Variure B
"-Brasseur, je vous dis qu’il était brasseur !
Bon, allez, je vous raconte l’histoire ! "
Dans une petite ville du nord de la France, non loin de Lens et à quelques lieues d’Arras se trouvait une petite brasserie. Elle était dirigée par Joseph Radinski, un émigrant polonais arrivé en France dans les années 20.Il était assez rondouillard et arborait une moustache à faire pâlir Salvador Dali.
Les affaires marchaient bien depuis un certain temps, si bien qu’il avait embauché deux personnes supplémentaires l’année dernière ; ce qui portait le nombre de ces salariés à une petite dizaine.
La nuit, seuls deux ou trois personnes restaient pour surveiller les installations. Sans compter Mr Radinski, bien sûr ! Lui profitait du calme relatif pour concevoir de nouvelles recettes. Un peu de cardamome par ci, une pointe de piment par là et bientôt il testerait sa nouvelle création.
Quelques mois plus tard, il remporta même un prix à un concours régional: médaille d’or pour sa bière de noël! Les ventes s’en ressentirent presque aussitôt et il décida rapidement d’investir dans de nouvelles cuves en cuivre d’une contenance bien supérieure. Il put aussi recruter trois personnes dont un maitre brasseur, ce qui allait lui laisser plus de temps pour ses recherches aromatiques.
Il essaya des ingrédients divers et variés, et toujours plus saugrenus : Des plantes aromatiques bien évidemment, mais aussi la plus part des plantes qui poussaient dans la région ; de la prêle, du pissenlit, de la cataire…J’en passe et des bien pires !
Mais, une nuit éclairée par une volumineuse lune rousse, il fit une découverte qui éveilla immédiatement son intérêt. La plante était pourtant des plus communes, genre labiacée me semble-t-il ? Son nom ? Ah oui, ça devait être Coronas malignis, jolie teinte violacée et ressemblant à un trèfle à quatre feuilles, bref.
Pendant la chauffe, il en ajouta une bonne dizaine de feuilles et quelques têtes de houblon citra dans la chaussette qui lui servait de filtre. Après seulement deux minutes, une odeur enivrante embauma le labo de Joseph :
-« Oh, j’crois bien que j’tiens quèque chose »lança-t-il en se frottant les mains. Il était tellement excité qu’on aurait pu percevoir des arcs électriques sortant de sa moustache.
Il fit redescendre la température de son brassin et prépara la levure. Une fois la température stabilisée vers 22°c, il ajouta cette dernière. Aussitôt un « blop » se fît entendre :
-Etonnant ? songea-t-il. D’habitude ce type de levure s’activait seulement au bout de quelques heures !
Joseph s’octroya une pause bien méritée en allant aux toilettes. Pas besoin de sortir de son laboratoire, un coin repas et un cabinet y avaient été installés (comble du luxe à cette époque).
Bien assis sur son trône, il était en train de remplir une grille de mots croisés trouvée dans un de ces vieux journaux qu’il entassait dans son cabinet. On n’est jamais assez prudent !
Sa pause « cruciverbistique » fut soudain interrompue. Une sorte de liquide suintait du dessous de la porte. A vrai dire, l'odeur qui en émanait s'apparentait plus ou moins à de la bière ! Joseph actionna la poignée de cette dernière et fut submergé par une montagne de mousse d'une couleur douteuse.
Il en avala, en avala encore tant et si bien qu’il ne pouvait quasiment plus respirer. Il cria, appela à l’aide :
-« Au secou… » la mousse absorba l’écho de sa voix.
Jérome, un jeune récemment embauché, interpela le Maître Brasseur :
-« Maître, vous n’avez pas entendu comme un cri qui venait du labo ?
-Petit, tu tiens à ta place?, alors t’avises pas d’aller voir le patron. On doit le déranger sous aucun prétexte ! Retournes à ton travail. »
Le jeune homme s'éxécuta en baissant la tête, résigné mais persuadé qu'il n'avait pas rèvé.
Et Joseph Radinski mourut asphyxié par sa monstrueuse création !
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