Chapitre 22
Jeudi 15 août 1996
C’est férié. Je vais rester ici aujourd’hui. Pour commencer, grasse matinée. À neuf heures, le soleil dessine des ronds sur ma toile de tente, je risque un œil dehors. C’est Loris qui s’amuse avec une bouteille de Coca en verre. J’ai peur qu’il ne concentre par mégarde les rayons brûlants et ne mette le feu à une tente. Je me lève.
— Bonjour, Loris. Tu veux bien ne pas jouer avec cette bouteille et le soleil ? C’est dangereux.
L’enfant me regarde interloqué quelques instants, puis s’enfuit vers sa caravane.
Vers onze heures, alors que je reviens des douches, en maillot de bain et serviette sur l’épaule, mon nécessaire de toilette à la main, je croise la famille au complet, se préparant à aller faire des courses. La maman m’adresse la parole la première :
— Bonjour, Monsieur, merci d’avoir chapitré Loris. Son père lui a montré ce qui arrive quand on concentre les rayons du soleil. Il a été très impressionné. Il est même un peu penaud depuis.
Diable ! C’est la seconde fois que cette trentenaire me surprend par son langage. On voit que c’est une littéraire.
— Nous allons à la boulangerie, me dit le père avec un accent reconnaissable. Le pain français et si meilleur que le nôtre. Vous voulez quelque chose ?
— C’est gentil, merci. Écoutez, dans ce cas, je veux bien que vous me rapportiez une baguette, bien cuite, si possible.
— Une « baguette bien cuite ». OK, oui, bien sûr.
— Merci. À tout à l’heure.
— À tout à l’heure ?? C’est quoi ?
— C’est comme « À tout de suite », mijn lieveling !
— Ah ! OK, j’ai appris un nouveau truc en français, merci !
Pendant qu’ils vont au bourg, je vérifie mes stocks, dans le coffre de ma voiture : un grand paquet de chips, un autre de cacahuètes non décortiquées, une saucisse sèche, du jus d’orange, une demi-bouteille de pastis : ça va, j’ai de quoi leur offrir l’apéritif pour les remercier et fêter le 15 août en bonne compagnie ; ce sera plus gai que tout seul !
Je m’habille et mets ma tente en ordre, puis installe sur la petite table pliante qui repose au fond de mon coffre et que je n’ai sortie que deux ou trois fois depuis mon départ, gobelets en plastique, victuailles et boissons.
Trois quarts d’heure plus tard, je vois revenir Loris portant trois baguettes dans les bras, dont une bien entamée, suivi par ses parents bras dessus, bras dessous. Il me tend le plus cuit des trois pains.
— Merci, Loris. Tiens, voici tes sous.
Il ouvre sa petite main pour recevoir mes pièces de monnaie. Puis, je m’adresse à toute la famille :
— J’aimerais vous offrir l’apéritif en ce jour férié pour les Français, j’ai tout ce qu’il faut, sauf les sièges. Si vous pouviez apporter les vôtres...
C’est le papa de Loris qui répond le premier :
— C’est trop gentil. Merci. Avec plaisir. Oui, bien sûr. Peut-être vous voulez que j’apporte des glaçons ?
— Je veux bien. Vous avez vu que je voyage léger, sans frigo ni glacière ? Alors, oui, ce sera parfait.
Ce 15 août 1996, à l’heure de l’apéro, nous vidons à nous quatre le paquet de chips, croquons toutes les cacahuètes, dégustons en fines rondelles la saucisse sèche et buvons, moi et Hendrik, deux ou trois pastis bien tassés chacun, tandis que son épouse Marie et Loris règlent son sort à la bouteille de jus d’orange, le tout en nous racontant un peu nos vies respectives. Ce sont les joies du camping !
Après ça, lorsqu’ils repartent, vers deux heures, je passe directement à la case sieste !
En raison des attentats récents, le feu d’artifice traditionnel du 15 août a été annulé à Saint-Palais, mais pas à Sauveterre-du-Béarn, pour le plus grand plaisir de petits et grands. La fête n’a plus de religieux que le nom, et encore, beaucoup l’ignorent. Nous disons tous « le 15 août », « la mi-août » ; qui parle encore de « l’Assomption », à part les catholiques pratiquants ?
Jeanne, qui avait gardé en elle une part d’enfance, adorait les feux d’artifice, moi, moins, mais ce soir-là, j’ai énormément de plaisir à m’extasier avec Loris et sa famille devant les explosions multicolores qui se succèdent dans le ciel étoilé. L’espace d’un quart d’heure, j’ai l’impression d’être en compagnie du petit-fils que Paul aurait dû me donner... J’ai même cru entendre l’enfant m’appeler « opa » (grand-père) !
Vraiment, j’ai passé une belle journée, avec cette petite famille d’emprunt ! Je les ai invités à Saint-Laurent-de-la-Mer, une prochaine année. Il y a un camping tout près de la maison et de la plage. Ils n’ont pas dit non. Cette nuit, je vais bien dormir. Allez, bonsoir.
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, novembre 2017.
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