Geinode fut réveillé par ses muscles endoloris. Il ne savait pas depuis combien de temps il était convalescent mais assez longtemps pour que sa langue pâteuse soit semblable à une vieille chaussette. Il déglutit avec difficulté, une tentative desespérée d'humidifer sa gorge, en vain.

L'homme se redressa et s'assit sur un amalgame de restes de repas et d'animaux. Son regard glissa sur ses vêtements, des loques tachées et trouées dont quelques patchworks parvenaient à garder l'ensemble uni. Son pantalon... Il n'avait pas de pantalon, seulement un caleçon, en aussi bon état que son t-shirt. Ses pieds étaient emmitouflés dans des chaussettes à l'hygiène douteuse et qui, sans conteste, étaient bien plus humides que sa langue.

Après avoir constaté son piteux état, il prit connaissance de l'endroit qui l'entourait. Il n'aurait su dire s'il se trouvait dans un bâtiment ou une grotte tant les murs étaient gangrenés par la moisissure et la poussière. Tout ce qu'il put en déduire c'est que quelque chose vivait ici, et elle l'y avait amené. A en juger par les restes en décomposition qui jonchaient le sol, la créature n'avait pas mangé depuis un moment et il comprit pourquoi il était ici. Il allait finir par se retrouver comme cette vieille cuisse de poule dont l'odeur pestilentielle se répandait dans l'air. Geinode, tu dois trouver un moyen de te tirer, mon vieux, pensa-t-il. Mais un vrombissement sourd venant du plafond interrompit sa réflexion.

Il leva les yeux et elle était là. Au-dessus de sa tête, l'immonde créature le toisait. Elle était aussi noire que la mort, de sa tête s'allongeait une trompe avide de son sang, et ses yeux, des dizaines de minuscules objectifs rouge, scrutaient jusqu'au plus infime mouvement de cil de sa part. La bête passa ses deux pattes avant sur son trompe afin d'y déverser sa salive et de la répandre sur son corps velu. Elle prenait soin de nettoyer ses ailes et chacune des ses 3 paires de pattes, comme on se laverait les mains avant de déguster notre précieux repas.

"Incroyable...", souffla Geinode, sidéré par cette scène. Pris de vertige, il chuta et son visage se retrouva au niveau d'une épée à la forme peu commune. Le manche de celle-ci était beaucoup plus finement forgé que la lame carrée qui la terminait. C'est ma chance. Il se saisit de l'arme. La créature vrombrit à nouveau, quittant le plafond et vola à une vitesse fulgurante, frolant l'oreille du guerrier qui n'eut pas la vivacité nécessaire pour la frapper. Le monstre se posa ensuite sur un tas d'ordure qu'elle se mit à lécher.

Les doigts de Geinode se crispèrent sur le manche de son épée, préparant son prochain coup. L'insecte était rapide mais petit, d'aucuns le jugeraient innoffensif mais il se tromperait, Alexandre Le Grand avait été terrassé par un moustique et Geinode n'enviait pas son destin. Il fléchit les genoux et contracta ses muscles, la promesse de la mort. "Approche, tu as choisi le mauvais casse-croûte aujourd'hui"

La mouche parut comprendre ses paroles car ses ailes vibrèrent à nouveau et elle fonça près de lui. Geinode frappa mais son coup n'eut aucun effet. Il n'avait pas remarqué jusqu'à lors que la lame était vérolée par la rouille. L'insecte était passé à travers ses orifices. La mouche se posa cette fois-ci sur son épaule gauche. Il pouvait sentir ses petites pattes remuer pendant qu'elle continuait de faire sa toilette. Petite maligne. Perchée sur lui, il ne pouvait plus utiliser son arme, cétait trop risqué. Geinode ferma les yeux, prit une profonde inspiration et convoqua l'esprit du seul être capable d'attraper une mouche à main nue, Jackie Chan.

Il rouvrit les yeux, des yeux de fauve, les yeux du tigre. " 我送你去見你的祖先吧，蟲子" (Je t'enverrai rejoindre tes ancêtres, insecte), déclara-t-il avant de projeter son poing droit à une puissance fulgurante. Il parvint à atteindre l'insecte qui eut à peine le temps de vrombrir ses dernières paroles, mais ne contrôlant pas la vélocité de sa frappe, il heurta sa tampe gauche et se plongea dans un sommeil profond.

Quelques temps plus tard, Geinode se réveilla à nouveau, sur le même tas putride que la première fois.

Sa gueule de bois passée et ses esprits revenus, il remarqua que le tas était en réalité son canapé, la tanière de la bête, son salon, et la créature une mouche innofensive. Il avait presque pitié de l'insecte qui gisait sur la moquette les pattes en l'air.

Son alcoolisme et son syndrôme étaient hors de son contrôle. Il s'assit, se pencha les coudes sur les genoux et massa son front pour assimiler son constat.

Quand soudain, un vrombissement sourd. Une nouvelle mouche se tenait sur l'écran de sa télévision se frottant les pattes machiavéliquement. Elle le provoquait, il en était certain. Il n'avait aucun problème, mentalement en tout cas, c'était les mouches le problème ! Il saisit la tapette à mouche et hurla en fondant sur elle : "Que je trépasse si je faiblis !".