41. Prise de conscience
Julia
Je vois bien qu’Arthur se renfrogne quand je ris, mais ce n’est pas contre lui. C’est plutôt cette situation qui est grotesque. Je relâche la pression, incapable de me retenir. J’ai bien cru que j’allais passer un sale quart d’heure avec ces trois crétins. J’ai beau savoir me défendre, je ne peux pas grand-chose à mains nues contre trois montagnes en rut. Et je n’en menais pas large. Qu’ils soient assurés que si je les croise individuellement, leurs bijoux de famille vont souffrir.
- Je suis désolée, dis-je en tentant de me calmer. Tu es complètement cinglé, Arthur.
- Moi ? Cinglé ? La prochaine fois, je te laisse te débrouiller toute seule, me lance-t-il toujours grognon et visiblement vexé de s’être fait frapper devant moi.
Je fais la moue et prends délicatement son visage entre mes mains avant de caresser de mon pouce sa pommette rougie.
- Tu crois qu’ils ont de la glace ici ? Je sais que les cocards, ça fait bad boy, mais ce serait dommage de voir ce si joli faciès abîmé.
- Je crois que la seule glace qu’ils ont, c’est dans leur cœur. Et puis mon faciès n’est pas abîmé. Je ne suis pas en sucre, tu sais ?
- Dommage, j’ai un sacré penchant pour tout ce qui est sucré, souris-je en déposant un baiser sur sa joue. Merci, Arthur. Sans toi, ces abrutis auraient sans aucun doute eu ce qu’ils voulaient…
- Alors, je crois en fait que je suis très sucré là et là, dit-il en posant son doigt sur son nez et sa bouche.
- Réclamerais-tu une récompense pour avoir sauvé une demoiselle en détresse ? ris-je en me pressant contre lui.
- Oui, je veux le bisou dû aux super héros beaux et baraqués qui sauvent les jolies femmes ! Et pas de remarque sur la droite que je me suis pris dans la tronche, sourit-il en m’enlaçant enfin, visiblement rassuré sur mes intentions à son égard s’il est capable de faire à nouveau preuve d’autodérision.
- J’espère que les super héros ne se contentent pas de sauver les jolies femmes, quand même. Tu es sûr que tu peux recevoir ta récompense ? Ce n’est pas trop douloureux ?
- Franchement, ça me fait un mal de chien, rit-il en se frottant la mâchoire. Mais je crois que je suis prêt à souffrir pour un bisou de toi. Tu vois à quel point je suis fou ? C’est moi qu’ils devraient enfermer, pas toi !
Je lui souris et me mets sur la pointe des pieds pour déposer un léger baiser sur ses lèvres. Arthur me serre contre lui et se montre assurément plus gourmand que moi, ou alors je n’osais pas vraiment l’être de peur de lui faire mal. Je m’accroche à son cou et profite de cette étreinte. Nos langues se cherchent, se trouvent, jouent ensemble alors que ses mains s’ancrent sur le bas de mes reins et me pressent davantage contre son corps. J’ai l’impression que mon envie de fusionner avec lui est réciproque. Je sais que je fais une connerie en me laissant aller à ce genre de sentiments, mais loin de mes hommes, loin du camp, tout me semble tellement plus simple que je n’ai plus envie de résister à cette attirance et à ce besoin de le sentir contre moi.
- Il faut te trouver de la glace, Arthur, finis-je par dire, quelque peu essoufflée.
- Oui, tu as raison. On retourne voir ma mère ? Elle doit en avoir, tu ne crois pas ?
- Qui ne tente rien n’a rien… Alors, nous sommes libres ou coincés ici ? soupiré-je en glissant ma main dans la sienne pour l’attirer à l’extérieur de cette cellule déprimante et rejoindre l’extérieur du souterrain.
- Je dirais que je suis libre d’aller dans le camp et que tu es libre de m’accompagner, me dit-il, un peu espiègle. Si tu t’éloignes trop, par contre, l’aura de ma mère n’aura plus d’effet sur toi, à tes risques et périls !
- Hum, bougonné-je, tu peux être sûr que je vais me venger… Ces abrutis méritent que je malmène leur service trois pièces et cela n'aura rien d’agréable. Donc, nous sommes libres et retenus ici, hein ?
- Oui, je crois qu’on en est là. Autant profiter de notre semi-liberté, non ? répond-il, revenant à nouveau m’embrasser.
- Je vais faire une overdose de sucre, attention, ris-je contre ses lèvres. Comment tu vas ? Ça fait quoi de retrouver sa mère après tant de temps ?
- Je ne sais pas. C’est vraiment étrange d’être heureux d’être avec elle alors que je suis en colère. J’ai à la fois envie de profiter de cette nouvelle chance de construire quelque chose avec elle et de l’envoyer promener parce qu’elle nous a abandonnés alors qu’on avait besoin d’elle.
- J’imagine oui… On fait tous des erreurs, et je crois que tu as une chance formidable de renouer avec elle… Même si, entre nous, elle a l’air un peu bizarre, ris-je en tentant de faire attention à ce que je dis. Enfin, rien de méchant, hein ? Juste, je sais pas, je crois que sa cabane me fait flipper !
- Ce n’est pas surprenant, si ? Une femme capable d’abandonner sa famille pour une cause, ça ne peut être que bizarre…
- Hum… Je ne sais pas. Tu te rends compte qu’elle est recherchée par le Gouvernement depuis des années ? Qu’ils vont jusqu’à te soupçonner toi et s’arranger avec le Colonel pour que tu te retrouves entre leurs mains ? Enfin bon, au moins tout est clair maintenant, on sait pourquoi tu avais le sbire silvanien sur le dos en arrivant, pourquoi tu as été arrêté. C’est fou que personne sur le camp ne t’ait dit que la Gitane n’était autre que ta mère ! Ils savaient, les chefs au moins, puisque personne n’a hésité à la contacter quand je leur ai demandé leur aide.
- Tu as eu une bonne idée de les solliciter en tous cas. C’est fou qu’ils ne t’aient pas dit non plus que c’était ma mère, hein ?
Nous arrivons près de la cabane de la Gitane et je me sens hyper mal à l’aise. Non pas parce que nous retournons ici, simplement, je n’ai pas envie de lui mentir et ce que j’appréhendais est sur le point d’arriver. J’ai fini par comprendre qu’il s’agissait de la mère d’Arthur, et j’ai demandé confirmation aux chefs encore présents au camp des réfugiés. Merde, pourquoi j’ai commencé à parler de ça, moi ? J’aurais mieux fait de la boucler encore ! Là, je ne sais pas quoi lui répondre. Je suis sûre qu’il va m’en vouloir et ça m’ennuie particulièrement.
- Eh bien… Disons que j’ai fait les connexions en récoltant les infos que tu voulais, et en contactant les rebelles.
Arthur s’arrête net en chemin. Ses yeux me transpercent et me foudroient.
- Attends… Tu savais et tu ne m’as rien dit ? Mais que je suis con ! C’était ça que tu ne voulais pas me dire !
- J’ai pas vraiment eu le temps de te faire un retour sur ce que j’avais trouvé, Arthur. Je suis désolée, mais j’ai dû sélectionner les infos à te partager pour te sortir de là…
- Sélectionner… Et tu ne pensais pas que ce détail m’aurait intéressé ? Tu te rends compte ? Tu es comme elle, en fait, à cacher tout ce qui pourrait changer ma vie, crie-t-il, énervé contre moi.
- Arthur, calme-toi je t’en prie, soupiré-je en attrapant sa main. Il y a au moins une dizaine de raisons pour lesquelles il valait mieux que je ne te dise rien, prends le temps d’y réfléchir et tu verras.
- Ouais, c’est tout réfléchi. Personne ne pense que je suis assez intelligent pour mériter d’entendre la vérité.
- Mais n’importe quoi, m’agacé-je. Arrête de dire cette connerie ! Il n’y a que toi qui n’as pas confiance en ton intelligence ! Bordel, tu voulais que je te le dise quand, sérieusement ? Entre le moment où je me suis engueulée avec les soldats Silvaniens et celui où on est monté dans le camion ? J’avais d’autres choses à te dire ! Dans le camion ? Aucune intimité ! Quand ton abruti de cousin manquait à chaque virage de nous tuer ? Evidemment !
- Je sais pas moi… me répond-il visiblement perdu. J’ai l’impression d’être le dindon de la farce et que ça dure depuis que j’ai dix ans. Tu peux comprendre que c’est difficile à vivre ?
- Je veux bien l’entendre, mais je n’y peux rien, moi ! Je jouais le vilain soldat aux bottes de son Colonel, merde, t’aurais réagi comment si je te l’avais dit sur le trajet pour le camion plutôt que de te parler de comment j’allais te sortir de là ?
- J’aurais pété un câble, c’est sûr, me dit-il dans un demi-sourire.
- Alors je suis désolée de te dire ça, mais je crois que j’ai bien fait de garder ça pour moi. De toute façon, tu allais le découvrir et… Je ne crois pas non plus que c’était à moi de te le dire.
- Oui, je suis désolé, Julia. Ce n’est pas de ta faute si ma mère a mis en bordel toute ma vie. Ne m’en veux pas, mais je suis chamboulé aujourd’hui. Et puis, merde, aussi, tu aurais pu faire un effort, non ? Dire au Viking de nous laisser un peu de temps, tu m’aurais dit pour ma mère, on se serait embrassé, bref, une vie normale, quoi ! dit-il presque sérieux avant d’éclater de rire.
- Bien sûr, le Viking m’écoute, ris-je. Je suis sûre qu’il m’aurait même proposé d’aller nous chercher des bières et une pizza. Et je ne suis même pas sûre que tu m’aurais crue, en fait… C’était totalement hallucinant pour moi en tous cas.
- Ce n’est pas si hallucinant que ça quand tu connais ma mère, me rétorque-t-il songeur. Par contre, elle va m’entendre. Franchement, te faire mettre au cachot par ces brutes pendant qu’elle me dit tout naturellement que c’est normal de préférer la rébellion à sa famille. Quelle putain de cause qui voit des mecs essayer de violenter une femme ! Elle est belle, la révolte !
- Eh bien, Monsieur Zrinkak, ris-je. Ça me fait bizarre de te voir aussi en colère contre quelqu’un d’autre que moi.
- Depuis que ce con de soldat est venu m’arrêter au camp et qu’on m’a emmené loin des réfugiés pour lesquels je dois faire ma mission, j’ai l’impression que je suis tout le temps en colère, Julia. Et donc, j’ai le regret de t’informer que tu n’es pas la seule qui a eu la joie de subir mon ire de fou déraisonné !
- C’est fini, tout ça… Mais il faut qu’on reparte au plus vite, et qu’on s’organise avec Snow pour que ça n’ait pas l’air d’un retour tranquille après des vacances…
- Comment tu crois qu’on peut rentrer ? On explique comment notre absence ? Notre évasion de chez les rebelles ? Tu as une idée ? J’espère qu’on ne va pas rester coincés ici…
- Disons que ton cocard peut aider à faire passer ça pour une vraie captivité, ris-je. Allez, on va y réfléchir plus tard, il te faut vraiment de la glace.
Je ne lui dis pas à quel point cette question m’inquiète depuis que nous avons quitté les lieux de l’attaque. Maintenant que je le sais en sécurité, je me rends compte combien j’ai vrillé, combien j’ai dévié du droit chemin pour le sortir de la galère. Il va falloir la jouer fine, sinon c’est ma carrière qui va m’être enlevée, et peut-être pire. Le Colonel ne sera pas de mon côté, il a été clair à ce sujet, et je devrai en référer au-dessus encore. Et ça, ça pue.
J’embrasse Arthur sur la joue et l’entraîne sous le porche avant de frapper à la porte de la petite maison de la Gitane. J’espère qu’il va réussir à se contrôler, même si j’avoue que de mon côté je lui remettrais bien les pendules à l’heure. Ses sbires l’ont jouée fine, et elle aussi apparemment. Je ne me sentais pas tant en danger que ça, jusqu’à ce que je les voie débarquer tous les trois alors que je me promenais près de l’étang qui jouxte la cabane. L’endroit était paisible, comme une bulle où la guerre n’a pas éclaté, et j’étais sereine comme rarement en mission. Et ça n’était même pas dû aux bras réconfortants de mon Bûcheron abîmé.
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