Une fort mauvaise nouvelle
14:05. M. Seillo est un peu en retard, mais bon. Le Dr Loisel est lui-même rarement en avance...
- Bonjour M. Seillo. Asseyez-vous je vous prie.
Ah non, aujourd'hui il était justement à l'heure !
- Bonjour Docteur. Vous avez enfin les résultats de mes analyses ? Vous aviez dit que vous vouliez me voir avant mon départ pour l'Argentine...
- Oui, en effet... Je voulais vous voir pour vous dire...
- Il se trouve que moi-même :
-- J'ai une fort mauvaise nouvelle à vous annoncer.
-- Ah bon, vous aussi ?!
- Si l'on met la situation de côté, ce serait presque drôle que nous arrivions à dire exactement la même chose en même temps...
- Oui, c'est cocasse.
- Allez-y, je vous en prie.
- Non, non, après vous.
- J'insiste.
-- Vous allez mourir.
-- Pardon ?!
- Qu'avez-vous dit ?!
- La même chose que vous, j'en ai peur... Mais comment ?!
- C'est à moi de poser la question !! Je suis médecin, et j'ai dû annoncer ce genre de nouvelles quatre ou cinq fois durant ma carrière, mais vous ?!
- Mais ce n'est pas possible ! C'était un simple bilan avant de déménager... Qu'avez-vous trouvé ?!
- Cancer du pancréas. Stade avancé. Je pensais qu'on en avait terminé avec l'intervention de l'année dernière, mais visiblement cela a recommencé, en plus foudroyant. Vous n'avez que peu de temps devant vous, ça ne pardonne pas. Attendez, mais n'inversons pas tout ! Vous, expliquez-moi ! Comment et de quoi vais-je mourir ?! C'est une mauvaise plaisanterie ?!
- Votre femme.
- Quoi, ma femme ?!
- Nous avons une liaison depuis bientôt un an, et elle veut vous quitter. Elle veut aussi vous tuer, à cause de ce que vous avez fait...
- ...
- Vous l'avez violée plusieurs fois au cours de votre vie conjugale, vous la harceliez pour qu'elle vous donne un enfant, vous avez des accès de violence imprévisibles, vous êtes possessif et maladivement jaloux...
- Je crois rêver !
- Bref, elle veut vous quitter, mais pas sans se venger. Ni sans que vous ne sachiez que le coup viendrait d'elle. Elle a pris un avion ce matin, elle est partie juste après vous de l'appartement. Et moi, je suis censé la rejoindre après vous avoir réglé votre compte. Je ne vous dis pas comment, ce sera la surprise ces prochains jours. Mais je vous avoue que cette histoire de pancréas change un peu mon point de vue sur mes perspectives d'avenir...
- Mais je vais bientôt être père ! Vous ne pouvez pas faire ça !
- Je suis le père de cet enfant. Faustine me l'a assuré.
- C'est grotesque, c'est un cauchemar !
- Le cauchemar, c'était vous !
- Quand... quand donc l'avez-vous rencontrée ?
- Je l'ai rencontrée dans votre salle d'attente, lors de mes nombreuses allées et venues il y a presque un an. Elle m'a pour ainsi dire sauvé la vie pendant cette pédiode difficile. Elle m'a soutenue et m'a raconté sa vie infernale avec vous.
- Mais comment quiconque pourrait tomber amoureux d'un déchet comme vous, tout livide et à moitié démoli par la thérapie ?
- C'est quelque chose que vous ne pourrez jamais comprendre, sans doute.
- Ca ne tient pas debout ! Vous n'êtes pas du même milieu, vous n'avez à peu près rien en commun ! Et ça va peut-être vous surprendre, mais Faustine est plutôt du genre calculatrice qu'altruiste. Je ne sais pas ce qu'elle vous a raconté et je ne vais pas m'étaler ici, mais elle m'en a fait voir de belles, elle aussi.
- Elle m'a dit que vous diriez des choses de ce genre...
- Mais enfin réfléchissez deux secondes ! On dirait un mauvais conte de fées ! "La belle et le mort-vivant"... C'est pathétique.
- Je vois surtout que tout ce qu'elle m'a dépeint est très réaliste ! Mépris, condescendance, méchanceté. Sans parler de déontologie douteuse : elle a dit que vous lui racontiez sans arrêt des anecdotes sur vos patients. Et le secret médical ?
- ...
- Et je ne vous dirait pas ce qu'elle m'a dit sur votre virilité pendant qu'on profitait de votre beau et grand lit.
Le Dr Loisel écarquilla les yeux, les mâchoires comme soudées entre elles.
- Si j'étais psy, je dirais que votre complexe de supériorité provient d'une certaine... infériorité manifeste.
Est-ce que ce furent les mots ou le petit sourire du patient qui déclenchèrent l'explosion chez le médecin ? La conséquence, elle, fut nette et vive : Loisel s'empara d'un lourd presse-papier en métal et frappa Seillo.
Dans sa chute, il tomba contre la bibliothèque du praticien, faisant dégringoler quelques livres.
Du sang dégoulinait de son crâne. Il se releva péniblement tandis que le médecin avait saisi son téléphone et composait le 18. Ou le 15, ah il ne savait jamais lequel était lequel !
Seillo jeta un volumineux Vidal vers le médecin. Celui-ci se protégea la tête de la main mais trébucha et lâcha le téléphone.
L'instant d'après, Seillo était sur lui. Du sang coulait à grosses gouttes depuis l'arcade du patient sur la blouse blanche du docteur. Maîtrisant le docteur de son poids, Seillo porta la main à sa poche et en sortit une petite seringue qu'il décapuchonna avant de la planter dans le bras du docteur.
Loisel toussa et hoqueta. Seillo le maintint au sol encore quelques minutes, jusqu'aux premiers spasmes.
De l'écume blanche monta aux lèvres de Loisel. Seillo expira profondément. Le sang coulait encore abondamment et il commençait à ne plus voir clair. Son corps devenait comme cotonneux.
Il ouvrit les yeux sans se rappeler qu'il les avait fermés. Il était allongé au sol. Le corps du médecin toujours à côté de lui. Seillo avait encore les paupières lourdes. Il entendit une sirène approcher dans le lointain.
Faustine jeta un oeil à sa montre et rajusta ses lunettes de soleil. L'océan était d'huile, le sable presque blanc. Elle posa la main sur son ventre, déjà bien arrondi maintenant. Une autre main se posa tendrement sur la sienne.
- Tout va bien ?
- Maintenant oui, Emiliano. Je crois que tout va bien. Notre fils a l'air impatient d'arriver, mais je suis prête.
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