Chapitre 1 - L'homme aux lunettes d'apothicaire
Quelques mots d'introduction
Mon plus grand ami avait trouvé une citation un peu naïve qui résume pourtant en partie les propos de ces légendes que je m’apprête à vous transmettre :
« Une vie qui ne puisse être racontée grâce à une carte, n’est pas digne d’être vécue. »
La sienne fut incontestablement la plus digne qui soit, malgré des moments de doute et d’égarement. Je souhaite que sa mémoire et celles de tous nos alliés disparus imprègnent chacun des chapitres qui retracent nos aventures fantastiques aux confins des mondes, pour les sauver.
Oui, je sais, qu’importent les époques, « sauver le monde », a toujours été un thème de roman d’un banal affligeant !
Ça tombe bien, celui de ce récit, ce serait plutôt « les sentiments », et plus particulièrement « l’amour » !
Beaucoup plus original, n'est-ce pas ?
Soit. J’espère que vous aurez le courage de plonger dans les profondeurs de la Terre avec moi, dans la plus passionnante des histoires d’aventure et d’amour, la mienne, évidemment, à la poursuite d’une vérité manipulée par des encres mystérieuses qui pourraient anéantir jusqu’au concept de Temps !
Rien que ça !
Mais ne nous égarons pas déjà en palabres ennuyeuses dans un prologue trop long. Le premier chapitre est fait pour ça. Et il ne cherchera pas à vous en convaincre ; ce sera à votre cœur d’en décider…
* * *
Une ombre caresse la joue d'une jeune femme évanouie, en lui avouant ces quelques mots :
« Je pense qu’il est temps de se dire adieu. J'ai souvent pu admirer cette lueur d’espoir dans tes yeux quand tu décrivais ton pays tout là-haut ; je suis désolé mais tu ne pourras pas tenir ta promesse. Ton périple ici-bas s’achève ; ce ciel étoilé, tu le reverras sans moi. Réveille-toi et sublime-toi, mon ange de la lumière, accroche ton cœur sur le toit de notre monde… »
Biiiip… Biiiip… Biiiip…
La sonnerie du réveil troubla le nuage de rêve sur lequel je m’étendais. Les rayons du soleil perçaient à travers les petits interstices du volet ; des particules de poussière dorées dansaient dans la chambre. Dehors, on entendait le piaillement des oiseaux ; la cloche de l'église Saint-Étienne tintait une fière et inéluctable ode au temps qui passe.
Jambes lourdes ; courbatures ; fatigue. Comme souvent, je m’étais endormie trop tard et le retour à la réalité s’avérait douloureux.
Je sais bien que je faisais toujours tout à l’envers à cette époque ! Que je profitais peut-être un peu trop de ce paysage languide et rassurant, de l’ambiance intemporelle des marais de l'île qui baignaient dans une lumière divine. Ah, cette lumière divine ! Une lumière unique, inespérée, chaude, intense, dont les nuances se reflétaient à la surface chatoyante de l’eau salée. Et, à l'heure du crépuscule, quand mon imagination jouait avec ma raison, les cheveux dans le vent, je respirais profondément cette tranquillité réparatrice qui m’avait aidée à m’en sortir seule, après la disparition de ma mère.
J’habitais à Ars-en-Ré – dans un pays appelé « France » – où j’écrivais les histoires et les légendes que mon âme me murmurait. C’était, depuis toute petite, mon plus grand plaisir et, grâce à ce que j’aime maladroitement appeler « les contingences de l’audace », ce devint une sorte de métier. J’aimais peindre la couleur des mots, jouer avec la musicalité des phrases et imprégner les pages de la puissance des sentiments humains. J’écrivais des histoires fantastiques ou féeriques, des récits cocasses, d’autres remplis de mystères et de dragons (j’ai toujours adoré les dragons !). Avant, j’écrivais d’abord pour moi et, dans une hypocrite mansuétude, pour émouvoir et divertir les autres. Maintenant, égoïste repentie, j’écris surtout pour ne plus les oublier.
Tous ces fantômes qui m’ont fait perdre la raison.
Ce jour-là, j’allais enfin connaître les résultats d’un concours littéraire auquel je participais par le biais de mon dernier conte fabuleux intitulé : « Le petit fossoyeur d’âmes ». Aurais-je la mésaventure d’obtenir le premier prix au salon du livre de Paris ? En me posant cette vaine question, d'un mouvement aussi gracieux que celui d'un hippopotame en équilibre sur une ficelle tendue, je balançai mon bras vers le réveil pour le bousculer et le faire taire. Je me levai difficilement ; j’enfilai mon jean et ma chemisette brodée en perdant un peu l’équilibre ; je regardai l’heure :
« 10h10… Du nerf, grosse limace paresseuse ! Le train part dans une heure ! », réalisai-je en bâillant.
Autant être clair tout de suite : je n’étais pas vraiment affolée par mon éventuel manque de ponctualité. J’étais rarement affolée par quoi que ce soit, de toute façon. J’en étais persuadée : pour profiter de la vie, il fallait la prendre à contre-pied.
Je fis une grimace amusée en me regardant dans le miroir ; encore endormis, mes cheveux bruns mi-longs se dressaient comme des stalagmites sur ma tête ronde ! Ce constat eut le don de me mettre irrémédiablement de bonne humeur : il faut dire que j’étais sans doute la seule femme de mon âge à utiliser un vocabulaire tiré d’un précis de géomorphologie dans le but de me tourner en dérision.
J’aimerais à nouveau revoir mon véritable reflet dans le miroir, même si ce visage quelconque, ce manque d’ambition et de charisme, ce caractère à la fois trop gentil et trop impulsif cachait une profonde mélancolie.
Je n’avais rien de spécial.
Moi, une héroïne ? Une aventurière ? Une chasseuse de légendes ? La gardienne du plus grand secret de l’Univers ? Une déesse ? Personne n’aurait pu l’imaginer. Pas même moi.
Pour lire la suite^^...
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