LEY

Mon esprit cotonneux est comme dans un brouillard toxique dont je n'arrive pas à me sortir. J'entends des voix autour de moi de manière lointaine. J'essaie de me réveiller, mais je n'y arrive pas.

- Laissez-lui le temps de se reposer quelques heures. Je vous assure qu'elle va finir par se réveiller, Miss Vénus, il faut simplement lui laisser du temps.

- À votre avis, pourquoi est-elle dans un tel état, Noah ? Qu'est-ce qui a pu provoquer une telle crise ?

- Je n'en sais rien, maîtresse.

- Et que savez-vous exactement, Noah ? V semble vraiment furieuse.

- Pas grand chose, vous savez très bien que Miss Carré n'est jamais allée au bout d'aucune des thérapies que vous avez essayé de lui faire suivre. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'elle va finir par se réveiller.

- Vous l'avez déjà dit, Noah. Et je suis ravie de le savoir, mais je suis plutôt préoccupée par ce qui a provoqué tout ça. Or, vous me dîtes que vous n'avez aucune explication.

- Miss Vénus, je ne peux faire aucun diagnostic précis à ce stade. Nous le savons tous les deux, ça peut être autant psychologique que physiologique !

- Et que dois-je faire, Noah ? Attendre tranquillement que vous ayez la réponse ? Vous savez très bien que Ley est importante pour moi. Ne pas savoir si elle va bien me contrarie et vous savez combien je déteste être poussée à bout.

- Je le sais, maîtresse, mais comprenez que je ne peux pas faire de miracles. Mademoiselle Carré refuse de se prêter à tous examens depuis son arrivée ici. Elle est fragile psychologiquement et subit le contrecoup d'un traumatisme. Or, nous ne pouvons rien faire si elle refuse de nous parler. Vous et moi savons à quel point elle hait ce genre de choses.

- À ce stade, Noah, je me fiche complètement de ce que Ley peut bien penser, ou même vouloir !

- Miss Vénus, on ne peut forcer personne à se faire suivre par un psychiatre.

- Je vous paye, et de ce fait, j'exige des résultats concrets. Par ailleurs, vous savez très bien, Docteur Pera, que je déteste ne pas obtenir ce que je veux ! Alors, je me fiche du moyen utilisé. Même s'il vous faut aller chercher un remède miracle à Tombouctou, je veux que vous trouviez avec exactitude les raisons pour lesquelles Ley a eu cette nouvelle crise !

- Vous êtes inquiète, maîtresse, et vu le lien qui vous unit, je le comprends. Mais ne pensez-vous pas qu'il est temps de lui dire qui vous êtes ?

- De quel droit vous permettez-vous d'y faire allusion ?

Je sens la panique dans la voix de V, mais j'ai surtout l'impression qu'elle a envie de commettre un meurtre sur la personne de Pera.

Ma tête me fait tellement mal, que je lutte pour ouvrir les yeux. Je distingue la voix de V et de Noah de manière si éloignée que j'ai l'impression de rêver. Or, quand je parviens enfin à soulever les paupières, je vois V infliger une claque retentissante à Noah. Elle crie de rage et de colère mêlée.

- Je vous l'interdis, Noah ! Vous êtes peut-être proche de moi, mais je ne vous permets pas !

Elle s'approche de lui, prête à le frapper une deuxième fois, mais je ne lui en laisse pas l'opportunité. Je saute du lit pour m'interposer.

- Bordel de merde V, qu'est-ce que tu fous ? Je vais bien ! Calme-toi putain, ce qui arrive n'est pas de sa faute, alors pourquoi le gifler ?

Je suis tellement stupéfaite, que je me suis interposée sans réfléchir une seconde. De ce fait, j'ai présumé de mes forces. Je vacille sur mes jambes comme un enfant. D'un mouvement collectif, V et Noah me rattrapent afin de me rallonger de nouveau sur mon lit. Je tente d'ouvrir la bouche pour protester, mais elle ne m'en laisse pas l'opportunité.

- Tu la fermes ! Je lui obéis, mais la toise quand même. Elle s'assoit sur le rebord de mon lit à baldaquin et arrange les oreillers dans mon dos. Les rideaux entrouverts laissent passer la lumière, mais celle-ci est limitée. Dans le feu de l'action je ne l'avais même pas remarqué. Ma tête me lance un peu. Du coup, je la dépose sur les coussins.

- Allonge-toi immédiatement, m'ordonne V.

- J'ai des millions de choses à faire.

- Elles attendront attendront.

- Je vais bien.

Je vais bien.

- Mais bien sûr. Tu te fous de ma gueule, Ley ? Alors que V me hurle pratiquement dessus, je remarque que Noah s'est éclipsé. Furieuse, je reprends la parole.

- Et alors quoi V, mon petit malaise te donne le droit de te défouler sur Noah ? Tu es malade ?

- Non. Moi, je vais très bien, toi par contre, je ne sais pas quel est ton problème.

- Je n’en ai aucun.

- Je rêve. Tu veux vraiment que je m'énerve, ce n'est pas possible.

- Merde V, même si j'ai un problème, cette situation n'est pas de la faute de Noah ! Si je suis tarée, ce n'est certainement à cause de personne !

Voyant mon désespoir, elle s'approche davantage de moi et me prend dans ses bras.

- Tu n'es pas tarée, ma puce. Bon Dieu, non, tu ne l'es certainement pas.

Elle tente de me réconforter quelques minutes. Mais comme il faut bien s'occuper de l'Aurora, je lui demande subtilement de me laisser.

- Tu dois t'occuper du club ! Les élus n'attendent pas !

- Tu essayes de me foutre à la porte, Ley ?

Elle pose un regard inquisiteur sur moi, pour me faire comprendre qu'elle a très bien compris mon manège et qu'elle ne compte pas m'écouter.

- Ley, n'oublie pas que l'Aurora choisit ses élus. Je suis Dame Vénus, la patronne, donc je fais ce que je veux ! D'ailleurs, je ne veux pas que tu penses à tout cela pour le moment. J'ai déjà demandé à Helena de se charger de ton travail.

- Tu as confié mon travail à Helena, je croyais que c'était une mauvaise idée ? Elle fait la moue quelques instants, puis se décide à parler.

- Très bien, Ley, je reconnais que ta précieuse secrétaire est très douée pour la paperasse. Mais pour le côté glamour, on repassera. Il n'y qu'à voir sa réaction lorsqu'elle a vu les essais de la commande spéciale Yaan Blanchard !

- La fameuse balançoire de Sorel, dis-je curieuse.

V me fait un signe de tête entendu. Enthousiaste, je frappe des mains, comme une gamine excitée. Cela fait des semaines, qu'enfermé dans le donjon Star, Sorel travaille à la réalisation de cette luxueuse balançoire. Personne n'a eu l'occasion d'y jeter un coup d'œil jusqu'à ce qu'il se décide enfin.

- Je suppose que s'il vous a permis d'assister aux essais, c'est qu'elle est prête ?

- Tu supposes bien, elle l'est, fonctionnelle et de toute beauté.

Sorel, en plus d'être maître d'encordage, est un véritable artiste. Il réalise pour les donjons des pièces uniques dignes des plus grands designers. V, par je ne sais quel miracle, a réussi à le débaucher. Lui, le meilleur de tout Paris, alors qu'il était indépendant et travaillait pour un investisseur privé.

- J'ai vraiment hâte de la voir.

V se met à rire franchement, grivoise.

- Je vois que notre clair obscur t'intéresse toujours autant, Ley.

- Ce n'est pas parce que je ne pratique pas que cela ne m'attire pas.

- Tiens donc... En tout cas, tu aurais dû voir la tête de ta petite secrétaire. Pendant un instant, j'ai cru qu'elle allait nous faire une crise cardiaque !

Nous nous regardons, puis pouffons toutes les deux. Je suis prise d'un fou rire incontrôlable. Il faut dire que j'imagine très bien la scène et la tête d'Helena.

Je reprends mon sérieux et demande à V.

- Comment toi V, patronne de ce club et dominante de surcroît, a pu employer une vanille ?

- Ce n'est pas moi qui l’ai fait venir ici.

- Dans ce cas, si tu n'es pas celle qui l'a embauchée, comment cette fille a bien pu atterrir ici dans notre cercle aussi fermé ?

Elle hausse les épaules .

- Tu contrôles absolument tout. Comment est-ce possible qu'une coincée du cul pareille, soit une des secrétaires de l'Aurora ?

- Disons que j'ai laissé carte blanche à Triss.

- Tu as fait quoi ?

- J'ai laissé carte blanche à Triss.

Étonnée, je lui affirme :

- Je ne te crois pas.

- Pourquoi pas ?

- V, c'est ta soumise. Je vois comment tu te comportes avec elle, je te conçois mal lui laisser le champ libre, surtout en ce qui concerne le club.

- Tu étais insatisfaite d'Inaya puis de Lovel, il fallait bien que je trouve une solution.

- Au point de laisser Triss choisir une secrétaire pour l'Aurora ?

- Trouver quelqu'un à la hauteur de tes exigences, n'est pas facile, Ley. Il a bien fallu que j'improvise. Alors, quand Triss m'a proposé Helena, j'ai accepté. D'ailleurs, elle semble te convenir. Donc, je me dis que, ce n'est finalement pas une si mauvaise chose de laisser Triss aux commandes.

- Laisse-moi rire ! Enfin bref, je me demande juste où elle a bien pu la dénicher ?

- Je n'en sais rien du tout. Mais d'après Triss, cette fille a son lot de misères et de secrets. Je lève un sourcil interrogateur, mais elle hausse les épaules, comme si elle non plus n'a pas de réponse.

- Nous avons tous nos secrets, Ley, tu le sais mieux que personne, non ? Je n'en sais pas plus que toi.

- Mais c'est impossible V, tu sais absolument tout sur tout. Tout sur les élus, et sur ceux qui travaillent pour toi ont leur dossier. De plus, tu as fait de cet endroit une forteresse !

- C'est vrai, mais Triss n'a pas voulu me dire grand chose à son sujet et j'ai respecté son silence. D'après le peu qu'elle est bien voulu partager avec moi, c'est une sale histoire et très traumatisante de surcroît. Elle est même étonnée qu'Helena ait accepté de travailler pour moi, surtout dans un club comme celui-ci. Enfin bref, Ley, tu devrais te reposer, je vais te laisser. Je t'envoie Sorel, il m'a dit qu'il veut te voir.

- Je croyais que je devais me reposer ?

- En effet, mais tu sais que quand Sorel à une idée en tête, rien ne l'arrête ! Je pense qu'il veut te parler de la séance privé de Yaan Blanchard.

- Il a raison de m'en faire part, le cahier des charges de Blanchard est d'une exigence extrême cette fois. Il emmène sa nouvelle soumise. Par conséquent, il a prévu les choses de manière grandiose. De ce fait, je pense sérieusement assister à la séance privée du Donjon Star.

V me lance un regard étonné, mais ne dit rien sur le moment. Puis, ne pouvant se retenir, me sort des mots dont je ne comprends pas le sens.

- J'ai reçu cette demande spéciale trois semaines plus tôt, Ley. Une certaine personne va être vraiment ravie de te revoir.

Sans me donner plus d'explication, elle s'en va. Je cherche à comprendre de qui elle veut bien parler, mais une douleur sourde martelant mon crâne me rappelle à l'ordre. Sorel aura intérêt à être bref et concis sur l'aménagement du Donjon Star.

Quand à la fameuse balançoire, une description succincte de son fonctionnement devrait suffire. La réalisation du nouveau jouet de Blanchard a coûté une petite fortune. Nous avons même dû faire venir du Japon certains accessoires et matériaux de fabrication, toujours managé par les bons soins de Sorel.

L'esprit créatif et les origines de ce mec jouent en sa faveur, même s'il est encore plus tordu que le plus sombre de nos élus. Contraire à mes habitudes, je suis excitée à l'idée de cette soirée.