35. Princesse tout sauf charmante

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Julia

- Relâchez cet homme immédiatement ! Il est sous notre protection jusqu’à l’arrivée au centre de détention ! Enlevez-lui ces menottes, tonné-je avant que le traducteur qu’a mis à ma disposition le Colonel ne fasse son boulot.

Putain, qu’est-ce que c’est chiant de ne pas parler la même langue ! Ça impressionne tout de suite beaucoup moins quand le type traduit d’une voix mollassonne mes propos. Il va vraiment falloir que je demande des cours à Arthur. Enfin… Oui, des cours de Silvanien quoi.

Le type se marre et parle à son collègue alors qu’Arthur fronce les sourcils. Je comprends au regard pervers du second qu’une fois de plus, ma qualité de femme m’empêche d’être prise au sérieux. Foutue testostérone, certains se croient vraiment supérieurs, c’est épuisant.

J’approche gentiment, mon Famas bien en main, et me mets sur la pointe des pieds pour lui murmurer à l’oreille, collant mon canon sur ses bijoux de famille. Une chance sur deux qu’il comprenne l’Anglais, je tente le coup.

- J’ai beau ne pas avoir de couilles, j’ai une arme à la main. Ne joue pas au malin, le coup pourrait partir tout seul, je ne suis qu’une femme, après tout. Ce serait dommage d’abîmer ce que je ne doute pas être un bel engin.

Je donne un petit accoup à mon canon, ce qui le fait reculer brusquement, et me retiens de rire. Clairement, j’aimerais bien ne pas m’attirer d’emmerdes en castrant cet abruti. S’il peut juste avoir suffisamment la trouille pour me laisser reprendre la main, ça me va.

- Demandez-lui d’enlever ses menottes à Monsieur Zrinkak, demandé-je au traducteur. On gère le transfert, c’était le deal.

Je l’écoute traduire et fais un clin d'œil que j’espère discret à mon Bûcheron. Le soldat ne moufte pas plus mais bougonne en lui enlevant les menottes et recule lorsque j’approche d’Arthur pour me planter devant lui.

- Salut, toi. Tu comptais partir en balade sans moi ?

- Non, non, mais j’ai eu peur que tu sois en retard ! C’était tout juste ! me répond-il en souriant.

- C’était pour l’effet de surprise, ris-je doucement. Je vais t’accompagner au véhicule. J’ai quelques infos à te donner, reste impassible et sois attentif, une fois dans le camion, finies les confidences.

- Des infos ? On prend quand même le camion ? Je pensais que tu venais me délivrer… me dit-il soudain inquiet.

- Ça va venir, la reine des neiges, mais pas de moi, dis-je en lui attrapant le bras pour l’inciter à avancer. Boîte bien et prends ton temps, tu veux ? J’ai eu un contact avec la rébellion, il semblerait qu’ils soient aussi intéressés par Arthur Zrinkak que le Gouvernement silvanien.

- Mais pourquoi tout le monde s’intéresse à moi ? J’ai juste apporté un peu de nourriture et aidé quelques réfugiés !

- Moins fort ! le grondé-je alors qu’un de mes hommes, devant nous, se retourne. Ça va, je gère Roussel.

Je lui fais signe de poursuivre et ralentis Arthur pour que nous prenions un peu de distance. Derrière nous, les deux couillons de l’armée Silvanienne semblent bien occupés à discuter, je ne vais pas m’en plaindre.

- Je t’expliquerai le pourquoi du comment plus tard, promis, lui murmuré-je. Toujours est-il que le camion va connaître une petite attaque sur le trajet qui va te permettre de sortir de là. Dans le camion, quand je te ferai signe, tu te mets en position du fœtus ou je ne sais comment ils appellent ça, bref, comme dans les avions. Et dès qu’on te dit de sortir, tu sors. Ne t’occupe pas de moi, tu te tires. Compris ?

- Je me tire sans toi ? grommelle-t-il tout bas. Tu en as de bonnes, toi. Une attaque ? Mais c’est quoi ce bordel ? Je peux pas retourner gérer le camp comme avant, tout simplement ?

- Arthur, tu n’as pas tous les tenants et les aboutissants, je t’assure que pour le moment, c’est le mieux que tu aies à faire. Tu seras fait prisonnier par les rebelles, je pars en mission dans quelques jours pour te récupérer et on reprend une vie normale. Enfin, aussi normale que possible au beau milieu de cette guerre de merde.

- Et tu peux me dire comment tu sais ce que les rebelles vont faire ? demande-t-il visiblement intrigué et impressionné.

- Je t’ai dit que j’allais te sortir de là. Ça a juste impliqué de trahir l’armée française en faisant un marché avec les rebelles. Tout roule. Mais je ne pouvais pas impliquer mes hommes, c’était la seule solution.

- Je vois, je vois. Tu sais que tu m’impressionnes ? J’espère que tu sais ce dans quoi tu t’engages, mais je te fais toute confiance !

- On verra bien… Allez, monte là-dedans, dis-je en montant avant de lui tendre la main pour l’aider.

Cette jambe blessée ne va pas l’aider à fuir, vu comme il galère pour passer la marche du camion, mais nous n’avons pas d’autre solution.

J’installe Arthur là où je pense qu’il y a le moins de risques pour lui et me mets en face. J’espère que tout va bien se passer et qu’il n’y aura pas de dommages collatéraux. Normalement, tout devrait bien se dérouler, mais je ne connais pas ces personnes, je ne sais pas si je peux leur faire confiance.

Tout est beaucoup plus clair maintenant que j’ai récupéré des infos. Fou comme le nom d’Arthur Zrinkak m’a ouvert des portes, et pas toutes très légales. La rébellion semble bien installée dans le pays et nous vivons, au camp, à moins de trente kilomètres d’une base à moitié enterrée où se planquent des rebelles, dont peut-être la fameuse Gitane.

Le début du trajet se passe dans un calme olympien, et je prends le temps de respirer calmement pour ne pas que le stress me submerge. J’ai un putain de mauvais pressentiment et je fais tout mon possible pour rester de marbre, mais les beaux yeux d’Arthur, face à moi, me perturbent un peu trop. Il ne sait rien et va découvrir des choses qui risquent de bien le secouer. Il stresse en ce qui concerne ce qu’il va se passer, mais il n’a pas idée à quel point cette mission est prioritaire pour les rebelles. Il ne lui arrivera rien, c’est certain.

Lorsque je fais signe à Arthur de se mettre en position, il me regarde en fronçant les sourcils comme s’il ne comprenait pas. Quelle tête en l’air, ce mec, pas possible ! Je lui fais à nouveau signe, moins discrètement j’imagine et ses yeux passent de l’incompréhension au stress en un quart de seconde. Il se penche en avant et protège sa tête de ses mains quelques secondes avant qu’un bruit assourdissant ne se fasse entendre. Comme prévu, les quatre roues du petit camion viennent d’éclater à cause d’une herse et le conducteur perd le contrôle du véhicule.

- Protégez-vous ! crié-je en attirant Arthur avec moi au sol.

Tout se passe très rapidement. Dieu merci, nous ne faisons pas de tonneau mais vu l’impact final, nous devons nous prendre un arbre. Sans doute mieux, même si j’espère que les hommes à l’avant ne sont pas blessés. Des cris retentissent à l’extérieur, des phrases incompréhensibles pour mes hommes et moi, et je me redresse en espérant que les rebelles tiendront leur promesse de ne tuer personne.

- C’est bientôt le moment de filer, murmuré-je à Arthur à l’oreille avant de me lever. Restez au sol, Zrinkak, énoncé-je plus fort.

Je lui fais un clin d'œil alors que les hommes derrière nous se redressent également, certains un peu sonnés. Je me glisse entre eux pour gagner les portes arrière et observe dans les petites fenêtres ce qui se passe à l’extérieur. Il y a un nombre pas possible de rebelles qui approchent de nos deux camions, et je me dis que ça pourrait finir en carnage. Est-ce que je suis totalement dingue d’avoir pactisé avec l’ennemi ? Ce qui se passe, là, maintenant, est totalement fou. Vu le nombre de femmes et d’hommes armés, ils peuvent nous canarder sans problème. Je crois, à cet instant, que j’ai profondément merdé. Quatre de mes hommes peuvent y rester pour en sauver un, qu’est-ce qu’il m’a pris ? Où est la justice, là ?

Je ne suis absolument pas prête lorsque les portes du camion s’ouvrent et je recule d’un pas.

- Baissez vos armes ! nous crie un homme en français, avec un accent marqué. Baissez vos armes !

Je fais signe à mes hommes de baisser leurs armes après avoir posé la mienne lentement au sol. Je vois du coin de l’oeil que Roussel hésite, mais un regard noir de ma part le fait céder, ou alors est-ce la nouvelle injonction du type qui doit faire deux mètres et ressemble à un viking.

Le fameux viking m’attrape par le bras et me fait descendre brusquement du camion avant de m’attirer plus loin, et chacun des soldats est logé à la même enseigne. Ce n’est pas ce qui était prévu, d’autant plus que nous sommes alignés à genoux sur la route. Arthur est à son tour descendu, aussi brusquement que nous, et des menottes lui sont passées aux poignets alors qu’il grimace encore d’avoir été brusqué. Je ne peux m’empêcher de me dire que s’il avait un goût pour ce genre de pratiques, je doute, après ces derniers jours, qu’il joue à nouveau avec ce type d’objet à l’avenir. Oui, j’ai cette pensée alors que je vais finalement peut-être crever dans quelques secondes, minutes, qui sait.

Des murmures se font à présent entendre dans la foule de rebelles alors qu’Arthur est emmené dans un véhicule au loin. Si lui est sauf, c’est mission accomplie, non ? Justice est faite, puisqu’il ne méritait pas de finir en prison. Cette pensée me rassérène un instant, avant que je ne me dise que neuf soldats français, moi inclue, y passeront pour le sauver. Il y a sans doute des pères de famille à mes côtés, des fils de parents qui s’inquiètent pour leur enfant au front, des frères, des sœurs, qui ne vivent qu’à moitié pendant ces mois d’angoisses. Putain, la justice a un prix quand même…

- C’est vous le Lieutenant Vidal ?

Je lève la tête vers le Viking qui a prononcé mon nom et acquiesce.

- Vous gérez le camp de réfugiés, c’est ça ?

- C’est ça, oui.

- Vous venez avec nous.

- Pardon ?

Pas de discussion possible, il m’agrippe le bras et me lève aussi brutalement qu’il m’a fait descendre du camion. Ça non plus, ce n’était pas prévu. Mauvais pressentiment confirmé.

- Mais lâchez-moi ! Qu’est-ce que vous allez faire à mes hommes ?!

- Les tuer, non ? ricane-t-il en me regardant blanchir avant de reprendre. Mais non, petite poupée, on va les attacher au camion et on les laisse là. Par contre, les deux soldats du Gouvernement, on les emmène aussi. Pour eux, ce sera peine de mort s’ils sont gentils.

- On avait dit pas de morts, grincé-je alors qu’il m’emmène sans se soucier que je trébuche, me maintenant debout.

- On n’avait pas prévu d’avoir des Silvaniens, ils ont vu nos visages, ils doivent mourir. C’est la guerre, petite poupée.

Un frisson me traverse et je grimace avant qu’il ne me balance dans un camion et monte à ma suite.

- Ils ne vous ont rien fait, vous ne valez pas mieux qu’eux apparemment, bougonné-je alors qu’il me menotte.

- Ils ont dû tuer plus de Silvaniens que vous ne pensez. Et nous, au moins, on va les juger et s’ils sont condamnés, on ne les torturera pas. Alors, on se tait, petite poupée, et on ferme sa gueule. Compris ?

- Je la ferme uniquement si vous arrêtez avec ce surnom de merde ! J’ai la tronche d’une petite poupée, sérieux ? Il vous faut des lunettes, le Viking.

- D’accord petite poupée, répond-il en éclatant de rire et en refermant la porte du camion derrière lui.

Merde, je ne pensais pas à un tête-à-tête vu le nombre de personnes qu’il y a à ramener. Il est vraiment flippant et ne semble absolument pas plaisanter. Il m’installe à côté de lui sur un banc qui n’a rien de confortable alors que le camion se met en route, et je vois derrière nous la voiture où se trouve Arthur qui nous suit. Dans quelle situation est-ce que je me suis fourrée, moi ?

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