P.R.O.F. Q125

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La salle de classe contenait 125 individus, tous bien attachés sur des sièges très confortables, sur coussin d’air et dossier à bulles de mercure. Leurs têtes étaient maintenues par un casque stimulant l’attention par des micros piqûres au niveau du front, de la nuque et des oreilles. Ces modèles novateurs n’avaient pas encore le système de vibration cérébrale, ni l’intra injection de caféine pour lutter contre la fatigue. Non, ces innovations n’apparurent que 10 ans plus tard mais, tout de même, le caisson d’instruction P.R.O.F. Q125 était à la pointe de la technologie depuis les décrets sur la pédagogie assistée par ordinateur quantique.

À cette époque, j’étais un petit nouveau dans la profession. L’enseignement m’enchantait et ce fabuleux pouvoir de faire passer des informations nouvelles chez les élèves me motivait beaucoup. Oui, j’étais encore aveugle et insouciant. Je découvris bien vite combien le désenchantement était douloureux…

Assigné au 43ème caisson d’instruction P.R.O.F. Q125, je pensais encore avoir la liberté de rendre mes cours plus intéressants. La liberté de donner envie d’apprendre. La liberté… Ah, la liberté !

P.R.O.F. Q125 était donc là, devant moi. Les élèves étaient solidement attachés à leurs sièges. Mes supérieurs hiérarchiques scrutaient mes résultats derrière la vitre, observant mes faits et gestes, critiquant déjà ma façon de respirer et ma lenteur à activer le programme de la journée.

Ce fameux programme…

C’était le logiciel d’activation de P.R.O.F. Q125, très performant, mais qui demandait quelques minutes de programmation pour démarrer. En effet, il fallait entrer les données correspondantes aux absents de la journée, les matières étudiées, le temps qu’il faisait dehors, la pression atmosphérique, la température, les faits divers actualisés, etc.…

J’avais enfin terminé la mise au point matinale et j’appuyais sur « Entrée » avec fébrilité. Tout était désormais entre les mains mécaniques de l’ordinateur quantique. Moi, je ne devais que superviser les séances.

Les élèves ? Ils ne me voyaient même pas ! J’étais insignifiant, un pion remplaçable, un enseignant bon à répéter inlassablement les mêmes opérations tous les jours. C’était la réalité et elle explosa à mon esprit au bout de quelques semaines :

Je ne servais pertinemment pas à grand-chose…

Les élèves ne pouvaient pas bouger. Ils regardaient un immense écran 3D qui diffusait les tables de multiplications, la guerre de cent ans, la densité urbaine européenne, le cycle de l’eau ou bien encore les verbes irréguliers au passé simple…

Mais la différence avec l’ancien système se voyait immédiatement…

L’ordinateur quantique stimulait les élèves avec des implants virtuels qui intégraient leur mémoire pour enregistrer des leçons à apprendre. C’était trop facile et trop triste à la fois, mais le gouvernement avait enfin trouvé la solution à l’échec scolaire.

L’investissement colossal en machines quantiques était quelque peu compensé par l’éradication quasi totale de la profession d’enseignant. Des millions de salaires en moins et des ordinateurs que l’on pouvait manipuler sans résistance et 24 heures sur 24.

Moi, j’étais l'un des rares fonctionnaires à posséder encore le statut d’enseignant programmeur. Mais les programmes, c’était bien P.R.O.F. Q125 qui s’en occupait. Il planifiait les programmations au fil des semaines et moi je programmais les planifications partiellement tous les mois, pour vérifier que rien ne clochait…

Bien qu’un peu réticents au début, les élèves adoraient ça. Les jours de classe étaient de toute façon réduits à 3 par semaines. Les parents qui n’acceptaient pas la nouvelle pédagogie pouvaient toujours placer leur progéniture dans des écoles privées mais les prix étaient exorbitants, faute de concurrence.

Finalement, la sélection à l’école n’avait plus lieu d’exister. Tout le monde était semblable. Tous les élèves étaient similaires. La liberté disparaissait peu à peu avec les différences et la créativité. Mais finalement, le peuple s’en moquait puisque la violence avait presque totalement disparu.

En outre, l’orientation des élèves se faisait selon des critères de prédispositions génétiques dès la naissance. De ce fait, leurs carrières étaient toutes tracées.

Oui, ça facilitait les choses.

Sans liberté et sous contrôle, les choses sont toujours plus faciles pour ceux qui ont le pouvoir de décider.

Je n’en pouvais plus. Les rires et les questions des enfants que j’imaginais me manquaient. Mon rôle de pantin programmeur me fit déprimer chaque jour un peu plus. Alors, un soir je pris une décision grave : détruire P.R.O.F. Q125 !

Pour mener mon méfait à son terme, un bon virus planaire fit l’affaire. J’infectais le réseau européen des P.R.O.F. Q125 à l’aide du virus et, en quelques jours, un prodigieux bazar éclata, rappelant aux plus vieux les grèves automnales ritualisées de l’Éducation Nationale.

Trois semaines plus tard, ma démission en poche, je mis fin à cette sinistre expérience. Malheureusement pour les élèves, P.R.O.F. Q125 fut inévitablement réparé. Un pirate amateur comme moi ne pouvait pas lutter contre les officiers de la Marine Cybernétique Gouvernementale…

Cependant…

J’ai tout de même la chance de pouvoir me regarder avec honneur dans le miroir, tous les jours, exilé que je suis sur une île archaïque du Pacifique. Là-bas, P.R.O.F. Q125 c’est moi, un simple humain face à d’autres petits humains tous différents… et dangereusement libres.

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