La maison de pierres

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   Avant de se retrouver devant son portail, les jeunes cavalières étaient entrées dans l’ombre de la Tour, et bien que cela leur parut être un acte des plus anodin, elles sentirent comme un manque les envahir. C’était comme si elles avaient cédé, à leur insu, une chose qu’elles ne pourraient jamais recouvrir tout à fait. Si elles avaient su la nature de leur perte, peut-être l’auraient-elles regrettée, mais ignorantes, elles passèrent au-delà de ce malaise qui s’était installé en elles à cet instant et s’avancèrent vers l’imposant portail qui terminait leur voyage.

Cette gueule béante avait tout pour effrayer ceux qui se présenter à elle pour la première fois et les jeunes cavalières ne firent pas exception. Son air sinistre dissuadait bien des audacieux et pour ceux que la noirceur des roches volcaniques – dont elle était entièrement constituée – n’impressionnait guère, une simple vue sur les deux éperons de dix mètres qui la palissadaient jalousement achèverait de les convaincre de rebrousser chemin, si celui-ci n’avait pas été tracé par le maître des lieux. Car seuls ceux qui avaient été convoqués avaient le devoir de passer le seuil monumental de cette demeure. Huna, ainsi que Navu, avait ce devoir et elles allaient s’y plier lorsqu’un lancier de garde les arrêta, obstruant le passage de sa carcasse massive.

- Pied à terre, sananas, sans ça vous ne passerez pas.

Il gonfla le torse, comme l’aurait fait un rouge-gorge qui s’ébroue et lança un regard fier à ses compagnons de faction. Une œillade qui en disait long sur le nombre de distractions qui leur était donné de connaître à ce poste. Les jeunes femmes obtempérèrent sans faire d’histoires, mettant pied à terre sous les regards bovins de la garde. Soulagées de leurs charges respectives, les juments hennirent quelques soupires comme pour acquiescer et se laissèrent mener par la bride afin de passer la double herse, faisant fi de l’ignoble odeur qui était de plus en plus présente. Un effluve composite, héritier du pourrissement de tout ce qui n’était plus bon à rien et qui jonchait à présent le pavé des rues, l’urine et les excréments dominant largement le mélange. Navu grimaça, glissant l’un de ses index sous son nez comme pour le protéger. Compatissante, Huna déforma de même son visage, bien que l’odeur, pour être suffocante, ne l’incommodait que très peu. À dire vrai, elle n’en avait plus que pour ce sombre édifice qui, sans cesse, resserrait son emprise sur son esprit. Elle aurait voulu s’en éloigner quelques instants afin de reprendre son souffle, alléger un peu le poids qui pesait sur sa poitrine, mais elle en était incapable. Attirée malgré elle à toucher cette flamme obscure, elle s’avançait sur la place principale, manquant de heurter quelques badauds, qui non contents de flâner, s’offraient le luxe de tripoter des articles exotiques, que du reste ils ne pouvaient se payer. Huna marmonna des excuses quand elle heurta l’un d’eux et que celui-ci se retourna dédaigneux, avant de le voir blêmir et balbutier à son tour. Si elle n’avait pas déjà était captive de la nébuleuse aura de la tour, peut être aurait-elle entendu les regrets du flâneur rachitique et par là même ses excuses, mais il n’en était rien. Elle ne lui prêta pas ne serait-ce qu’un regard et ce fut Navu qui accepta de bon gré l’amende honorable qu’il leur faisait. Quand l’homme se fut éloigné suffisamment, l’aimable cavalière se tourna vers son amie :

- Huna, qui y a-t-il donc ?

Celle-ci ne répondit pas dans l’immédiat aux questionnements de son amie sur son état, la laissant s’inquiéter un peu plus ; elle avait bien du mal à se concentrer sur les autres éléments de son environnement proche, tout entière qu’elle était à sa crainte de ce qui l’attendait dans ce donjon. Cette colonne monumentale, qui écrasait de sa prépotence toutes les vies insignifiantes qui s’agitaient à sa base. Lorsque Navu réitéra sa question, joignant le geste à la parole, Huna lui concéda un hochement de tête avant de sortir de sa torpeur. Recouvrant son courage, elle laissa les étals achalandés de la place principale, amorçant l’ascension du raidillon tortueux qui menait à Tarcaci, à la Maison de pierres.

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