DOUTES
LUCAS
Après avoir refermé la porte sur mon meilleur ami, je ferme les yeux et m'adosse à celle-ci quelques minutes. Je me suis économisé un sujet plus que brûlant, mais je sais très bien que ce n'est que partie remise. Andres n'abdiquera pas si facilement. Tant qu'il n'aura pas la certitude que je ne retomberai pas dans mes travers. Je reconsidère l'expression de terreur peinte sur son visage lorsque je lui ai avoué m'être rendu à l'appartement.
Il sait très bien qu'il n'abritait pas une relation saine. Je sais qu'il craint que mon obsession pour Ley n'emprunte un chemin identique à ce qu'il y avait entre Ely et moi. Or, vu la boule d'angoisse qui me pend aux tripes. J'ai la conviction que quoi qu'il essaye de faire, je redeviendrai l'homme de l'appartement. Cette demeure d'art déco rue de Cerisoles que je partageais autrefois avec Ely, un lieu où je laissais s'exprimer mes plus sombres désirs.
Avec Ely, je pouvais aller aussi loin que je le voulais. Elle n'utilisait en aucun cas son safeword. Me laissant faire d'elle ce que je souhaitais, comme si ce que je lui infligeais ne représentait rien. Son seuil de tolérance était si élevé qu'il libérait un monstre en moi. Un démon qui en voulait systématiquement plus et qui acquérait le contrôle de ce qu'il avait découvert quelques années plus tôt en baisant pour la première fois une femme ligotée au montant d'un lit.
Je ne suis pas un pauvre traumatisé que la vie à détruit, et qui pratique le bondage pour dérivatif. Loin de là ! Ma sexualité, je lui séjourne comme une expérimentation toujours constante et c'est sans doute ce qui a démoli Ely. Personne ne m'a initié à ce mode vie. Je me suis juste laissé prendre à cette envie croissante de domination sur mes partenaires.
Jusqu'à ce que je me prenne au jeu et que je finisse par m'instruire. Casey et Andres, mes deux amis, considèrent le BDSM comme un divertissement récréatif. Moi, je le vois comme un élément sans lequel je ne peux pas jouir.
En conséquence, entendre Andres me demander si je suis amoureux m'a prit au dépourvue. Comment expliquer que je puisse aimer Ley et que je ne sois jamais tombé amoureux d'Ely, la femme unique avec laquelle j’ai vécu ?
Agacé par le cours de mes pensées, je me ressaisis. Puis, je me dirige vers le bel ascenseur vitré qui desserre les cinq niveaux de la maison afin de retrouver ma chambre située au deuxième étage. J'ai toujours apprécié les grands espaces ouverts et lumineux. En construisant cet endroit, je voulais pouvoir admirer les différentes vues du magnifique quartier de Montparnasse, ainsi que les jeux de lumière présents aux divers moments de la journée.
J'aime vivre à Paris.
Cette ville est charmante, sensuelle et douce comme une amante laissée en sommeil. Elle m'impressionne encore et toujours, malgré ses rues encore pavées et piétonnes. Rendu à une sensible mélancolie, les accents parfois gris de son ciel nous touche comme un baiser humide.
Ses journées ensoleillées et douces sont comme des instants volés dont il faut profiter. Ses terrasses de café, animées de différentes couleurs, nous renvoient au plaisir d'une vie faste et simple à la fois. Son architecture riche et diverse, enjolivée par ses promenades fantasques et romanesques, nous étreint comme les caresses d'un amant.
Et que dire de ses musées, de ses foules de touristes, de sa pluriculturalité et de la majesté de sa dame de fer qui réchauffe mon esprit créatif. Croyez-moi, après avec parcouru certaines de ses ruelles mythiques ou non, j'apprécie toujours ses aspects avec la virtuosité d'un architecte qui souhaite participer à l'évolution de son paysage urbain avec brio.
En remontant à l'étage, le soleil passe sur mon visage à travers les baies vitrées. Je tente de fixer quelques instants ce brin de lumière avant qu'il ne disparaisse. Je passe le couloir balcon vitré qui est planché de bois naturel, et me dirige vers ma chambre design dans les tons ton gris orgeat. Mes vêtements tombent un à un sur la moquette, puis j'entre dans la douche italienne. Je règle le jet à la bonne température et adosse mon front à la paroi carrelée de mosaïque.
La nuit dernière, ma gueule de bois et ma récente conversation avec Andres m'ont mis à plat. Mais, en conclusion, je reconnais que je suis obsédé par Ley. Elle m'attire tellement, que j'en perds la tête. Son corps désirable collé à moi, la chaleur de sa peau, son parfum, la douceur de ses lèvres, le doux frottement de son sexe sur le mien.
Je me souviens des moindres détails de cette brève caresse, comme si cette fille avait un pouvoir immense sur mes sens qu'il m'est impossible de ne pas penser à elle. Je ferme les yeux de désir et d'excitation, puis je glisse ma main sur ma queue. J'ai besoin de jouir.
Je me l'imagine ici, parée de sa merveilleuse dentelle. Cet instant où je la goûterai. Bordel, cette nana est ma tentation, mon péché et ma damnation.
J'empoigne ma bite plus durement. Commencent de lents va-et-vient puis de plus en plus rapides. Je finis par faire couler ma semence en visualisant ses yeux hypnotisant et la volupté de son corps. En revenant à moi, je me rends compte que je suis encore plus frustré de ne pas pouvoir la posséder. Alors, de colère, je tape comme un fou contre le mur. J'attrape la robinetterie afin de m’asperger d’eau froide.
J'émerge de la douche, et prends sur une des étagères une serviette. Me sèche et enfile une tenue décontractée. Il faut que je m'ôte cette femme de la cervelle et le meilleur moyen d'y parvenir, c'est de bosser.
Après deux sonneries...
Elle finit par répondre.
- Moira, dis-je.
- Monsieur Lambert, si je m'attendais.
Son intonation est cassante et sarcastique. Il faut dire que depuis quelque temps, je suis odieux au bureau. Aussi abrupt qu'elle, je dirige la conversation sur le travail.
- Épargne-moi tes sarcasmes, Moira. Je ne suis pas d'humeur ! J'ai besoin de savoir où en est Beauvais sur l'avancée des verrières. Si tu peux venir pour onze heures à mon domicile et contacter Dumas, le chef de projet.
Certes, je connais le tempérament de Moira. Elle éprouve une rage insensée après tout ce que je lui fais subir au bureau depuis des semaines. Mais après les merdes d’hier soir à l'Aurora, et Andres aujourd'hui, je n'ai aucune envie d'être énervé par notre « lèche foufoune » nationale. Je n'ai besoin que d'une chose, me concentrer sur mes dossiers.
- Les verrières sont presque terminées, Monsieur Lambert, mais monsieur Beauvais demande un délai de deux jours pour les finitions. Comme prévu, je serai chez vous pour onze heures. Par contre, Monsieur Dumas m'a déjà appelé et m'a fourni les plans du projet Lilas. Les designers de notre département urbain souhaitent vous rencontrer lundi matin. Dois-je caser ce rendez-vous dans l'après-midi ?
Moira doit réellement être énervée, car elle continue de me vouvoyer. Décidément, ma semaine n'a même pas commencé qu'elle s'annonce mal et promet déjà d'être chargée. Il faut dire que j'ai beaucoup de mal à déléguer mes projets. Après le suicide d'Ely, travailler a demeuré l'unique solution pour ne pas être totalement déconnecté du monde réel.
J'ai réussi à hisser ArchITL & Co au rang de société internationale et tout cela en moins de cinq ans. Or, en définitive, j’ai renoncé à mon premier amour, la joie de la créer. La finance, les investissements, la gérance du groupe laissent peu de place pour la création. Mais je ne peux pas me plaindre, car je suis le plus jeune PDG de ma génération qui a réussi à devenir milliardaire grâce à l'implantation progressive de cabinet aux projets architecturaux innovants.
En comparant ma réussite professionnelle à mes relations personnelles, j’en reviens à mon échec de conquérir une femme. Je sens la colère monter et tente de me concentrer sur ma conversation avec Moira.
- Tu veux me faire payer avec tes messieurs Lambert, Moira ?
- ...
Elle garde obstinément le silence.
Ainsi, je décide de jouer le jeu et de la vouvoyer.
- Merci de votre grande efficacité. Quant aux designers du projet huit cent, je suis dans l'incapacité de les recevoir lundi. Reportez le rendez-vous à mardi matin neuf heures, puisse que je rencontre le client le lendemain pour un dîner d'affaires.
J’essaye de paraître concentré alors que mon esprit vagabondait quelques minutes plus tôt.
- Très bien, Monsieur. J'ai traité un message d'un certain Landry Duchemin. Il vous invite à le rappeler dans la matinée. Selon lui, c'est assez urgent.
Duchemin, pourquoi m'appelle-t-il ? Cette histoire est tout à fait étrange. Je ne lui ai demandé aucune recherche depuis celles effectuées sur Yaël, l'ex petit-ami de ma sœur, qui selon toute vraisemblance était merveilleux avec Kelly. Enfin bref, nous examinerons cela plus tard.
- Merci, Moira, je vais m'en occuper. Pourriez-vous m'apporter le rapport du deuxième trimestre et le contrat de confidentialité pour le projet Mercier ? Et puis j'aimerais que vous me trouviez le meilleur designer. Casey est un très bon ami et je désire apporter un soin particulier à cette réalisation.
Moira, qui a été peu réactive jusqu'ici, laisse échapper un léger toussotement.
- Monsieur, si je puis me permettre, ce genre de demande ne fait pas partie de nos projets habituels et la personne qui m'a été recommandée pour ce job a disparu des radars depuis six mois. Il ne travaille que sur recommandation et ses réalisations sont très onéreuses.
Un sourire ironique naît sur mes lèvres. Je ne savais pas que notre genre déstabilisait autant Moira. Après tout, elle est lesbienne, donc normalement peu choquée par certaines pratiques. Mais on dirait que ma charmante secrétaire et amie a elle aussi des limites. De quoi la taquiner et la mettre en pétard. Quoi que, soyons sérieux, Casey m'a confié la réalisation de son Donjon, autant lui donner pleine satisfaction. Les affaires sont les affaires.
- Je me fous de tout ça, Moira ! Peu importe qui es ce type, trouvez-le moi ! Avez-vous au moins un nom à me communiquer ?
- Et bien, c'est un certain Sorel Nawashi.
Sorel, ce nom me disait vaguement quelque chose.
- Trouvez-moi ce type ! Le prix importe peu. Casey peut se le permettre de toute façon. Et en ce qui concerne les matières premières, Casey ne désire que des matériaux nobles, alors arrangez-vous pour avoir l'appréciation de ce Sorel Nawashi. Mettez-moi la main sur ce type rapidement !
Si elle n’y parvient pas, j'en informerai Gram pour qu'il s'en charge.
- Très bien, Monsieur. J'aimerais vous rappeler que le gala en faveur de l'association " Une école pour un village", dont vous êtes un des principaux donateurs, a lieu jeudi dix-huit. Dois-je trouver quelqu'un pour vous accompagner en sachant que vous avez rompu avec Mademoiselle Devos ?
Putain, j'ai zappé cette soirée et je n'ai aucune envie de me coltiner une pimbêche. Je supplierai Kelly de m’y escorter.
- Inutile, Moira, de chercher quelqu'un pour cette soirée. Je vais m'en charger seul. Les plans pour la maison de couture des docks sont pratiquement achevés. Pourriez-vous les faxer à Inès avant la fin de l'après-midi ?
- Bien sûr, Monsieur. Ce sera tout ?
Je sais très bien pourquoi cette petite peste, s'évertue à me poser cette question, mais pas question de me prendre la tête.
- En effet, ce sera tout, Moira.
Je réponds avec une légère moquerie dans la voix, très étonné de constater qu'elle ne m'envoie pas de pique.
- Très bien, à tout de suite, Monsieur, dit-elle en appuyant bien sur le monsieur pour me faire comprendre son agacement.
Mais je ne relève pas et je raccroche à cette affirmation. En me repassant le fil de la conversation, je me rends compte que j'ai laissé pas mal de choses en suspend. Comment ai-je pu me laisser dépasser par les yeux splendides de Ley Carré, au point d'en oublier le chantier des verrières ? Heureusement que mon équipe parisienne est en avance sur ce projet, car dans d'autres circonstances, ce délai de deux jours aurait été une véritable catastrophe.
Le temps, c'est de l'argent. Il y a longtemps, que je l'ai compris. En d'autres termes, il n'est pas question de foutre mon entreprise dans la merde à cause de cette garce de Carré. Je me concentre à nouveau sur les plans de la maison de couture des docks, quand je me souviens devoir contacter Duchemin.
Toute cette histoire est en effet étrange d'ailleurs, puisse que je ne lui pas demandé d'effectuer des recherches pour mon compte. Je compose le numéro. À une peine une sonnerie et je l'ai déjà.
- Allô, Monsieur Duchemin.
- Ah, bonjour Monsieur Lambert, j'attendais votre appel.
- Un problème ?
- Non, mais j'ai acquis quelque chose qui devrait vous intéresser. Pouvons-nous nous voir d'ici demain ? Je pense qu'il serait préférable que je vous parle de cette affaire en personne. D'ailleurs, je ne sais même pas comment cette histoire est possible.
- Mais enfin, Duchemin, de quoi parlez-vous ? Je ne saisis rien.
- Je me doute, Monsieur, mais c'est à propos de votre amie de longue date.
- Mon ancienne amie ? Mais de qui parlez-vous ? Je ne bénéficie pas de toute la journée !
- Je parle de votre maîtresse Ely Eléonor Courcelles.
Je serre mon téléphone avec une telle violence que je suis sur le point de le broyer. À cet instant, toutes mes certitudes s'effondrent et de nombreux doutes s'installent.
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