu lui dis pas, même si c’est parce que tu n’y arrives pas, je serais obligé de le faire… Parce que je veux pas le perdre, pas Alex. Ni toi. Je ne veux perdre aucun de vous deux, parce que j’aurai menti… Vous êtes trop importants.

Torturé à l’idée de se retrouver entre ses deux amis, il essuya ses larmes échappées. Faye, la tête baissée, recommença à pleurer, et à nouveau, il l’attrapa dans ses bras afin de lui apporter tout son courage.

  • Dès qu’il revient, parle-lui.

Elle acquiesça, de toute manière incapable de tenir ce secret envers le garçon qu’elle aimait. Mais le fait de lui annoncer, alors qu’ils n’étaient plus ensemble, la terrorisait.

Selim lui tira un nouveau mouchoir.

  • Tiens. Évacue tout ça, dit-il en l’observant faire, quelque chose lui traversant alors l’esprit. Si je comprends bien, je suis le premier à qui tu l’as dit ?
  • … Oui.
  • Tu n’en as même pas parlé à Nice ?
  • Je le voulais. Sauf qu’elle était tellement préoccupée par ce week-end que j’ai pas voulu rajouter ça en plus. Peut-être même que… Elle serait rentrée avec nous, pour rester avec moi, plutôt que d’aller là-bas ?
  • Tu n’as pas tort, dit-il après réflexion. Merci. C’était vraiment important qu’elle passe le cap.

Faye montra d’un signe qu’elle était d’accord.

  • Laisse-moi lui dire, s’il te plaît, poursuivit-elle. Je le ferai en rentrant à Saint-Clair et quand Alex sera de retour, promis, je le ferai aussi. C’est bien qu’il ne soit pas là cette semaine, je dois… Il faut que j’y réfléchisse, de toute façon.

Il y avait effectivement un point qu’ils n’avaient pas abordé, c'est-à-dire son envie, ou non, de garder cet enfant.

  • Mais si je n’y arrive pas… Tu seras là, hein ? lui demanda-t-elle, d’une petite voix.

Selim affaissa les épaules, décontenancé. Il attrapa sa main, y glissa ses doigts, en la regardant droit dans les yeux.

  • Bien sûr que je serais là. Toujours, pour mes amis.

Ce point-là, il le partageait avec un autre Richess.

Une autre pour être plus exacte.

***

Eglantine Akitorishi sortit de sa voiture et traversa son parking, telle une petite tornade, la nuit bien entamée au-dessus de sa tête.

Il était déjà vingt-et-une heures.

Le vendredi soir, il n’était pas rare qu'elle rentre si tard. La Richess, cheffe de son entreprise, clôturait toujours sa semaine avec minutie, avec l’espoir de profiter d’un week-end reposant une fois de retour à la maison.

Depuis l’extérieur de celle-ci, en chemin vers sa porte d’entrée, elle nota la lumière en provenance de la cuisine. Cela la ravit d’avance. Tel un papillon de nuit, Eglantine se dirigea vers la source lumineuse, pressée de la rencontrer.

Après un combat vivement mené avec ses clés, cette dernière s’exclama :

  • Ha ! Enfin à la maison !

Tout de blanc, le hall la réchauffait pourtant. Elle se déshabilla en hâte, jetant son sac à main et sa longue veste sur le porte manteau à l’entrée. Celui-ci s’ouvrit sur une longue robe, faite de nombreuses voiles. Elle détacha également sa longue chevelure qui se défit en cascade.

  • Je suis rentrée ! s’exclama-t-elle, joyeuse, en se pressant de retirer les talons qui la faisaient souffrir après une très longue journée. Ha ! Quel bonheur ! Je n’en pouvais plus.

À pieds nus, elle enfila ses chaussons ouverts, et trottina jusqu'à la cuisine. Elle glissait sur le carrelage à cause de la texture de ses pantoufles et du peu d’effort qu’elle fit pour se tenir, fatiguée et complètement relâchée.

La vue dans l’entreporte lui parut magnifique : Michael, encore une chemise sur le dos, et les manches retroussées, jouait d’une cuillère aux fourneaux.

Elle trépigna, heureuse :

  • Tu es encore là, souffla-t-elle en ouvrant en grand ses bras, la joie sur son visage.

Plongeant dans ceux de Michael qui l'accueillit de la même manière, elle devint sotte. Cela valait le coup de travailler dur pour rentrer chez soi et retrouver son amant. Ce dernier troqua l'essuie dans ses mains et les pressa contre sa taille. Elle fit de même avec son visage, l’encadrant, pour couvrir ses lèvres d’une pluie de baisers.

En lui entourant le cou, elle réduisit la distance entre leurs corps, lui chuchotant des mots d’amour au creux de l’oreille :

  • Tu m’as manqué, mon amour.

Sa voix était aussi claire que du cristal. Elle se passa d'une réponse avec le baiser qu'il lui octroya, plein et suave.

  • Waw…
  • Toi aussi, tu m’as manqué.

Eglantine se savait chanceuse.

Accrochée à son amoureux, elle analysa son activité en cours :

  • C'est pour faire de la crème brûlée ? Tu en as fait beaucoup, dit-elle en se mettant à compter les plats individuels sur le plan de travail.
  • Oui, à ce propos…

Cela fit tilt dans sa tête.

Alors que Michael l’amena à reculer, elle avait déjà compris.

  • Nice est là, dit-il à voix basse, effectuant un mouvement vers le salon ouvert.

Les deux pièces communiquant par une arche, Eglantine déplaça ses doigts sur sa bouche, gênée à l’idée du raffut qu’elle avait fait jusqu’ici. Elle en oublia qu’elle était dans sa propre maison, affaissant ses épaules jusque-là bien droites :

  • Oh non, fit-elle, d’une mine déçue. J’aurais voulu…
  • Ce n’est pas grave, la rassura-t-il, en lui attrapant les mains.
  • Si, je…

Elle était embêtée. Depuis des semaines entières, elle prévoyait le coup. Chaque week-end, elle préparait tout ce qui fallait pour l’arrivée de Nice, au cas où elle se sentirait de venir et cette fois, elle rentrait tard.

  • Je voulais être là pour l'accueillir. Pourquoi est-ce que Loyd ne m’a pas envoyé un message ? Ils sont rentrés ensemble, non ?
  • Chuuut, calme-toi. Ce n’est rien, la rassura-t-il en l’attrapant par les épaules. Ils ont décidé de ça à la dernière minute.
  • Juste au cas où, on vous entend !

La voix du fils prodigue résonna depuis le salon. Eglantine serra les traits et les poings, davantage embarrassée.

  • Mince, souffla-t-elle.

Elle fit signe à Michael de la laisser y aller en première. C’était chez elle. Il n’y avait pas de raison de se sentir aussi agitée. Â tâtons, dans ses pantoufles, la Richess se dirigea vers l’arche qui menait au salon qui servait la plupart du temps à accueillir les invités.

Loyd était installé dans le fauteuil, en pyjama, la télécommande en main et rivée vers la télévision dont il avait baissé le son. À ses côtés, moins visible, elle vit le visage de Nice apparaître, elle aussi en tenue décontractée. L’éclat dans ses yeux la rendit anxieuse, son expression stoïque également.

  • Bonjour, s’en alla Eglantine, en s’approchant, les mains accrochées l’une à l’autre, appréhendant sa réaction.

Nice se déplaça au bord du canapé et lui rendit son signe de tête :

  • Bonjour.

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