53. Conciliabules sous la douche
Julia
Je m’étire dans mon lit en soupirant. Pas de cauchemar cette nuit, mais pas de corps lové contre le mien non plus. J’aurais presque préféré me réveiller en sursaut avec cette horrible sensation, juste pour pouvoir profiter encore de l’étreinte d’Arthur. J’ai vraiment merdé, et le pire c’est que je ne regrette pas. Enfin, pas vraiment. On ne peut pas dire qu’il soit du genre discret, avec ses allusions devant Mathias. Heureusement qu’il était déjà au courant, parce que ça aurait pu partir en sucette, tout ça.
Je me lève rapidement et m’habille, il est tôt mais je ne suis pas très en avance pour mon rendez-vous au bloc sanitaire avec mes collègues et amis. Je devais avoir besoin de repos, parce que c’est le réveil qui m’a tirée de mon sommeil, contrairement aux autres matins depuis que je suis ici. Le retour en territoire en guerre, les responsabilités, perturbent un peu trop mes nuits en général pour m’offrir la sérénité une fois le soleil couché.
Je descends les marches après avoir récupéré mon nécessaire de toilette et tombe sur Mathias qui sort de la pièce où il dort. Je le salue d’un signe de tête pour ne pas réveiller les soldats encore endormis et nous sortons en silence pour rejoindre les douches où nous attend Myriam.
Aucun de nous n’est du matin, et ce n’est qu’une fois glissés sous l’eau tiède que la conversation débute.
- Alors, prête à reprendre le commandement ? me demande Myriam après avoir bougonné sur la température de l’eau.
- Faut bien. J’ai bien dormi, ça ne fait pas de mal, je suis en forme.
- Tu as dû faire de beaux rêves, non, après ton escapade chez les rebelles ? intervient Snow de l’autre côté.
- Aucun souvenir, j’ai eu le sommeil lourd apparemment. J’ai savouré le lit et la chaleur après une nuit en pleine forêt.
- Ah bon ? La nuit en forêt n’était pas chaude ? C’est pourtant romantique les étoiles, le feu de camp, et tout ça, continue-t-il sur le même ton badin.
- Tu te rappelles de nos exercices en plein hiver dans la forêt ? T’as trouvé ça romantique, toi ? Parce que moi hormis me cailler le cul et rêver d’un lit et de chauffage, je n’ai pas du tout été dans ce mood-là, ris-je.
- Elle fuyait les rebelles, qu’est-ce qu’il y a de romantique là-dedans, Snow ? demande Myriam, pas du tout au courant de ce qu’il s’est réellement passé.
- Rien, rien, Snow craque, laisse tomber.
- C’est moi qui craque ? Non, mais je rêve là. Myriam, tu sais, chez les rebelles, je crois qu’on s’amuse plus qu’ici, en fait. On devrait peut-être aller y faire un tour, tu ne crois pas ?
- Comme si tu ne t’amusais pas ici, Mathias, bougonné-je. Arrête ça…
Je comprends où il veut en venir, ça y est. L’enfoiré compte me balancer à Myriam, et je ne crois pas avoir très envie d’en parler avec elle. Je l’adore, hein, mais elle manque de discrétion et je n’ai pas envie que tout ça s’ébruite sur le camp. Si elle le sait, Eva va le savoir, et avec la chance que j’ai, elles vont en discuter au réfectoire et quelqu’un va les entendre. S’en suivra une rumeur inarrêtable.
- Eh mais tu fais quoi, là, Myriam ? T’as plus d’eau sous ta douche ?
- Je suis venue t’arracher tes secrets, beau gosse. Dis-moi tout ce que tu sais sur la Lieutenant et je continue mes caresses. Ça a l’air de te plaire, en plus !
- Wow, vous faites quoi là-dedans ? Ça va pas la tête ! Y a pas de secret, Myriam, arrête de le tripoter !
- Julia, ta copine ne t’écoute pas là… Mmm. Je te jure que si elle continue à me sucer comme ça, je vais pas tenir, je vais devoir tout lui dire.
- Comme si ça te dérangeait, marmonné-je. Je vois où s’arrête ton amitié, ça fait plaisir Snow. Myriam, arrête tes conneries putain, c’est dégueulasse, je suis à côté ! Ta technique d’interrogatoire est pourrie en plus.
- Alors, Sergent, si tu en veux plus, il va falloir cracher le morceau. Et pas dans ma bouche, s’il te plait, minaude-t-elle en m’ignorant.
- Mon Dieu, c’est écoeurant. Un peu de tenue, merde ! J’ai couché avec Zrinkak, bordel, avoué-je en donnant un coup dans la paroi. Arrête maintenant !
- Oh non, pourquoi tu pars, Myriam ? C’était bien commencé !
- Tant pis pour toi, beau gosse, fallait parler avant, maintenant, je sais tout ! T’as qu’à te finir avec tes mains.
Tout à coup, c’est la porte de ma douche qui s’ouvre et je vois débarquer ma pote toute nue qui, sans gêne, me repousse et se met à côté de moi pour terminer sa douche comme si c’était la chose la plus normale du monde.
- Alors, tu t’es fait le barbu pendant ton escapade ? Coquine ! C’était comment, raconte !
- Tu comptes me faire un cunni pour que je parle ? ris-je.
- Me tente pas, Bébé, tu sais que je suis assez dérangée pour le faire, me répond-elle en faisant glisser ses doigts sur mes fesses nues.
- T’es vraiment folle, Myriam, m’esclaffé-je en repoussant sa main. Hétéro à deux cents pour cent, ma fille. Encore plus après avoir couché avec le Bûcheron, je t’assure !
- Ah oui, si bon que ça ? Eh bien, tu en as de la chance, Julia. Mais ça va être le bordel dans le camp si les gars apprennent que tu te fais un civil !
- Il suffit que tu la boucles pour que personne ne le sache. Et que Snow arrête avec ses insinuations pourries !
- J’ai rien dit moi ! Même sous la torture, je n’allais pas parler ! Et oui, désolé pour tout à l’heure, mais je ne dis plus rien, Lieutenant, tu peux me faire confiance.
- Permets-moi d’avoir un doute maintenant, enfoiré ! Myriam, vraiment, tu n’en parles à personne, je t’en prie ! C’était une agréable parenthèse, c’est fini, y a rien à en dire de plus. Pas besoin que ça s’ébruite.
- Ouais, j’en parlerai pas. Mais maintenant que je sais qu’il est open, je vais peut-être en faire mon quatre heures ! dit-elle en riant et en mimant sans pudeur l’acte sexuel sous la douche.
Je lui tourne le dos pour me rincer et lui cacher la grimace qui s’affiche sur mon visage. Est-ce que je m’en fous qu’elle se tape Arthur ? Absolument pas. Mais je ne peux pas l’en empêcher, ou empêcher mon Bûcheron de faire ce qu’il veut, puisque je l’ai laissé tomber comme une vieille chaussette pour préserver mon image dans le camp. Fait chier, vraiment !
- T’as pas peur, rit Snow, elle va t’arracher les yeux si tu touches à son barbu !
- C’est fini ou c’est pas fini votre truc, Julia ? Tu sais bien que je touche pas aux mecs des copines, hein ? Mais s’il est dispo, je vais foncer, je te jure.
- C’est… Fini, mais j’aimerais bien que tu ne touches pas au mec qui me faisait jouir y a même pas quarante-huit heures, marmonné-je.
- Ah je vois, rit-elle avant de crier vers le sergent à côté de nous, Snow ! Si elle me fait trop languir avec son Arthur, tu auras peut-être la chance d’avoir la suite de ma proposition !
- Après m’avoir lâchement abandonné ? Je ne suis pas un lot de consolation, Myriam, rit Mathias. Puis tu vas pouvoir lâcher l’affaire avec Zrinkak, elle est mordue si tu veux mon avis.
- Oh, je suis sûre que tu serais un merveilleux lot de consolation, mon chou ! crie-t-elle encore avant de se tourner vers moi et s’approcher pour me murmurer, jamais je ne toucherais à ta chasse gardée, sois en assurée, ma chérie !
Elle me dépose un petit bisou sur la joue avant de sortir pour récupérer ses affaires et s’habiller. Je soupire, rassurée malgré moi par sa déclaration. Autant elle peut se taper Mathias sans que cela me gêne, à condition que je ne sois pas juste à côté et frustrée, autant je préfère qu’elle ne tente pas sa chance avec Arthur. C’est vrai quoi, Myriam est canon, féminine même en treillis et beaucoup moins froide que moi au premier abord. Je suis sûre qu’il lui tomberait dans les bras et cette idée me serre le cœur. Injustement, j’en ai conscience, mais c’est pourtant le cas.
Je sors de la douche et me sèche rapidement avant de m’habiller. L’œil moqueur de Myriam me fait lever les yeux au ciel et j’ai l’impression d’être prise sous les tirs ennemis quand Snow sort à son tour et n’est pas mieux.
- Oh ça va hein, laché-je, agacée. C’est pas l’info du siècle non plus ! Comme si je ne baisais jamais, c’est bon ! Va falloir vous en remettre, moi aussi je tire un coup de temps en temps.
- Wow ! La cheffe est humaine, se moque gentiment Snow. C’est ça le scoop ! T’inquiète, Ju, en fait, on est content que tu aies pris un peu de temps pour toi. C’est la merde ici, il faut bien trouver un peu de réconfort où on peut.
- Ouais, soupiré-je, et l’arrivée du Colonel ne va pas arranger les choses. C’était un bon moment, on passe à autre chose. On n’en fait pas tout un foin quand tu tires ton coup toi.
- Ouais, parce que moi, c’est pas aussi rare qu’une lune rousse dans un ciel du désert !
- Oh ça va, ris-je. J’ai des responsabilités, Monsieur, je ne peux pas me permettre de passer mon temps à écarter les cuisses !
- Ouais, eh bien tes responsabilités, elles arrivent, là. Le Colonel ne va plus tarder, intervient Myriam qui a fini de remettre son treillis. Dépêche-toi sinon il va se faire des idées sur toi, le Colonel !
- Quel genre d’idées ? Celle que je prends ma douche à trois pour un moment de plaisir ? Tu parles, vous venez de me torturer !
- On t’aime, Ju, n’en doute jamais ! Myriam, tu sais où me trouver pour notre histoire non terminée, hein ?
- Tu rêves, Snow ! J’ai plus rien à apprendre de toi ! Parle à ta main plutôt !
Je pouffe en les regardant tour à tour. J’ai des amis complètement cinglés, mais je n’en changerais pour rien au monde. Je sais que je peux compter sur eux et ça n’a pas de prix, surtout ici, quand la guerre rôde et que les risques sont grands.
- Bon, je file les amis, j’ai autre chose à faire que de vous voir vous faire du rentre dedans. Baisez un coup et passez à autre chose, me moqué-je en récupérant mes affaires.
- C’est l’hôpital qui se moque de la charité, là. Pas de bêtise ! nous lance Mathias en s’éloignant.
- Bien sûr, toi tu baises qui tu veux et quand tu veux, mais nous on doit faire voeux de chasteté ? m’esclaffé-je en le rejoignant alors qu’il ouvre la porte des sanitaires.
Moment de gêne ? Difficile de faire pire, puisque Arthur est juste devant la porte, ses affaires à la main, et qu’étant donné sa tête, il dû entendre au moins cette phrase, si ce n’est plus.
- Bonjour, Zrinkak, lui lance Mathias en quittant la pièce comme si de rien n’était.
- Bonjour, Arthur, dis-je alors que je sens Myriam débarquer derrière moi et que je prie pour qu’elle tienne sa langue.
- Bonjour le Bûcheron, dit mon amie en souriant. On parlait de chasteté, tu vas savoir ce que c’est maintenant, non ?
- Commence pas, Myriam, sinon je te jure que je vais tellement te faire récurer les latrines que l’odeur sera incrustée sur toi au point que tu auras l’impression de retrouver ta virginité, bougonné-je.
- Bonjour les militaires. J’ai l’impression que c’est de moi dont il s’agit, je me trompe ?
- Du tout, Beau gosse, rit mon amie en me bousculant pour sortir. Mais je n’irai pas jusqu’à te le promettre !
- J’espère que vous n’avez pas pris toute l’eau chaude avec vos conneries sous la douche, grogne Arthur en entrant dans l’espace sanitaire.
- Je vois que vous vous entendez même sur l’humeur du matin ! Intéressant !
- Tire-toi, espèce d’emmerdeuse, soupiré-je alors qu’elle nous souhaite une bonne journée en partant tout sourire. L’eau était déjà tiède quand on est arrivé, c’est pas notre faute.
- Oui, je me doute. Et comme je vais la prendre seul, de ce côté-ci de la parenthèse, c’est sûr que je dois pas compter dessus pour me réchauffer.
Je sens que je n’ai pas fini de manger des reproches avec lui. Ça promet !
- Comment ça s’est passé avec ta sœur ? Tu lui as dit pour ta mère ? lui demandé-je.
- Oui, je lui ai dit, elle ne veut rien avoir à faire avec elle. Pour elle, notre mère est morte quand elle nous a abandonnés.
- Je vois… Ça a dû être un choc pour elle, j’imagine. Peut-être qu’une fois digéré, elle changera d’avis.
- Je l’espère, oui. Le temps réussit souvent à panser les blessures, c’est ce que je me dis quand… Enfin, tu vois, quoi.
- Sans doute oui, soupiré-je. Bonne journée Arthur, à plus tard sans doute.
Je tourne les talons sans lui laisser le temps de répondre, mal à l’aise. Y a pas à dire, difficile de nier qu’il m’en veut, ce que je peux comprendre. Fait chier, sérieusement. Dans un autre contexte, je serais retournée sous la douche sans hésitation, mais là…
Et puis, sans vouloir entrer dans les stéréotypes, depuis quand ce sont les mecs qui réclament plus qu’un coup d’un soir ?
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