Chapitre 18 : Mission impossible.
À la pause, entre deux heures de cours, Kimi ravageait la récompense qu’elle avait obtenue pour sa victoire : un paquet de Marshmallow.
La main plongée entre les bonbons, elle les amenait progressivement à sa bouche et arrachait, avec force, le blanc du rose avec ses dents. Cette action lui permettait de détendre ses nerfs, qui depuis la deuxième heure de cours ne cessaient de lui jouer des tours. À ses côtés, Laure pianotait sur son téléphone. Vu l’énergie qu’elle y mettait, elle devait encore être en train de manigancer un traquenard. Habituée, cela ne la tracassait pas.
Kimi s’intéressait à autre chose.
Blasée, et un poil irritée, elle fixa le dos de son adversaire. Gagner au hockey contre Jena n'avait rien changé à la situation. À la réflexion, elle se demanda ce qu’elle avait espéré que ça change ? Ses yeux sans vie, qui reflétaient le fait qu’elle était perdue dans ses pensées, dérivèrent sur Sky. Et dire que leurs parents sortaient ensemble.
Elle n'attendait pas avec impatience le jour où ils décideraient de faire une réunion de famille.
Tout en mâchouillant machinalement un énième bonbon, elle observa, instinctivement, sa petite amie se lever et sortir de la classe. Même après le sport, elle était belle, sa chevelure détachée respirant librement.
Kimi, elle, les avaient attachés en un chignon, pour tenter de leur donner une forme sympa… Ça recommençait. À chaque fois, elle finissait par se comparer à elle. S'en suivait un horrible sentiment, qui fouillait ses entrailles de fond en comble, et l'obligeait à la critiquer sévèrement dans sa tête.
Elle attrapa un autre Marshmallow en dévisageant l'abruti qui en était à l'origine. Quand Sky tourna la tête dans sa direction, elle faillit s’étrangler.
- Tu en fais du bruit, lança-t-il, comme si de rien était.
Mais rien n'était, pense-t-elle, alors qu'elle essayait de récupérer un minimum de sa dignité. Sky fixa le paquet de bonbons.
- Tu partages ?
À ce moment-là, de nombreuses idées la traversèrent comme l’envie de lui enfoncer un au fond de la gorge ou de lui lancer en pleine figure.
Laure écrivait moins vite sur son téléphone. Cette dernière tendit l'oreille, prête à ne pas en louper une miette.
Face aux yeux plissés de la blonde, mastiquant, Sky comprit que sa demande n'était pas la bienvenue et leva les yeux au ciel. Mais elle se leva jusqu’à sa place pour lui tendre le paquet.
- Tiens.
- Ha, merci ! dit-il, déstabilisé.
- Pas de quoi.
Alors qu'elle resta debout, leurs yeux se rencontrèrent plus longuement que la normale. Elle le regardait de haut, dans une posture plus ou moins détendue. Cela eut l'effet de provoquer une réaction chez Sky, qui, en se sentant soudainement challengé, lui offrit une expression micro narquoise.
- Qu'est-ce que tu as ? l'agressa-t-il, moyennement.
- Rien, je me disais juste que ta tête… c'est comme les Marshmallow, on a envie de l'écraser.
Elle sourit brièvement en le trouvant pris au dépourvu. En se pourléchant les lèvres, il essaya de ne pas faire attention aux élèves qui avaient apprécié la punchline.
- T’es obligé de répondre, mec ! le motiva Selim.
Sky pencha la tête et soupira, marquant un semblant de désintérêt, alors qu'il cherchait en réalité la meilleure contre attaque :
- Ok ! Mais toi, tu es comme les chocolats avec l'alcool dedans. Alors que c'est censé être une surprise, tout le monde trouve ça dégueulasse.
- Poh Poh Poh !
Alors que la classe entière riait, Jena revint avec une collation. Elle s'assit en se demandant ce qui se passait et comprit bien vite que les deux s'amusaient à se lancer des piques. Même si elle était gênée en sa présence, Kimi n'hésita pas à lui rendre la monnaie de sa pièce :
- Et toi t'es un Kinder surprise, c'est ça ?
- Exactement, répondit-il en étendant son sourire.
- Ouais, enfin, normalement quand tu ouvres un Kinder, tu es pas déçu de la surprise !
Le tollé s’entendit jusque dans le couloir, tout le monde éclatant de rire, et Jena comprise. Après tout, elle était la première à le charrier.
Défait, Sky rigolait aussi. Il s’avoua vaincu, en lui souriant :
- Putain, tu m'as eu…
Son cœur se serra.
Ce n'était pas vrai, elle ne l'avait pas eu. La réalité la frappa avec la main que sa petite amie passait dans son dos, le réconfortant et le taquinant en même temps.
"Je t'aime pas."
Cela la foudroya. Jamais, elle n'aurait dû lui dire ça. Jamais, elle n'aurait dû refuser son baiser…
Le regard de Sky qui s'attarda dans le sien lui brûla la poitrine. Elle l'aimait, ce con. Elle l'aimait et ça se lisait à dix kilomètres sur son visage, du moins, pour quelqu'un comme Jena. Quand celle-ci lui lança un petit sourire, une impulsion la traversa.
Surprise, par la main qu'elle pressa sur l'épaule de Sky et le paquet qu'elle lui tendit à nouveau, Kimi fut soulagée du retour de leur professeur. Un instant, elle s'était vu lui arracher des mains, à Jena. Elle s'était imaginée ne l'avoir que pour elle.
Palpitante, et confuse, elle se rassit à sa place et respecta le silence que Sylvia réclama. Cependant, en son for intérieur, le volcan qui grondait était impossible à calmer et quand bien même elle essaya de le cacher, au moins une personne le remarqua.
***
À la fin de son cours, Sylvia Leli décida d'interrompre l'une de ses élèves dans sa course folle vers le repas de midi.
- Kimi !
Celle-ci se retourna d’un coup, arrêtée :
- Oui ?
- Pourrais-je avoir de ton temps une petite minute ? demanda-t-elle d'un ton qui fit comprendre à Laure de les laisser.
Une fois seules dans la classe, Sylvia vit l'incertitude dans les yeux de son élève.
- Ne te tracasse pas, je ne vais pas te réprimander, plaisanta-t-elle, ce qui eut l'effet de l'apaiser. En fait, je voulais te demander si tu accepterais qu'on discute un plus longuement, toi et moi ?
- Heu, maintenant… ?
- Non, bien sûr, pas maintenant ! Mais tu as une heure d'étude cet après-midi, n'est-ce pas ? Donc, si tu le veux bien, il y a deux trois petites choses que j’aimerais aborder avec toi ?
Même si elle l’avait rassurée, elle vit la panique s’installer chez Kimi, qui se mit à fixer intensément ses converses.
- Heu, est-ce que… j'ai le choix ?
- On a toujours le choix. Même si j'ai envie que nous parlions, si toi, tu ne veux pas, je ne peux pas te forcer… Simplement, j'ai eu l'impression récemment que tu en avais peut-être besoin.
À ces mots, elle pinça les lèvres, en songeant à la proposition. Et mal à l’aise, elle accepta quand même le rendez-vous.
***
Décidément, c’était la journée des bonbons. En arrivant dans la classe de Sylvia après le repas de midi, cette dernière lui proposa un Napoléon :
- Merci.
Assise sur une chaise, devant son bureau, elle la déballa et plissa les yeux en l’attrapant dans sa bouche. La petite boule jaune était acidulée. Cela arracha un rire à Sylvia, qui en face, tentait de garder une posture décontractée.
- De quoi vous vouliez me parler… ? demanda Kimi, avec appréhension.
- Il y a plusieurs choses, mais la première, c’est que j’ai remarqué que tes notes avaient baissé dernièrement.
En tant que titulaire de classe, c’était son rôle de garder un œil là-dessus. À sa grande surprise, Kimi acquiesça directement :
- Ha, oui. C’est vrai.
Elle en avait totalement conscience.
- Est-ce qu’il y a une raison particulière à ça ?
- Heu, bah les maths et les sciences, ça n’a jamais été mon truc, déjà, plaisanta-t-elle, doucement. Et puis, oui, les cours sont un peu compliqués en ce moment, je trouve.
- Je vois, répondit-elle, la tête reposée sur son poing et ses yeux marron enfoncés dans les siens.
- … C’est grave ?
- Oh, non, ce n’est pas grave. Ce n’est pas comme si tu étais en échec, mais vu qu’il y a une baisse générale dans tes notes, je t’encourage à revoir un peu plus tes cours, et peut-être à te concentrer un petit peu plus en classe… ?
Ce point lui fit froncer les sourcils, et Sylvia le remarqua.
- Oh, je ne te lance pas la pierre ! À ton âge, moi aussi je ne faisais que bavarder. Alors, je te comprends, mais il faut avouer que vous êtes de vraies pipelettes avec Laure !
Kimi rigola, un peu gênée.
- Oui, c’est vrai, désolée, répondit-elle, la tête légèrement baissée. Je ferais plus attention. Et pour les cours aussi.
- … Tu sais, je ne devrais peut-être pas dire ça, mais en tant que professeur, je vois plein de choses depuis mon bureau et ces derniers temps, j’ai l’impression que tu es un peu tracassée, je me trompe ?
- Heu, peut-être, je…
Elle cafouilla.
- Je me suis demandée si cela avait un lien avec le fait que tu sois moins concentrée en classe, mais surtout, j’ai pensé que tu aurais peut-être envie de parler à quelqu’un ? Est-ce qu’il y a des choses que tu as envie de partager ?
Agitée sur sa chaise, Kimi comprenait exactement où elle voulait en venir. En se demandant si elle pouvait réellement lui faire confiance, elle l’interrogea :
- Comme quoi… par exemple ?
Sylvia comprit à son tour qu'elle voulait bien en discuter, mais uniquement si elle poussait le questionnement.
- De ma mince expérience, je sais qu'après des changements chez eux, certains étudiants sont chamboulés... Est-ce que tout va bien chez toi ? Avec ta famille ?
Des changements ? Elle songea que mis à part le fait que son père sortait avec Blear Makes et que Chuck Ibiss habitait chez elle, tout allait bien.
- C’est vrai que récemment, on a un ami à papa qui vit à la maison.
- Ho ! Comment est-ce que la cohabitation se passe ?
- Ça va. Il est sympa, et c’est provisoire. C’est juste un peu bizarre. Surtout que papa a une nouvelle petite amie, aussi. Enfin, une nouvelle, se reprit-elle. C’est la première fois qu’il se met en couple depuis… Ha oui, c’est mon père adoptif, je vis avec lui depuis que j'ai sept ans, du coup, ça n’était jamais arrivé. Ça aurait pu, mais…
Elle avait été mise au courant.
- Je comprends, ça fait beaucoup de changement en peu de temps.
- Oui, c’est ça.
- Est-ce que l’idée que ton père ait une petite amie t’embête ?
- Ah, non ! Je suis contente pour lui…
- Ce n’est pas un peu bizarre pour toi et ton frère ?
- Si, c’est vrai qu’on a été étonnés, mais il a le droit d’avoir une copine.
Sylvia lui sourit, car elle sentait qu’une partie était sincère. Cependant, elle devinait aussi à son regard fuyant, qu’il y avait autre chose.
- Est-ce que les présentations ont été faites ?
- Je la connaissais déjà, de loin… Mais non, on n’a pas encore été présentées de cette manière-là. Elle n'est jamais venue à la maison et vu qu’il y a Ch… L’ami de mon père qui habite avec nous, ce n'est pas forcément le bon moment.
- D’accord, mais dis-moi, est-ce que tu es impatiente de la rencontrer sous ce jour-là ? Ou au contraire…
Kimi perdit la parole.
- Arrête-moi si je me trompe, mais j’ai l’impression que tu es un peu inquiète à l'idée de la voir ?
Son cœur finirait par la lâcher à la fin de la journée. Celui-ci sautait à chaque nouvelle question. Cela aurait dû être facile d’y répondre, mais pourtant, les mots restèrent bloqués au fond de sa gorge.
Patiente, Sylvia lui laissa le temps de formuler ce qu’elle avait à dire. Des larmes se formèrent dans ses yeux, quand elle pensa qu’une fois qu’ils se verraient tous ensemble, les deux familles réunies, elle se retrouverait face à Sky.
Son père sortait avec sa mère, Lysen et Leroy aussi vivait le parfait amour, mais eux deux… Il n’en était rien. Pourquoi est-ce que ça n’avait pas fonctionné pour eux aussi ? Pourquoi fallait-il qu’il soit avec Jena, sa super future femme ?
Une larme dévala sa joue.
- Excuse-moi, je ne voulais pas te faire pleurer. Tu veux un mouchoir ? lui proposa Sylvia, désolée.
Elle le récupéra en hochant la tête. Puis, elle le tapota doucement autour de ses yeux et sur ses cils, comme Laure lui avait appris à le faire pour ne pas que son mascara coule. Combien de fois avait-elle déjà pleuré dans ses bras depuis qu’ils étaient ensemble ? Cela la tuait de les voir s’embrasser tous les matins. Kimi émit un sanglot. Elle détestait cette vision d’eux durant le temps de midi, en train de se câliner, sous son nez. Elle détestait encore plus la façon dont ils riaient franchement, comment ils se taquinaient sans cesse. Tout avait l’air simple avec Jena Solaire. Il avait l’air heureux.
Et elle s’en voulait à mourir de l’avoir rejeté, mais à chaque fois, la pensée qu'il aurait quand même fini avec elle la confortait dans ses choix.
- Désolée, je…
- Non, ne le sois pas, la rassura-t-elle, d’une voix douce. Prends ton temps, et si tu ne veux plus en parler, c’est ok.
C’était un amour impossible. Le baiser qu’ils avaient partagé ne signifiait rien. Mais elle le rejouait sans cesse dans sa tête. Cet amour la brûlait à tous les étages. Elle avait l’impression d’être envahie par un feu qui ne s’éteignerait jamais. Car elle n’arrivait pas à s’y résoudre.
- C’est juste que…
Kimi devint toute rouge. Elle était embarrassée, et en colère aussi, d’y accorder autant d’importance. La douleur se lisait sur son visage, ainsi que le désarroi.
- J’aime bien quelqu’un, mais…
En comprenant que ce qui la torturait était l’amour, Sylvia s’adoucit davantage et se montra attentive.
- Je ne sais pas si vous pouvez comprendre, dit-elle, durement, en réprimant sa nouvelle montée de larmes.
- Dis-moi, toujours.
Face à sa professeure, mature et expérimentée, Kimi pensa que cette dernière pourrait peut-être la soulager d’un poids.
- Est-ce que vous savez ce que c'est que d’être amoureuse de quelqu’un… que vous ne pouvez pas aimer ?
La façon dont son visage se déforma, brisa le cœur de Sylvia. Aussitôt, elle quitta son poste de professeur et se leva pour venir l’entourer de son bras. Elle caressa gentiment sa chevelure de la tête qu’elle gardait baissée, dans l’espoir de la réconforter. Les larmes que Kimi laissa tomber sur ses genoux, elle les connaissait. Oh oui, elle le savait, combien il était difficile de tomber amoureux d’une personne inaccessible. Elle savait, au combien l’amour, fort, faisait des dégâts, et comment interdit, il déchirait de passion.
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