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C’était un arbre vénérable, bien plus haut que ne l’avait imaginé Huna.

Cette surprise la déstabilisa un instant. Cela ne contrariait en rien ses plans, mais augmentait les risques. La hauteur, le vent qui soufflait à tout rompre et Navu qui la pressait de ses soupirs, tout cela faisait beaucoup. Elle sentit le doute l’envahir et en un instant elle envisagea les conséquences d’un abandon, avant de chasser l’idée comme l’on chasse une pensée inavouable. Elle n’avait pas arpenté la plaine pour renoncer au pied du Hêtre. Il lui fallait donc s’armer de courage.

Heureusement, son objectif ne trônait pas à la cime de l’arbre, mais plutôt à mi-chemin : il s’agissait d’un javelot massif, celui qu’une cavalière inconnue avait planté là, entre une multitude d’autres. Une horde de traits qui traduisaient par leur nombre la puissance de son maître ; le tronc en était presque entièrement criblé. Seules ses branches les plus hautes exhibaient des amas feuillus, comme un défi lancé aux clans encore inféodés.

Au plus haut de cet arbre se trouvait le javelot du premier des clans, celui de la farouche Rani, qui malgré sa fin, poursuivait sa chevauchée à travers les histoires et les légendes. Huna était convaincue que cette puissante cavalière n’aurait jamais renoncé face à l’adversité. Que celle-ci serait déjà à hauteur de la lance, à faire ce qu’elle avait à faire : y nouer son ruban. Elle y avait pensé un long moment, elle qui n’avait pas ménagé sa peine pour rassasier ce doute qui la dévorait. Cette angoisse grandissante qui lui torsadait les entrailles et travestissait son être : mais elle avait fait tout cela en vain. Le rituel approchait. Telle l’ombre de la nuit implacable, il faisait glisser sur son avenir un voile épais. Elle sentait que c’était bien sa dernière tentative pour amadouer ses craintes. Demain l’attendait déjà. L’inéluctable changement que portait son âge allait s’opérer. Demain, elle serait initiée : cavalière parmi les cavalières. Demain, elle serait menée à l’hucasi et serait jugée par lui. C’est bien cette dernière étape qui lui glaçait le sang ; cet homme, qu’elle ne connaissait que par les contes et légendes, allait la juger digne ou indigne de rejoindre sa Cavalerie. Vivre une telle chose était l’affaire de toutes les femmes de la plaine, mais elle ne le supportait pas. Bien peu depuis des siècles avaient été jugées indignes, mais la possibilité de figurer parmi elles suffisait à la tourmenter. Soupirant une dernière fois, elle amorça son ascension, son ruban vert dans une main, toute sa détermination dans l’autre.

Les premières branches étaient épaisses et longues. Elles l’accueillaient avec largesse, lui assurant des appuis solides. Portée par leur hospitalité, elle accéléra, passant les autres javelots liés deux par deux, avant de se raviser. En effet, elle parvint bien vite à vue de son objectif et dans cette zone médiane qui offrait de moins en moins de prises. Elle hésita un instant, suffisamment pour exciter la roublardise du vent de l’ouest, qui la fit vaciller sous ses fortes bourrasques. Elle se reprit in extremis dans un réflexe induit par un cri d’épouvante montant, lancé depuis la base de l’arbre : Navu n’y tenait plus. Raffermie par la frayeur, Huna parvint à saisir le javelot lié de son clan. Le puissant souffle salé la plaqua contre l’écorce lisse, l’intimant de renoncer à sa folie. Mais elle n’était pas de celles qui cédaient et quand cela lui effleurait l’esprit malgré tout, elle observait le ciel afin d’y trouver Rani, la cavalière qui chevauche sans cesse. Elle la vit ce soir-là et elle lui sourit avant de lier son ruban à l’extrémité du trait figé.

Voilà qui était fait, cela lui avait coûté, mais elle était parvenue à se lier plus fortement au javelot, à l’arbre, à son clan, au monde. Elle lança son regard le plus mutin vers l’horizon, comme pour défier ce vent traître venu du lointain : là-bas, le jour venait d’expirer.