MENSONGES
À l'ombre d'une boutique.
Cela fait des heures que je l'observe à son insu. Elle est toujours aussi majestueuse. Je dirais même qu'elle est encore plus enchanteresse qu'avant. Elle ne marche pas, elle flotte. Sa démarche est fluide et gracieuse. Les hommes dans la rue, se retournent sur son passage et la déshabillent de leurs regards concupiscents. Mais bien sûr, elle ne semble pas s'en rendre compte.
Perchée sur des stylos rouges, le voilage de son ensemble blanc bouge en harmonie céleste avec ses mouvements gracieux. Le tissu fluide reflète les éclats du soleil de cette fin d'après midi. De boutique en boutique au cœur de Saint-Germain-des-Prés, elle progresse comme une apparition divine, indigne de simples mortels. Elle ne voit pas qu'elle absorbe toute la lumière autour d'elle. Accompagnée d'une jeune femme un peu plus mûre, elle semble apprécier son après-midi shopping.
À en croire son expression, on pense qu'elle est radieuse. J'aurais pu juger la même chose, si je ne connaissais pas cette teinte inquiétante dans ses yeux violet. Elle a raison d'être malheureuse. Du reste, quelqu'un comme elle ne pourra en aucun cas être heureux. Il faut dire que je me suis toujours assuré qu'elle ne le soit pas, et j'avais bien l'intention de continuer. Je demeure le chasseur et elle est la proie.
Mon but ultime est de la rendre aussi misérable que possible. Elle pourra continuellement essayer de me fuir, mais elle n'arrivera jamais à se cacher de moi. Elle se croit en sécurité et c'est si commode de lui laisser penser qu'elle l'est. Parfois, je suis si proche d'elle, que j'arrive à la frôler. Je la hais aussi profondément qu'il m'est faisable de la haïr quelqu'un.
Ley
Saint-Germain-des-Prés
- Et si après notre arrêt chez Hermès nous observions une brève pause ? me demande V avec espoir.
Elle pense me contrarier, mais en réalité, cette suggestion tombe à point nommer. Si V sait que je me suis forcé à honorer cette sortie, elle sera déçue. Pour elle, ce rendez-vous de shopping hebdomadaire représente un passage incontournable de notre semaine.
Alors, pour conserver l'ambiance de fausse nonchalance qui persiste entre nous depuis deux jours, je continue de maintenir les apparences. Après la débâcle au Donjon Star, V tente de maintenir une sérénité relative autour de moi. Afin, selon elle, de ne pas me sentir traquée par ce qui s’est passé avec Lucas.
Or toutes ces putains de précautions ont le don de m'exaspérer. Ils me traitent tous comme une chose insignifiante et délicate, ce que j'ai toujours voulu évité. Malheureusement, quand je tente d'aborder le sujet de front, je me heurte à un mur de sollicitude. V, Helena, Isaac, Sorel. Sans exception ont décidé de me rendre la vie infernale avec leurs précautions.
- Excellente idée. Je commence à fatiguer, lui dis-je sans autre forme de procès.
V lève les yeux sur moi à nouveau, me scrute comme si elle cherche à lire en moi. Et cette fois, je n'arrive pas à me retenir, j'explose.
- Arrête, V !
Elle me regarde avec une innocence parfaitement feinte, mais qui ne trompe pas.
- Que j'arrête quoi ?
Elle fait semblant de ne pas comprendre, mais cette fois, je n'ai pas l'intention de la laisser me mener en bateau.
- Arrête de me regarder comme si j'étais une pauvre tarée ! Arrête de me passer de la pommade, putain ! Tu m'as tellement graissé le cul ces deux derniers jours, que je peux te garantir que peu importe l'objet, il glissera tout seul.
J'ai été parfaitement vulgaire, mais au stade où j'en suis, j'en ai franchement marre. Le regard de V pèse sur moi. Et pour quelqu'un qui n'a pas l'habitude d'adopter ses mots, elle semble incapable de me répondre.
- Alors quoi, V ? Tu vas rester là ?
Elle secoue la tête, afin de me faire comprendre qu'elle n'a pas l'intention de se prendre la tête avec moi. Sauf que je m'en balance complètement de ses états d'âme. Certainement, j'ai craqué. Je débloque complet depuis quelque temps. Mais à vrai dire, c'est la première fois en cinq ans, que mes démons me pètent à la gueule avec autant de force.
Je revois de nouveau Ely. Je revois Damian. Je fais des cauchemars récurant où Lucas Lambert s'ajoute parfois. Je culpabilise de mon incapacité à faire mon deuil. J'ai le sentiment de devenir folle, de mourir à petit feu. Je n'ai pas pu enterrer Ely. Je n'ai aucun souvenir des deux jours précédents la découverte macabre de ma petite sœur suspendue au bout d'une corde.
D'ailleurs, pourquoi se souvenir d'une chose, qui a fini par détruire la dernière lueur d'innocence qui vous reste. Je suis en colère. J'ai la rage. J'ai le sentiment de ne plus rien contrôler et tout cela me rend dingue. Ma frustration augmente et je m'attaque de nouveau à V.
- Ainsi, tu vas énoncer quelque chose ? Oui ou merde ?
Il semble que ce soit la provocation de trop.
- Tu as besoin de voir quelqu'un, Ley.
Je la regarde attentivement et je ricane, cherchant à la provoquer davantage pour savoir si elle est sérieuse.
- J'ai repoussé cette conversation depuis beaucoup trop longtemps, je le sais.
Elle accroche mon regard avec une détermination affichée.
- Tu dois réellement voir quelqu'un, Ley. Pour ton bien, tu dois t'affranchir de ce poids.
Elle semble déterminée. Sauf que moi, j'éclate de rire.
- Se délester de ce poids, me libérer de ces charges ! Bordel V, de quoi tu parles ? Sérieux ? Comment me débarrasser de ce fardeau, alors que je n'ai même pas été capable de la faire enterrer ?
Je suis en colère, vraiment en rogne. J'ai déjà été proche de la rupture, mais cette fois, j'ai l'impression d'être au bord d'un grand précipice. Je suis désespérée. Je me sens seule, honteusement salie par ce passé qui ne m'octroie aucun répit. V se rapproche de moi, mais n'esquisse aucun geste pour me consoler comme elle l'aurait fait habituellement. À l'inverse, elle reprend d'une voix douce, mais ferme.
- Tu ne peux pas continuer ainsi, Ley ! Je ne peux pas te laisser faire. Nous t'avons laissé cinq ans, Ley. Cinq longues putains d'années, mais rien ne s'améliore. Je ne peux plus te regarder mourir à petit feu. J'ai fait des démarches sans ton accord, tu dois te confier. Tu n'as jamais pu tout me dire, ce que je comprenais au début. Maintenant, ce n'est plus concevable. Tes cauchemars ont recommencé. Et au lieu de demander pardon à Ely, tu es terrorisée par un certain Damian.
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