Chapitre 43
Lundi 2 septembre 1996
En relisant ce que j’ai écrit hier, je pense que Jeanne n’aurait pas aimé ma dernière remarque égrillarde. Tant pis ! Trop tard.
Je suis arrivé à destination éreinté, mais sans encombre ni encombrements. Le soleil déclinait à l’horizon alors qu’il n’était que dix-neuf heures. La nuit tombe vite déjà à cette époque de l’année et encore plus dans l’Est. Une fois signalée mon entrée et réglé mon écot, j’ai déployé ma tente, monté le lit Picot et me suis endormi tout habillé, mon duvet par-dessus moi, sans demander mon reste. Dans la nuit, j’ai dû me glisser dedans, parce que, à presque huit cents mètres d’altitude, début septembre, les nuits sont fraîches. Ce matin, j’ai des vêtements tout froissés, la bouche sèche de ne pas avoir bu assez d’eau et quelque difficulté à me lever de mon lit, au piétement assez bas. L’estomac qui gargouille un peu aussi. Je vais tenter de remédier à tout ça.
Le jour est gris et frais.
Me voilà à la croisée du chemin. Ce qui me trotte dans la tête depuis plusieurs jours doit être tranché ce matin. Est-ce que je repasse par Saint-Julien l’Ars ou pas ? Si oui, je vais suivre un itinéraire est-ouest quasi rectiligne, en direction de Poitiers, sinon j’oblique vers Orléans et Le Mans. De toute manière, je dois faire une étape, neuf cents kilomètres d’une traite, ce n’est plus dans mes capacités ! Mais là n’est pas le problème : le nœud de la question, c’est de savoir si j’ai envie de revoir Jacqueline Dupontel ou pas.
Une partie de moi dit : « je voudrais bien ». L’autre murmure : « dans quelle histoire vas-tu t’engager ? »
Je décide de pratiquer un examen de conscience rapide :
– me plaît-elle physiquement ? : la réponse fuse sans délai : oui !
– mais moi, est-ce que je lui plais ? : si j’en crois notre première rencontre, la réponse est positive.
– avons-nous des goûts en commun ? : au moins un, la bonne cuisine ! C’est déjà appréciable.
– est-ce que j’aspire à rompre ma solitude ? : évidemment, quelle question !
– suis-je prêt à quitter ma Bretagne ? : la réponse est immédiate : non !
– suis-je disposé à faire de la place chez moi à une nouvelle venue ? Là, j’ai un temps d’hésitation et finalement je réponds : pas encore ! Cela impliquerait que je me sois débarrassé de tout ce qui appartenait à Jeanne – vêtements, chaussures, bijoux, petits meubles, etc. – et jusqu’ici j’ai répugné à entreprendre cette douloureuse corvée.
Muni de ces éléments de réponse, j’y vois déjà un peu plus clair.
– si j’y suis invité, viendrais-je en Poitou pour de courts séjours ? Je réponds que oui, avec plaisir, même si c’est un peu loin, tant que je peux conduire.
– serais-je disposé à accueillir Jacqueline pour les mêmes séjours ? Oui, sans hésitation.
Bon. Il semble que je sois prêt pour une relation à distance avec rencontres épisodiques.
- est-ce que j’introduis une part de hasard là-dedans ou pas ? Autrement dit, est-ce que je l’appelle avant mon départ ou est-ce que j’arrive, la « goule enfarinée » comme on dit chez moi ?
Cela demande réflexion.
Au final, j’ai décidé de ne pas appeler à l’avance : les termes de la réponse n’arrêteraient pas de me turlupiner pendant tout le voyage. Peut-être le ferai-je à mi-parcours ou vingt ou trente kilomètres avant d’arriver. Je verrai.
Cette décision prise, je me sens tout d’un coup plein d’énergie. Mes cliques et mes claques sont ramassées en un rien de temps.
À neuf heures, je suis en route. Pontarlier, Champagnole, Chalon. Tiens, je ferais bien étape à Charolles, ce midi. Ce n’est pas tout à fait à mi-chemin, mais tant pis, je ne résiste à la perspective de déjeuner d’une bonne entrecôte charolaise ! Deux cent trente kilomètres à soixante-dix de moyenne, j’y serai, disons, pour midi trente, en principe.
Ensuite, j'ai essayé de choisir l'itinéraire le plus rapide, Montluçon, Guéret, La Souterraine, Montmorillon, Chauvigny, Saint-Julien l’Ars. Trois cent cinquante kilomètres, mais difficile de tenir un petit quatre-vingts de moyenne, sans doute. Autrement dit, entre quatre heures et cinq heures de route avant d’arriver. Je ne serai sans doute pas bien frais ce soir.
Ces prévisions, c’est si tout va bien, cela va de soi. Pour l’instant, je ne suis qu’à Poligny, en pause pipi.
(à suivre)
© Pierre-Alain GASSE, mars 2018.
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