La nuit et les signes

3 minutes de lecture

Malgré l’étreinte maternelle, Huna n’était pas parvenue à fuir les ombres qui hantaient ses nuits. Celles-ci la poursuivaient sans relâche depuis des jours et toujours sous une même forme. Une forme qu’elle ne parvenait pas à comprendre : elle s'y voyait mise à nue, surplombant la plaine du haut d’une tour sombre, le vide à ses pieds et une terrible hésitation à l’esprit. En effet, plusieurs vents se pressaient pour la pousser dans des directions contraires : tantôt l’éloignant du précipice, tantôt l’y précipitant. Huna se sentait comme ces toiles que l’on tend, afin que les enfants les mènent par le bout d’une corde, les laissant dériver dans les bourrasques. Bousculée de part et d’autre, elle n’était plus maîtresse d’elle-même et finissait par chuter et se réveiller.

Ce matin-là ne fut pas différent des précédents. En sueur, elle s’assit somnolente sur sa couche, encore tout embrumée par cette nuit difficile. Les rayons étaient encore doux, il lui restait donc du temps avant que tout ne commençât. Elle se réveilla tranquillement et profita des quelques minutes qui étaient encore les siennes. Un instant bien vite révolu. Sereine, sa mère entra dans la tente, exhibant d’ores et déjà les marques rituelles. Elles en avaient parlé longuement déjà et Huna savait que sa mère serait présente au cours de son passage, que c’était elle qui allait mener la cérémonie et finalement la conclure. Elle savait tout cela depuis longtemps, mais de la voir ainsi peinturlurée, lui rappela avec violence l’immédiateté de l’événement. Anxieuse, elle se frotta la nuque comme pour la dénouer, avant de se lever : c’était son heure et malgré ses craintes elle acceptait ce fait. Devant une telle détermination, sa mère sourit. Elle, à son âge, n’avait guère osé bouger quand, comme son enfant aujourd’hui, sa propre mère était venue la préparer pour son passage. Elle n’avait fait qu’écouter les mots en silence, puis les avait répétés quand on le lui avait demandé. Elle avait attendu sagement qu’on l’acceptât parmi les cavalières et elle fut acceptée. Sa fille serait bien différente, elle en avait le pressentiment : bon ou mauvais, elle ne savait le dire.

Sortant de ses souvenirs, l’éclaireuse ordonna à sa fille de s’asseoir au centre de la tente. Celle-ci s’exécuta sans un mot ; sa mère avait bien des choses à lui dire et elle avait peu de temps pour le faire. Assises l’une face à l’autre, celle qui savait commença à apprendre à celle qui ne savait pas encore. Et elle lui parla des forces qui régissent le monde, des limites infranchissables qu'il ne fallait en rien dépasser, sous peine de s’y perdre pour de bon. Elle siffla les mots rituels : un court sifflement suraigu d’abord, le Haf, pour le vent. Puis un autre, presque identique, mais plus long, le Si, pour l’eau. Avant de poursuivre avec le Vo, pour la terre : un sifflement bref et profond qui rappelait le bruit des sabots sur la plaine. Et finalement, vint le Chna, pour le feu, celui qui consume tout. Ce sifflement-ci surprit Huna, tant il était long et sombre. Cela faisait beaucoup à retenir, mais elle tenta de le faire le mieux possible, car d’ici peu, il lui faudra reconnaître les sifflements et les reproduire.

L’éclaireuse sourit, voyant le sérieux avec lequel son enfant s’évertuait à retenir ce qu’elle lui avait transmis. Satisfaite, elle décida qu’il était temps de parachever sa préparation : elle demanda donc à Huna de se dévêtir entièrement, ce que fit cette dernière, toujours aussi silencieuse. La jeune fille savait que seuls les atours du vautour avaient cours en ce jour et nul autre. Elle n’ignorait pas non plus que pour renaître parmi les cavalières, il lui fallait renoncer à tout ce qu’elle avait été jusqu'alors. Fière, elle en acceptait le prix. Sa mère la couvrit alors de la mise du prince des cieux, avant de lui laisser entrevoir que déjà, des êtres peinturlurés s’engouffraient dans sa tente.

Annotations

Vous aimez lire Dahu Hypnotique ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0