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Bip, bip, bip...

La sonnerie nasillarde de mon vilain réveil me coupe en plein rêve. Les membres encore engourdis par le sommeil, je bouge mollement le bras pour éteindre cet appareil de malheur, non sans avoir grogné au préalable.

Je ne suis pas du matin.

La tête enfouie dans mon oreiller, j'espère vainement ralentir le temps pour échapper à l'heure fatidique de ma rentrée. Hélas, c'est sans compter sur l'arrivée de ma mère et de ses insupportables talons bruyants.

  • Alexia, debout, ordonne-t-elle d'un ton sec en ouvrant brusquement les rideaux.

Nouveau grognement. La lumière du jour envahit la pièce et me brûle les yeux. Je replonge la tête sous l'oreiller moelleux de mon lit, mais une fois encore, ma génitrice intervient en me l'arrachant des mains.

  • J'ai horreur de tes caprices matinaux, siffle-t-elle les bras croisés, m'étudiant de son regard froid et calculateur. File dans la salle de bain et prépare toi. Tu dois être irréprochable pour ton premier jour.

Génial. Comme si la pression n'était pas déjà suffisamment forte...

J'attends qu'elle parte avant de me redresser sur le matelas. Je tâte mollement les draps, l'esprit perdu dans le vague, cherchant un peu de motivation pour bouger mon corps jusqu'à la douche, puis pose timidement un pied sur les lattes fraiches du parquet. D'un rapide coup d'oeil, je regarde une dernière fois l'heure sur mon vieux réveil.

6:07.

Pendant un court instant, j'hésite à attendre encore trois petites minutes avant d'aller me laver. J'aime les nombres bien arrondis. Mais je sais pertinemment que d'ici une minute, ma mère va revenir vérifier que j'ai bien obéi, et si elle s'aperçoit que je suis toujours dans mon lit, je ne donne pas cher de ma peau ! Alors, imaginant les mille-et-une morts que ma génitrice pourrait me réserver, je décolle illico presto et me précipite dans la salle de bain.

L'eau chaude, presque brûlante, coule sur ma peau et dénoue peu à peu les tensions qui s'étaient installées durant la nuit. Pendant quelques minutes, je reste plantée là, immobile, sous la pluie bouillante que la pomme de douche dessert. Mes pensées, encore une fois, sont focalisées sur ma rentrée.

Je suis partagée entre l'excitation et le stress. A la fois pressée de voir mon nouveau lycée et de me faire de nouveaux amis, mais en même temps un peu angoissée, comme toujours, par la pression que ma mère met sur mes épaules. Cela va faire 4 mois que je n'ai pas posé un pied dans une salle de classe. A vrai dire, je ne me souviens même plus vraiment de ce qui s'est passé après l'incendie. Je sais que nous avons déménagé un peu précipitamment, mais à bien y réfléchir, je n'ai aucune idée de ce que nous avons fait après.

Oh, et puis à quoi bon chercher ? J'ai simplement dû oublier les journées tristes et monotones qui ont composé mon quotidien depuis le fameux accident.

Je suis tirée de mes pensées de la pire façon : de grands coups dans la porte - un truc que je déteste - donnés par ma mère qui ronchonne :

  • Il est la demi passée, dépêche-toi.

Alors je coupe l'eau, manque de m'étaler au sol quand je sors un peu trop précipitamment de la douche, et je m'entoure dans une grande serviette que le radiateur chauffe depuis la veille.

  • Je suis presque prête, j'arrive ! je lui réponds après avoir enfilé un jean large noir.

Je revêts mon haut blanc préféré : une tunique ample aux manches longues en dentelles, et brosse un peu brutalement mes cheveux pour les attacher en queue-de-cheval haute.

Avant de sortir de la salle de bain, je vérifie une dernière fois ma disgracieuse silhouette dans le miroir. Il faut que je sois irréprochable pour passer cette porte et montrer le résultat à ma génitrice. Lorsque j'ouvre ma porte, je la trouve en plein centre de la pièce, raide comme un pic, les bras croisés et le visage de marbre.

Tandis que ses yeux calculateurs sondent mon apparence, je ne peux m'empêcher de retenir mon souffle, attendant le verdict. Elle pousse un soupir en esquissant une petite moue, et acquiesce.

  • Il va vraiment falloir songer à faire un régime, finit-elle par dire. Comment peux-tu devenir quelqu'un d'important si tu n'arrives même pas à maîtriser ton propre corps ?

Puis elle part rejoindre son conjoint dans la voiture, comme si rien ne s'était jamais produit. Ce n'est pas la première fois que ma mère est aussi blessante, et pourtant les piques qu'elle m'envoient font toujours autant de ravage. C'est comme si elle m'enfonçait un couteau dans le cœur.

Mais je ne me laisse pas abattre. Après tout, qui aime bien châtie bien, non ?

J'attrape mon sac de cours, passe un dernier coup de brosse dans ma chevelure brune, dévale les escaliers et me précipite à l'arrière du véhicule, le ventre vide.

Lorsque la berline s'arrête sur le grand parking de l'établissement, la pression est à son comble. Les mots que ma génitrice me répète depuis des jours résonnent dans ma tête en boucle.

"Fait bonne impression".

"Sois attentive".

"Montre-leur que c'est toi qui commandes".

  • Détends-toi, ricane gentiment Antoine avec un clin d'oeil. Ce n'est qu'une simple rentrée, tout va bien se passer.
  • Ne soit pas lâche comme l'était ton père, ajoute ma mère en m'attrapant la main et en la serrant dans la sienne. Fait preuve de courage, et rends-moi fière. Montre à tous qui est la fille de Sophie Brunault.

Un rapide sourire illumine son visage d'ordinaire si froid, mais disparaît aussitôt.

  • Allez, file.

Je soupire pour évacuer une bonne fois pour toute le stress qui m'habite, et me décide enfin à ouvrir la portière de la voiture. Antoine me fait un dernier signe d'encouragement et redémarre le véhicule.

Ne soit pas lâche, je me répète avant de franchir le seuil de la cour intérieure. Mes yeux scrutent les moindres détails. Chaque fenêtre, chaque pilier, chaque mur en béton froid s'imprime dans mon esprit, et un frisson d'appréhension parcourt mon dos.

La cour grouille de vie, mais j'ai cette affreuse impression d'être en prison. Le bâtiment austère et beaucoup trop imposant m'écrase, me limite. Je ne me sens pas à ma place.

Je sors brusquement de mes pessimistes pensées lorsqu'une fille me bouscule. Elle ne semble pas avoir eu l'intention de le faire, mais ne s'excuse pas pour autant, se contentant simplement de me dévisager de la tête aux pieds avant de me faire un sourire gêné. Puis elle continue sa route, comme s'il ne s'était rien produit.

  • Ne fais pas attention à elle, souffle quelqu'un derrière moi. Chris n'est pas méchante, elle traîne juste avec les mauvaises personnes.

Je me tourne pour voir mon vis-à-vis. C'est un garçon un peu plus grand que moi à la dégaine assurée et à l'allure soignée. Il porte un simple pantalon noir avec une chemise blanche, et ses cheveux sombres sont coiffés. Il me sourit franchement, le regard vif.

  • Je m'appelle Eishen, se présente-t-il en me tendant la main. Tu dois être nouvelle ici, je me trompe ?
  • Euh, Alexia... je réponds un peu maladroitement, répondant à sa poignée. Et je ne vois pas trop ce que tu veux dire par "nouvelle", c'est le premier jour de l'année... Tout le monde est nouveau ici.
  • Aha, oui tu n'as pas tort, accorde-t-il. Mais ta façon de dévisager l'intérieur de la cour laisse à penser que c'est la première fois que tu franchis ces murs. Tu n'as pas assisté à la journée portes ouvertes ? Je croyais qu'elle était obligatoire pour intégrer cet établissement.
  • Ah, non. On a emménagé très récemment, je n'ai pas eu l'occasion de visiter le lycée avant d'y être inscrite. C'est ma mère qui s'est chargée de tout.
  • Je vois, murmure-t-il simplement. Tu veux que je te fasse visiter ? Je connais bien cet endroit, tous mes frères y ont étudié avant moi, et puis il nous reste une bonne demi-heure avant la répartition des classes.

Eishen a l'air d'être un gentil garçon. Son sourire chaleureux me réchauffe le coeur, aussi j'accepte sa proposition d'un hochement de tête. Il m'attrape alors la main et m'entraîne joyeusement vers l'entrée du bâtiment.

  • Tu vas voir, l'extérieur fait peut-être froid, mais à l'intérieur, c'est totalement différent !

Et le jeune homme s'empresse de me montrer. La salle de repos, la bibliothèque, le self et la cafétéria, les salles de cours, les bureaux des différentes intendances, la salle d'étude, et même la salle de musique. Il ne s'est d'ailleurs pas trompé : chaque pièce qu'il m'a présentée dégage une ambiance chaleureuse qui contraste totalement avec l'aspect strict de la façade.

Pile au moment où nous finissons notre visite, l'interphone appelle tous les nouveaux élèves de seconde et première à se rapprocher de la cour intérieure pour la répartition. Quand nous arrivons, la place est bondée. Les élèves, agglutinés devant l'estrade, attendent avec impatience que leurs noms soient prononcés.

  • Mélanie Barnel, annonce le proviseur dans son microphone.

J'écoute attentivement les appels du proviseur, anxieuse de louper mon tour.

  • Pierre-Louis Decressac.
  • Détends-toi, murmure Eishen à mon oreille. Il commence par les classes de première. Cela leur permet de désengorger la cour pour que la visite des élèves de seconde ne soit pas trop chaotique.
  • Tu as l'air de plutôt bien maîtriser le sujet, remarqué-je.
  • Ma mère est la responsable administrative. A chaque rentrée de mes frères, j'observais la répartition des classes depuis sa fenêtre.
  • Samuel Perret, continue le principal.

Mon coeur manque un battement. Cela fait des années que je n'avais pas entendu ce nom.

Voulant à tout prix vérifier qu'il s'agit bien de lui, je me hausse sur la pointe des pieds et étire au maximum mon cou afin de voir au-dessus de la masse d'élève qui se dresse devant moi. Un grand et svelte garçon se dégage de la foule pour rejoindre le reste de son groupe. Quand nos regards se croisent, mon estomac se noue.

C'est lui.

Il ne semble pas me reconnaître, car il n'affiche aucune émotion. Peut-être ne m'a-t-il pas vu ?

Une ribambelle de souvenirs, tant heureux que tristes, remontent en moi et ravivent une flamme depuis trop longtemps éteinte.

  • Alexia ? Tu vas bien ? demande Eishen en fronçant légèrement les sourcils. On dirait que tu as vu un fantôme.
  • Qu'est-ce que tu peux me dire de ce garçon ? Tu le connais ?

Je le sens se braquer tout à coup, et, raide comme un piquet, il répond :

  • Non je ne l'ai jamais vu. Mais en même temps, la dernière fois que je suis venue voir ma mère dans son bureau, c'était il y a un peu moins de trois ans.

Un frisson parcourt mon dos. J'ai l'impression qu'Eishen ne me dit pas la vérité, et pourtant, comment pourrait-il en être autrement ? La dernière fois que j'ai vu Samuel, c'était il y a plus de six ans, dans mon ancienne ville. Il est pratiquement impossible qu'ils se connaissent.

Mais à bien y penser, qu'est-ce que Samuel fait ici ? Quelle était la probabilité pour que l'on finisse dans le même lycée, dans une ville lointaine, après six années d'absence ?

Mon nom est finalement appelé, repoussant toutes mes interrogations dans un coin de ma tête, et je me reconcentre sur le présent, et avance vers l'estrade où se trouve mon nouveau groupe de classe, bientôt rejointe par Eishen.

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