Immondices (prose)
Sous l’arctique échauffé, un foret gigantesque pénétra la croûte terrestre, pour délester la lithosphère de ses trésors organiques malodorants. Cette fois, l’humanité ne put colmater la plaie qu’elle avait mis tant de cœur cupide à ouvrir. Les millions d’années de l’évolution décomposée giclèrent comme autant de glaires venues du fond de la gorge du monde. Le pétrole inconscient de lui-même se répandit en jets puissants dans les eaux froides, transformant les derniers vestiges de la banquise en boue désolée. Désormais, l’huile sombre dérivait sans fin sur l’océan. Nappe après nappe, se dressait la table d’un ultime festin à l’échelle du globe, écrasant les vagues, étouffant partout la vie. Un cachalot plongea si profond que ses poumons éclatèrent enfin, le délivrant de l’ombre rampante. Dauphins et baleines, englués tels des mouches, périrent en tentant de crever le dôme qui avançait inexorable, jusqu’à recouvrir toutes les mers. Bien avant que la vie eut péri au sein de la soupe primordiale, l’air en relents fétides répandit le fiel jusqu’au cœur des plus hautes montagnes, dévalant les pentes à ravir, pour porter plus loin son ordre macabre.
Bien longtemps l’onde souillée montra ses orbites vides, son sourire tranché, au cieux indifférents.
Les millénaires roulèrent, en vain, la toupie terrestre, emportée pour rien dans son élan mécanique.
Quelques éons plus tard, la vie insatiable surgit de l’immondice flottant, agité par la lune. Des voix se firent entendre nées de plastique et d’huile lourde. La singularité i aux hydrocarbures qui levèrent des millions d’yeux aux ciel à la recherche de Dieux pour les enfanter. L’homme venait de renaître de sa propre charogne.
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