12. Des photos pour un Dragon
Arthur
La journée s’achève enfin et la mission est réussie. Les vaches sont dans l’enclos, les poules dans le pâturage à côté, et les fermières sont dans leur tente. Que demander de plus ? Snow a bien aidé en tous cas. Il n’y a pas à dire, la Lieutenant a raison. Il est de bon conseil et il est efficace ! Mais là, il a l’air vanné. Lessivé. Rincé. Je ne l’ai jamais vu si fatigué. J’en viens même à me demander s’il a dormi la nuit dernière ou s’il a profité de la jeune fermière. Ça expliquerait ses cernes, tout ça. Enfin, je me fais peut-être des idées, il n’a eu aucun geste qui trahirait de tels actes, c’est sûrement juste mon imagination fertile qui parle. En tous cas, il me salue avant de retourner vers ses quartiers où il va sans doute retrouver sa cheffe. Le chanceux, après la fermière, la Lieutenant. Il y en a qui ont de la chance dans la vie !
Justine vient me voir alors que je m’apprêtais à rentrer dans la tente que je partage avec Dan.
- J’ai pris de belles photos, c’était une trop belle idée de faire venir les vaches ! Tu peux me les valider pour que je les envoie avec mon rapport ce soir, au siège ?
- Tu sais que ce n’était pas qu’une opération de comm ? L’idée est quand même d’améliorer le quotidien des gens ici, hein !
- Oui, je sais, mais ça fait des photos trop mignonnes. Bon, tu me les valides ou pas alors ?
- Tu sais bien que ce n’est pas à moi de le faire. Tiens, donne-moi ta clé USB, je vais aller voir le Monstre de l’Ordre pour qu’elle me dise si c’est bon ou pas. Comme ça, tu pourras communiquer et on n’aura pas froissé la Princesse du campement dans ses prérogatives.
- OK, tu me la rends demain matin ? C’est fatiguant tout ça, j’ai besoin de repos, me dit-elle en me donnant la clé.
- Pas de souci, Justine, Bonne nuit.
Un peu courbaturé des efforts fournis dans la journée, je ne vais cependant pas rejoindre mon lit, mais je vais voir si le Lieutenant a quelques minutes à m’accorder. Cela me permettra d’ailleurs de la remercier car, sans elle, rien de tout ça n’aurait été possible.
- Tu vas où comme ça avec ce sourire niais ? me demande alors Dan qui vient lui aussi pour se reposer après la dure journée à courir après toutes ces stupides gallinacées.
- Sourire niais ? Non mais, je rêve, n’importe quoi, là. Je vais aller voir la Lieutenant pour faire valider les photos pour Justine et la remercier pour ce qu’elle rend possible ici.
- Ce qu’elle rend possible ? Elle fait son boulot, rien de plus je crois. T’emballe pas non plus.
- Ouais, elle aurait pu m’envoyer chier sur cette histoire de ferme quand même. Elle est chiante, mais elle a un petit coeur, ris-je.
- Un cul de dingue, surtout, si tu veux mon avis.
- Ah tu crois ? Moi, j’ai juste maté son joli visage. Il est si délicat pour une militaire.
- C’est clair qu’elle n’a pas la tête de l’emploi, rit-il. Si elle n’ouvre pas la bouche, on dirait presque une petite fleur fragile. Mais dès qu’elle se met à beugler, c’est pas la même !
- Beugler ? On dirait que tu parles de la vache, là ! Elle a quand même plus de charme que Marguerita, non ?
- Elle a quand même une grande gueule, la p’tite ! Et, entre nous, c’est toi qui pues la vache, Boss. Et ça sent pas la Marguerite.
- Ah oui ! C’est vrai ! Elle me l’a dit en plus que je puais ! Elle a une grande gueule, mais un petit nez bien mignon ! Je file prendre une douche et je vais la voir. Repose-toi, tu as une tête de déterré !
- Dit-il. Tu devrais voir ta tête. Bon courage avec le Dragon qui domine ce camp !
- Eh, je suis Arthur, tu te souviens ? Avec mon épée, Excalibur, j’ai pas peur du Dragon !
- T’as vraiment un grain, le roi Arthur, c’est pas possible, s’esclaffe-t-il. Bon courage quand même !
- Merci Dan. On verra si je survis à ma quête du Saint Graal !
Je file à la douche et vais me laver rapidement. Enfin, rapidement, c’est vite dit. L’odeur de bouse, c’est collant ! Je suis obligé de finir à l’eau froide tellement il me faut du temps pour me débarrasser de l’odeur. Je prends le temps de me tailler un peu la barbe aussi, quitte à faire un effort, autant le faire jusqu’au bout. Je passe des vêtements propres et me dirige vers la salle à l’étage, espérant la trouver dans la salle de réunion pour ne pas la déranger chez elle. Malheureusement, la salle est vide.
Je soupire et espère que je ne vais pas la trouver en pleine partie de jambes en l’air avec son sergent. Je frappe à la porte, doucement, pour ne pas la réveiller si elle est déjà endormie. Sans réponse, je commence à m’éloigner quand je l’entends crier à travers la porte.
- J’arrive, une minute !
Je ne réponds pas et attends devant sa porte. J’ai l’impression qu’elle est en train de s’habiller car j’entends le bruit d’un placard ou d’une armoire qu’on referme. Était-elle donc nue ?
- Snow, j’espère que tu as ramené la bouteille, je ne sors pas de mon lit si je n’ai pas un petit remontant !
Oh mince, elle croit que c’est le sergent. Elle risque d’être déçue quand elle va me voir.
- Tu ferais mieux de te barrer avant qu’elle réalise que ce n’est ni son amoureux ni quelqu’un avec une bonne bouteille qui vient la déranger à cette heure-ci !
Satanée petite voix, toujours à venir me déranger dans les pires moments. Alors, non, une fois de plus, je ne vais pas l’écouter, j’y suis, j’y reste. Par contre, quand elle ouvre enfin la porte, même la petite voix se tait.
La Lieutenant n’a plus rien d’une militaire, à cet instant. Déjà, elle a les cheveux détachés, encadrant son visage et le rendant d’autant plus doux. Et puis, aucun treillis ne planque ses formes, encore plus agréables à regarder alors qu’elle porte un simple débardeur blanc et un petit short qu’elle doit utiliser pour la nuit. Elle semble bien moins autoritaire, beaucoup plus douce et presque vulnérable. Avec l’envers du décor, l’expression “une poigne de fer dans un gant de velours” prend tout son sens.
- Arthur ? s’étonne-t-elle. Qu’est-ce que… Il y a un problème ?
- Je crois bien oui, dis-je amusé de sa surprise. Je n’ai pas ramené de bouteille. Vous allez pouvoir m’excuser ?
- Je… Merde, soupire-t-elle en reculant pour me faire signe d’entrer alors qu’elle regarde en direction du rez-de-chaussée. Entrez…
- Euh… Vous êtes sûre ? hésité-je en essayant de ne pas trop mater ses formes, bien visibles sous son haut blanc.
- Oui, je vous en prie, entrez. Et ne faites pas attention à la déco, c’est Mirallès qui s’est pris pour un roi.
- Ah oui, en effet ! m'esclaffé-je en entrant avant qu’elle ne referme la porte sur nous. Et vous arrivez à dormir là-dedans ?
- Le lit est plus confortable qu’une couchette, je ne crache pas dessus, soupire-t-elle en s’y asseyant après avoir fermé la porte. Qu’est-ce que vous voulez, Arthur ?
- Je voulais déjà vous dire merci. Je… Vous n’aviez pas à accepter pour les fermières, et ça va vraiment faire une différence dans leur quotidien. Je retire ce que j’avais dit sur l’inhumanité. C’était pas juste pour vous. Mais bon, vous m’aviez énervé aussi, ne puis-je m’empêcher de rajouter alors que j’étais bien parti pour faire une vraie excuse.
- Il va falloir apprendre à vous contrôler un peu alors, Arthur. C’est pas très agréable de prendre ce genre de remarques, soupire-t-elle. Bref, merci. Autre chose ?
- Euh à part vous dire que vous êtes vraiment plus humaine sans votre treillis ?
- Il paraît, rit-elle. Ma mère ne reconnaît pas sa fille quand je mets mon uniforme, elle a l’impression d’avoir en face d’elle une inconnue, donc je veux bien l’entendre.
J’essaie de me reprendre et d’oublier le fait que je suis seul avec une jolie femme comme elle, presque entièrement dévêtue. Ce n’est vraiment pas facile, surtout alors que la fatigue ne me permet pas de réprimer aussi facilement que ça mes envies.
- Tu es en manque, toi, dis-donc. Si un décolleté et de jolies jambes te mettent dans cet état-là…
J’essaie de ne pas écouter ma petite voix qui, comme à son habitude, intervient au mauvais moment.
- En fait, je suis venu pour vous montrer les photos que Justine souhaite envoyer au siège pour voir si vous les validez ou pas. Mais ça peut attendre demain si vous préférez.
- Non, non, faisons ça, pas de problème, dit-elle en récupérant son ordinateur portable sur son lit. Faites-moi voir ça, asseyez-vous.
Alors que je cherche où m’asseoir, elle me fait signe de s’installer sur son lit, à côté d’elle. Je me retrouve ainsi avec sa jambe nue collée à la mienne, et nos mains qui se frôlent alors qu’elle se saisit de la clé USB pour l’insérer sur son ordinateur.
- Vous êtes vraiment obligée de valider tout ce qu’on envoie ? dis-je en la laissant ouvrir le dossier contenant les photos de Justine.
- Non, pas vraiment. Je pensais surtout aux photos sur le terrain, en fait. Je m’en fiche un peu des photos des vaches. Et pour le camp, je n’ai rien à me reprocher, il n’y a rien à cacher, au contraire.
- Regardons ça vite, alors, je ne veux pas vous déranger trop. Vous avez eu une dure journée.
- Hum… Est-ce que vous êtes sûr de vouloir y aller, demain ? me demande-t-elle après un moment de silence durant lequel elle fait défiler les photos.
- Oui, je suis sûr. Il faut que j’y aille, c’est… un peu comme si je changeais mon passé en faisant ça ?
- On ne change pas son passé, Arthur… Mais si ça vous soulage, pourquoi pas. Enfin, je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure façon d’aller mieux ou de tourner une page. C’est plutôt violent.
- Vous croyez que je ne sais pas que c’est violent ? Vous pensez que je ne sais pas ce que c’est que d’être de l’autre côté et d’attendre de l’aide en vous demandant à chaque instant si ce n’est pas le dernier ? En hésitant entre la vraie proposition d’aide et le piège ? Je vous assure que cette violence est bien pire que celle de se retrouver dans la position de celui qui peut aider.
- Je vois, murmure-t-elle après un moment de réflexion. Je comprends votre position, mais là-bas, on n’a trouvé personne à aider, juste des corps inertes de tous âges, Arthur. Même quand on a déjà eu affaire à ce genre de scène, c’est violent.
- Je suis sûr que, comme moi, vous savez qu’il y a des gens qui se cachaient et qui n’ont pas osé venir. Vous n’avez pas envie d’y retourner et de les trouver ?
- Bien sûr que si ! Je… Je n’attends que ça, en vérité. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’on a perdu une journée…
- On la rattrapera demain, si vous le voulez. Avec mon aide, on devrait y arriver, souris-je en me relevant.
- Oui, on verra ça. Pouvez-vous demander à Justine de ne pas mettre les photos où poules et vaches se baladent librement sur le chemin ? Mon supérieur va m’étriper s’il tombe là-dessus…
- Pas de souci, Lieutenant. L’idée, c’est de donner une bonne image de la mission, pas de vous couler ! Ni nous non plus, d’ailleurs ! Bonne nuit !
- Bonne nouvelle alors, dit-elle en souriant doucement. Bonne nuit à vous aussi, Arthur.
- Un petit bisou pour sceller cette bonne nouvelle ? tenté-je un peu follement.
- N’abusez pas, Arthur, rit-elle en se levant pour ouvrir la porte. Un jour, peut-être, mais là, j’aurais trop peur que vous me sautiez au cou pour me balancer encore une vacherie de votre cru.
- Dommage, les vaches et les vacheries sont dans les champs. A demain, Julia.
Je sors avant qu’elle ne réagisse à l’usage de son nom. Finalement, j’ai bien fait de venir lui montrer les photos. Cette femme, sous le treillis, a l’air d’être beaucoup plus intéressante qu’elle n’en donne l’impression au premier abord !
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