Contre toute attente
Armando ne cessait de se répandre en remerciements, la correction de son mémoire avançait bien, il se sentait plus libre pour danser. Il m’invita à assister à une démonstration publique d’un spectacle dont c’était la première.
J’étais curieuse de le voir danser, de se mouvoir en compagnie d’une charmante jeune femme de son âge, au son du tango, forcément envoûtant et sensuel.
Comme je l’avais supposé, Armando était très complice avec sa partenaire, il l’enlaçait, la prenait par la taille, lui offrait ses plus beaux sourires. Son élégant costume lui seyait à merveille, tous les yeux convergeaient vers lui, son charisme était impressionnant. Lorsqu’il dansaient, pas un bruit ne perturbait leurs mouvements, le public retenait son souffle, suivait les pas, admirait les gestes professionnels.
J’étais admirative. Il revêtait toutes les qualités qu’un homme devait avoir selon moi, j’étais presque jalouse.
J’entrais dans son univers, je me sentais privilégiée.
À la fin de la démonstration, Armando alla droit vers un homme debout près de l’entrée. Ils s’embrassèrent avec effusion. Étant donné leur ressemblance frappante, je devinai que c’était probablement son père : même posture droite, même regard franc, la peau exempte de rides malgré ses cinquante ans, certainement.
Armando me fit signe d’approcher. Ce que je fis.
- Claire, voici mon père. Il repart la semaine prochaine en Argentine, il n’a qu’une semaine pour visiter Carcassonne. Si on organisait ensemble une excursion vers le château ? Dites-oui, cela me ferait plaisir !
- Si tu veux, Armando, quand voudrais-tu qu’on se voie?
- Un jour dans la semaine, si vous pouvez, moi, j’ai deux heures de libres mardi après-midi. Je me disais que vous aviez le teint pâle, le grand air vous ferait le plus grand bien !
- Pourquoi pas ? Je peux me libérer. Ce sera l’occasion de sortir de ma bibliothèque ! À une condition, cependant , je voudrais que tu me tutoies, cela me vieillit trop le vouvoiement, c’est d’accord ?
- Oui, bien sûr, on se tutoie à partir de maintenant, m'assura-t-il en me faisant un clin d’œil.
Nous rîmes ensemble. Voilà que nous étions complices maintenant. J’étais aux anges.
Ce jour-là, pendant la pause de midi, je fis les boutiques pour trouver la tenue qui plairait assurément à ce magnifique danseur que j’avais réussi à appâter. Je n’en revenais toujours pas, cela m’avait paru si facile !
Armando ne laissait toujours rien paraître, j’admirais sa retenue, la maîtrise qu’il avait de lui même à un âge où on est plutôt fougueux et en manque d’expérience. Au moins je savais que je pourrais compter sur sa discrétion.
Je choisis une robe-portefeuille qui dévoilait un peu ma poitrine mais pas trop. Elle m’arrivait aux genoux. J’enfilai des collants opaques et des bottines à talons compensées, suffisamment confortables, car j’allais crapahuter à l’assaut du château, et bien-sûr cela me demanderait de masquer mon essoufflement et ma transpiration sifflante qui ne manquait pas d’apparaître lorsque je faisais un effort physique.
Je savais que je prenais le risque de me faire remarquer et pas dans le bon sens. Peu habituée aux activités de plein air, j’éprouvais beaucoup de difficulté à parler pendant que je marchais, ce serait un réel inconvénient, moi qui adorais bavarder.
Bref, j’étais heureuse d’avoir l’occasion de parfaire mon amitié naissante avec Armando qui déboucherait peut-être sur une romance (si seulement !), mais en même temps j’étais très inquiète à l’idée que mon corps pourrait me trahir.
Habituellement enthousiaste et toujours partante pour de nouvelles rencontres, j’affichais mon éternel sourire qui m’aidait à prendre confiance en moi, et me répétais mentalement comme un mantra : « Tout ira bien ».
De toute façon, je ne pouvais plus retourner en arrière, je m’étais engagée. À moi d’essayer d’en faire un moment inoubliable.
Le mardi tant attendu arriva, je tremblai un peu, je feignis une assurance sans borne. Au début tout alla pour le mieux.
L’ascension vers la monumentale entrée de pierre du fameux château ne dura que quinze minutes, qui passèrent finalement assez vite. Placée entre Armando et son père, celui-ci me racontait sa vie en Argentine. Il était passionnant. Mes jambes avançaient toutes seules sans effort, j’étais ravie d’être en si bonne compagnie, alors je ne compris pas pourquoi tout à coup, il y eut un éclair lumineux dans le ciel. Ma vision se troubla et dans la minute qui suivit je m’écroulai littéralement dans les bras de Sergio, le père d’Armando.
Celui-ci m’allongea sur une portion herbeuse près du château. Il ne s’arrêta pas de me parler pour me maintenir éveillée, je crois bien que je me serais évanouie sinon.
Armando inquiet agitait un prospectus devant moi tel un éventail pour me procurer un peu d’air.
- Claire, respire, calme-toi, tu es toute blanche. N’essaie pas de te relever, on est là, tout va bien. Dès que tu pourras te lever, tu nous fais signe que ça va mieux, OK ? Papa, si tu allais lui chercher un verre d’eau ?
- J’y vais, tu as raison, il faut qu’elle boive.
Je repris peu à peu mes esprits. J’étais assez confuse de me retrouver dans cette situation qui n’avait rien de glamour. Mon opération-séduction s’avérait désormais désastreuse, j’enrageai intérieurement de me retrouver dans ce genre de situation cocasse que je n’avais pas provoquée. Exactement ce que j’appréhendais.
Sergio revint aussitôt. Je m’assis et bus goulûment le verre d’eau offert.
- Je suis confuse, dis-je, ce n’est pas à ce genre de visite touristique à laquelle je m’attendais.
- Ce n’est rien, tu as eu un coup de chaud. Veux-tu qu’on appelle quelqu’un de ta famille ?
- Non, non, je vais très bien, j’aurais dû emporter de l’eau, c’est tout. J’aurais dû anticiper.
Tous deux me soulevèrent par les aisselles, la station verticale me fit du bien. De nombreuses personnes curieuses nous entouraient. D’un sourire, je leur fis comprendre qu’il n’y avait plus d’inquiétude à avoir.
Soudain, une voix féminine nous fit nous tourner d’un coup.
- Armando, que fais-tu là ?
Une belle jeune fille aux cheveux coiffés en chignon s’approcha de nous et embrassa Armando.
- Je me balade avec mon père et une amie, et toi ?
- Je dois répéter une chorégraphie dans la cour du château, j’aimerais beaucoup ton avis. Serais-tu disponible quelques minutes ? Vraiment, c’est une chance de tomber sur toi, tes conseils me seraient précieux, tu sais.
Armando hésita, se tourna vers son père qui le rassura :
- Ne t’inquiète pas pour nous, nous trouverons à nous occuper dans le château, on se rejoint plus tard. Vas-y, mon fils.
Armando parti, je me demandai ce que nous pourrions visiter. Il y avait une queue d’une trentaine de personnes devant l’entrée principale du château. La foule compacte patientait calmement en rang serré.
- Si nous allions vers l’extérieur pour éviter cette cohue, j’avoue que je me contenterai de regarder les vieilles pierres, je suis déjà ravi d’être là, en si bonne compagnie, me dit-il en me souriant d’un air charmeur.
Tout à coup, je réalisai que je me retrouvai seule avec cet homme, ancien danseur, à la stature bien droite, à l’allure élégante, aux cheveux poivre et sel ondulés entourant un visage émacié.
Je le regardai plus attentivement à présent. Il ne m’était pas venu à l’idée qu’il pourrait être séduit par ma personne, surtout après l’incident de tout à l’heure.
Je me fis la réflexion qu’il n’avait pas l’air plus intéressé que ça par le château, ce qui était étonnant pour un argentin qui devait rentrer dans son pays bientôt.
- Je n’aime pas trop jouer les touristes, me dit-il, j’ai beaucoup voyagé et maintenant j’apprécie le calme. Je ne sais pas si vous comprenez. Après des années à sillonner tous les pays du monde pour promouvoir le tango, j’aspire à la plénitude que procure la nature.
Nous nous éloignions peu à peu du château. Les pépiements des oiseaux se firent entendre. Nous étions proches du château et à la fois dans une bulle de douceur bienvenue. Ici, plus de badauds, nous étions seuls.
- Vous savez, je suis veuf depuis longtemps. Votre charme ne m’est pas indifférent, Claire. Mon fils voudrait que je retrouve l’amour et là tout à coup, en vous voyant, cela me semble possible.
- Votre compliment m'enchante. Je suis votre genre de femme ? Vous m'en voyez ravie. Tout à l’heure, quand je me suis retrouvée dans vos bras, j’avoue que c’était bien agréable.
C’était à peine croyable. J’étais en train de me faire draguer par le père d’Armando.
Je connaissais la réputation de séducteur des argentins, mais là je trouvais qu’il allait un peu vite, même si j’aimais ça. Il semblait craquer pour moi. Mirage ou réalité ? L’avenir le dirait.
J’adorais ressentir en moi la montée du désir pour un homme, c’était jouissif de sentir ce regard plongé dans mon décolleté, d’observer la courbe de cette bouche gourmande et enjôleuse qui cherchait une réponse à ses avances. Devais-je m’abandonner dans ses bras, là, tout de suite derrière la tour du château de Carcassonne, mon château bien-aimé ?
Moi, habituellement si bavarde, je devins tout à coup mutique.
Nous nous assîmes dans un angle caché du monument, d’où personne pouvait nous voir. Il prit mes deux mains et les baisa doucement.
- Je ne suis pas libre Armando, votre proposition m’enchante, vraiment, mais mon cœur est pris.
Je ne sais pas comment j’avais trouvé la force de le dire, il fallait que je sois franche et sincère, nous devions jouer cartes sur table. Je culpabilisai de me trouver là avec un autre homme que le mien.
Je devais réfléchir avant de faire une bêtise.
- Songez-y, Claire, ma proposition est réelle. Je sais, vous devez penser que j’exagère car on se connaît à peine, mais j’adorerais en savoir plus sur vous, créer un lien charnel intense si vous le souhaitez vous aussi. Je sens que vos yeux pétillent, vous n’êtes pas indifférente à ma personne. Je me trompe ?
- Vous avez un charme fou, Sergio, et tout à l’heure, j’ai senti qu’il se passait quelque chose lorsque je me suis retrouvée dans vos bras. Votre charisme, votre regard en rendraient folle plus d’une. Est-ce qu’une femme comme moi peut espérer plaire à un homme tel que vous ?
- Vous savez, on a tous nos complexes, moi je me trouve trop mince et trop poilu. Regardez, certaines aiment cette toison sur ma poitrine, et vous ?
Il ouvrit ostensiblement les trois premiers boutons de sa chemise, je découvris les poils bruns couvrant son buste. C’était une masse brune compacte et qui semblait soyeuse. Je voulus m’en assurer. Je tendis ma main, et le caressai longuement, les yeux dans ses yeux.
Voilà que je me laissais aller dans un lieu public, prenant le risque de me faire reconnaître (oui, j’avais un petit cercle de personnes susceptibles de se trouver ici au même moment que moi).
Je l’embrassai dans le cou, j’enfouis mon visage tout contre lui, profitant de cette chaleur masculine à laquelle je n’étais pas insensible. La suite ?
- Ce n’est pas à moi de prendre l’initiative, pensai-je.
Juste à ce moment-là, comme s’il avait lu dans mes pensées, il se leva, prit ma main et m’entraîna dans les ruelles pavées, se fraya un chemin parmi le passants stationnés ici et là, traînant devant les boutiques de souvenirs, s’extasiant devant les menus, s’exclamant à la vue des tours.
Nous atteignîmes la devanture d’un hôtel moyenâgeux, dont l’enseigne rouillée se balançait au gré du vent. Je trouvais que son nom «Au délice du Roy» me seyait bien.
J’étais happée par les événements, je savais où il m’emmenait, j’acceptai l’incartade, c’était tellement grisant, je ne pouvais plus reculer. La perspective de me retrouver sur un lit avec lui m’enchantait.
Une fois les formalités réglées, à la réception, je suivis sans un mot mon acolyte d’un jour, soufflée par son attitude désinvolte, son esprit aventureux qui le rendaient encore plus séduisant.
Dès l’entrée, l’atmosphère nous envoûta, les vieilles pierres nous transmettaient tout ce qu’elles avaient pu voir et entendre. Les hauts plafonds bardés de poutre en bois brun nous renvoyaient à l’époque royale.
De grands rideaux de velours rouge et jaunes couvraient les murs menant aux chambres. Nous montâmes jusqu’en haut par des escaliers brinquebalants, nous entrâmes dans une pièce mansardée chaleureuse garnie d’un haut lit à baldaquin.
Sans un mot, d’un geste sûr, il me déshabilla, fit valser ma robe, mon soutien-gorge et ma culotte en dentelle qui recouvrirent le sol. Ma nudité apparut. Je fermai les yeux pour savourer le moment.
Il me couvrit de baisers depuis la pointe des seins jusqu’au pubis, il me serra fort dans ses bras fougueusement, je pouvais humer l’odeur de sa peau, sentir son désir pour moi.
Son sexe imprima de langoureux va-et-vient contre mon ventre, c’était délicieux. Je commençai à déboutonner son pantalon, attrapai son membre dur tendu vers moi et, une fois à genoux, je le regardai d’un air coquin et décidé puis engloutis son gland tout entier, le léchai, l’entourai de mes doigts. Ses gémissements ne tardèrent pas à arriver, ça m’excitait encore plus de le voir prendre du plaisir.
Il m’allongea sur le dos, se frotta contre moi, fit glisser son sexe dans ma vulve, un éclair de plaisir m’envahit. Tous mes sens étaient en ébullition, je n’arrivais plus à penser j’étais entièrement à lui,
Je sentais son sexe au plus profond de moi, je ne pus m’empêcher d’exprimer mon plaisir, mes cris alerteraient bientôt tous les occupants de l’hôtel.
Il mit sa main sur ma bouche, continua ses va-et-vient. Comme son sexe était ferme et vigoureux ! Je profitai de ce moment si intense. Il décida de changer de position. Il me dit :
- Viens !
Nous nous approchâmes de la fenêtre à petits carreaux d’où on avait une vue imprenable sur le château. Il se mit derrière moi, je plaquai mes mains contre les vitres, mon regard au loin, m‘imaginant être la châtelaine du XVIIe siècle détroussée sans préambule par son roi exprimant ainsi toute sa puissance et sa domination.
Son sexe entra dans mon intimité, nous ne faisions plus qu’un. Ses râles s’intensifièrent, mes cheveux étaient collés sur mon cou, la transpiration dégoulinait sur mes joues. J’étais hagarde, comme en transe. Il écarta mes fesses pour me pénétrer plus profondément. De la buée apparut sur les vitres. Je ne voyais plus que sa tête dans mon cou et n’entendais plus que son souffle régulier.
Dans mon esprit embrumé, le lendemain matin, une fois la place encore chaude de mon mari dans le lit abandonnée, je me remémorai l’intensité de cette relation charnelle. J’avais fauté, la veille, alors que je devais juste faire visiter la vieille ville à un touriste de passage. Comment avais-je pu être aussi faible ?
Son grand corps musclé m’avait entièrement recouverte, Emportée par le plaisir, je m’étais surprise à murmurer « Sergio, Sergio…» dans le creux de son oreille.
Un café fumant entre mes mains, les cheveux en bataille, je regardai dans le miroir ce visage plissé par les restes d’une nuit mouvementée, entre rêves et tourments. Je naviguai entre deux eaux. Mon mari ne se doutait de rien, pourtant ma mine réjouie indiquait, malgré tout, que l’après-midi s’était révélée pour le moins unique, comme jamais certainement je n’en vivrai plus.
La journée du lendemain se passa à attendre sans l’espérer, un message de lui. Mais Armando m’informa que son père était finalement rentré plus tôt en Argentine car il devait honorer des contrats.
La prochaine fois qu’il viendrait en France, ce serait sans doute à Noël. Je ne lui montrai pas ma déception. Il semblait me regarder différemment, mais peut-être était-ce une impression. Mon aventure extra-conjugale ne se lisait pas sur le visage !
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